Les pièces du scandale

LeNouvelliste:Haïti: Lorsque Nuria Piera reçut la semaine dernière l’abondante documentation relative aux entreprises du sénateur Félix Bautista, elle eut d’abord du mal à y croire. Proche d’entre les proches du président Leonel Fernandez, mis en cause dans plusieurs scandales, l’ancien tailleur devenu l’un des magnats de la construction était la cible du Parti révolutionnaire dominicain (PRD) qui l’accusait d’incarner la corruption du Parti de la libération dominicaine (PLD) au pouvoir. En cette dernière ligne droite de la campagne, avant l’élection présidentielle du 20 mai, les coups bas et les manipulations se multipliaient.
Pourtant, à l’issue d’un minutieux travail de vérification, auprès de bénéficiaires et d’institutions bancaires, la journaliste d’investigation vedette de la télévision dominicaine ne put que se rendre à l’évidence. Les dizaines de pages de relevés bancaires, de listes de paiement, et de transactions étaient authentiques. Ces documents anonymement remis à la journaliste dont le programme est depuis douze ans synonyme de lutte contre la corruption ont confirmé les rumeurs associées au nom du sénateur Bautista tant en Haïti qu’en République dominicaine.
Selon ces documents, le président Michel Martelly a reçu des versements, en chèque ou en espèces, d’un montant de deux millions cinq cent quatre-vingt-sept mille cent dollars américains (2 587 100 US$) d’entreprises appartenant au sénateur Bautista ou à ses associés. Ces fonds proviennent des entreprises Hadom (dont Félix Bautista possède 98% des actions), Diseño de Obras civiles y electo (DOCE) et ROFI.
Hadom et ROFI sont deux des entreprises du sénateur Bautista qui ont obtenu, en une seule journée, le 8 novembre 2010, des contrats d’un montant total de 385 millions de dollars pour la reconstruction d’Haïti. Ces contrats attribués par l’ancien Premier ministre Jean-Max Bellerive ont été jugés irréguliers par la commission d’audit formée par son successeur, le Premier ministre démissionnaire, Garry Conille.

Plusieurs versements sont antérieurs au deuxième tour de l’élection présidentielle remportée en avril 2011 par Michel Martelly. Le plus récent, d’un montant de cent cinquante mille dollars (150 000 US$) porte la date du 5 novembre 2011 et a été réalisé sur le compte N° 766-215511 du Banco Popular. Plusieurs des paiements réalisés par DOCE, une entreprise qui n’apparaît pas au registre de la chambre de commerce de Saint-Domingue, ont été versés par Ricardo Jacobo et Victor Reynoso, deux proches du sénateur Bautista. ROFI a versé un total de huit cent trente-sept mille dollars (837 000 US$) en plusieurs paiements du compte 0102-1012-000-942393 de Unibank.
Pour ne pas avoir de surprise, avant le résultat final des élections, le sénateur Bautista a également apporté sa contribution à la campagne de Mirlande Manigat. Selon les documents bancaires, elle a reçu de DOCE deux cent cinquante mille dollars (250 000 US$) tirés sur le compte 240-005129-7 de Banreserva.
Plus encore qu’aux conséquences au-delà de la frontière, l’opinion publique dominicaine s’intéresse aux retombées du scandale sur les dernières semaines de la campagne électorale. Les sondages annoncent une lutte serrée entre le candidat du PRD, l’ancien président Hipolito Mejia, et Danilo Medina, qui porte les couleurs du PLD. Leonel Fernandez, qui ne peut se représenter, a imposé son épouse, Margarita Cedeño, comme candidate à la vice-présidence.
Les documents transmis à Nuria Piera confirment que Félix Bautista est devenu l’un des plus gros contributeurs du PLD, dont les dépenses de campagne dépassent de très loin celles du PRD. L’Office de coordination des travaux de l’Etat, qu’il a longtemps dirigé, a attribué de nombreux contrats à ses entreprises et à celles de ses proches, qui ont reversé des dizaines de millions de pesos aux caisses et aux dirigeants du PLD.
En 1996, Félix Bautista avait déclaré un patrimoine de 547 000 pesos. Il dit à présent ignorer le montant de sa fortune. Selon les documents parvenus à Nuria Piera, ses seuls biens immobiliers valent aujourd’hui plus de 396 millions de pesos. Accusé du détournement de 50 millions de pesos lors de la construction d’une route dans le sud-ouest de la République dominicaine, il a connu la prison après la défaite électorale du PLD en 2000. Depuis le retour au pouvoir de Leonel Fernandez en 2004, ses affaires ont rapidement prospéré en République dominicaine et se sont étendues à Haïti et au Panama. Il jouit d’une immunité parlementaire depuis son élection au Sénat en 2010.

Jean-Michel Caroit
pour Le Nouvelliste

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