Erik Prince signe un contrat de 10 ans avec l’Etat haïtien pour combattre les gangs puis participer au collecte des impôts du pays

Erik Prince, éminent partisan de Donald Trump et dirigeant du compagnie de sécurité privé, a annoncé son intention de maintenir ses forces en Haïti pendant dix ans, dans le cadre d’un accord qui permettra à son entreprise de participer au système de collecte des impôts du pays.

Dans une interview accordée à Reuters, M. Prince a déclaré que son entreprise, Vectus Global, avait conclu un accord de dix ans avec le gouvernement haïtien pour lutter contre les gangs criminels et mettre en place un système de collecte des impôts. Une fois la situation sécuritaire stabilisée, l’entreprise participera à la conception et à la mise en œuvre d’un programme de taxation des marchandises importées à la frontière entre Haïti et la République Dominicaine, a-t-il précisé.

Il a déclaré qu’il espérait reprendre le contrôle des principaux axes routiers et des territoires aux gangs d’ici environ un an. « Pour moi, l’un des principaux indicateurs de succès sera de pouvoir se rendre de Port-au-Prince à Cap-Haïtien dans un véhicule léger sans être arrêté par les gangs », a déclaré Prince lors de l’interview.

Prince n’a pas souhaité commenter le montant que le gouvernement haïtien verserait à Vectus Global, ni le montant des impôts qu’il prévoit de collecter en Haïti.

Le nouveau président du Conseil de Transition, Laurent Saint-Cyr, investi le 7 août dans le cadre d’une rotation prévue des dirigeants du conseil, n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

L’ancien président du conseil et Premier ministre d’Haïti n’ont pas non plus répondu aux demandes de commentaires.
Vectus a commencé ses opérations en Haïti en mars, déployant principalement des drones en coordination avec un groupe de travail dirigé par le Premier ministre, mais son engagement à long terme et son implication dans la collecte des impôts n’ont pas été signalés auparavant.

Une personne proche des opérations de l’entreprise en Haïti a déclaré à Reuters que Vectus allait intensifier sa lutte contre les gangs criminels qui contrôlent de vastes zones d’Haïti dans les semaines à venir, en déployant plusieurs centaines de combattants américains, européens et salvadoriens, formés comme tireurs d’élite et spécialistes du renseignement et des communications, ainsi que des hélicoptères et des bateaux.

Prince, ancien Navy Seal américain, a fondé la société de sécurité militaire Blackwater en 1997. Il a vendu l’entreprise en 2010 après la condamnation d’employés de Blackwater pour l’homicide illégal de 14 civils non armés alors qu’ils escortaient un convoi de l’ambassade américaine sur la place Nisour à Bagdad. Ces hommes ont été graciés par Trump lors de son premier mandat à la Maison Blanche.

Depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, Prince a conseillé l’Équateur sur la lutte contre les gangs criminels et a conclu un accord avec la République démocratique du Congo pour sécuriser et taxer ses richesses minières.
« Il est difficile d’imaginer qu’ils opèrent sans le consentement de l’administration Trump », a déclaré Romain Le Cour Grandmaison, responsable du programme Haïti de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, basée à Genève.

Interrogé sur les affirmations, un porte-parole du département d’État a déclaré que celui-ci n’avait engagé ni Prince ni son entreprise pour des travaux en Haïti.

Un haut responsable de la Maison Blanche a déclaré : « Le gouvernement américain n’a aucune implication avec l’entreprise militaire privée engagée par le gouvernement haïtien. Nous ne finançons pas ce contrat et n’exerçons aucune surveillance. »

On ignore si le contrat de Prince serait affecté par le changement de direction en Haïti au début du mois.
Lors d’une allocution télévisée le 7 août, Saint-Cyr s’est dit favorable à un soutien international accru pour lutter contre les gangs. « J’invite tous les partenaires internationaux à accroître leur soutien, à envoyer davantage de soldats et à dispenser davantage de formations », a-t-il déclaré. « Aidez-nous en renforçant la force internationale. »

La crise en Haïti s’est aggravée ces dernières années, les gangs armés gagnant du terrain et attaquant des hôpitaux, des commissariats de police et des prisons, prenant le contrôle de voies de transport stratégiques et extorquant des fonds à la population. Les groupes de défense des droits humains accusent les gangs de massacres, de viols, d’enlèvements et d’incendies criminels. Environ la moitié de la population souffre d’insécurité alimentaire et plus de 8 000 personnes dans les camps de déplacés sont confrontées à une famine.

Haiti percevait autrefois la moitié de ses recettes fiscales à la frontière avec la République dominicaine, mais le contrôle des principales voies de transport par les gangs a paralysé le commerce et réduit les recettes de l’État, selon un rapport commandé l’année dernière par le gouvernement haïtien et plusieurs organisations multilatérales. Cela a compromis la capacité du gouvernement à répondre à la crise ou à fournir des services de base, selon le rapport.

La République dominicaine est une source essentielle de céréales, de farine, de lait, d’eau et d’autres denrées alimentaires de base pour Haïti, selon les données douanières. Haïti dépend également des importations en provenance de la République dominicaine pour les textiles, les biens de consommation et les fournitures médicales.

Les entreprises de sécurité travaillant en Haïti ont rencontré des difficultés dans un pays où les liens entre les gangs, la police locale et certaines factions du gouvernement sont étroits.

Plus tôt cette année, une équipe de la société de sécurité américaine Studebaker Defense a abandonné sa mission en Haïti après l’enlèvement de deux de ses membres, probablement imputable à la corruption de policiers, a rapporté le New York Times.

Mounir Mahmalat, coordinateur pays du Groupe Fragilité, Conflit et Violence de la Banque mondiale, a déclaré qu’il était pratiquement impossible d’assurer la sécurité du transport des marchandises et des personnes travaillant à Port-au-Prince.

D’autres sociétés de sécurité présentes en Haïti ont soulevé des questions sur la capacité de Vectus à conserver un territoire contrôlé par des gangs, ainsi que sur l’opportunité de canaliser les ressources vers des sociétés de sécurité privées plutôt que vers les forces de sécurité nationales.

« Le recours à des sociétés militaires privées ne peut être considéré comme une solution à l’insécurité en Haïti », a déclaré Gédéon Jean, directeur du Centre d’analyse et de recherche sur les droits de l’homme en Haïti. « Le recours à des sociétés privées a souvent entraîné des violations des droits de l’homme. »
Si une force privée pourrait aider la police à rétablir la sécurité, Jean a mis en garde contre des dépenses importantes pour une société étrangère alors que les forces de sécurité haïtiennes manquent de fonds et d’équipement.

Il faut souligner qu’ en juillet neuf sénateurs américains ont écrit le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio et la secrétaire à la sécurité intérieure Kristi Noem pour réclamer  des explications détaillées sur l’implication d’une société militaire privée américaine en Haïti. Selon eux, un contrat liant le gouvernement à une entreprise dirigée par Erik Prince, fondateur controversé de Blackwater Worldwide, soulève de graves préoccupations. 

Ils ont évoqué une possible infraction à l’Arms Export Control Act (AECA) et au règlement ITAR (International Traffic in Arms Regulations), qui interdisent toute exportation de matériel de défense ou prestation militaire à une entité étrangère sans l’autorisation expresse du Département d’État.

Face à ces incohérences, les sénateurs ont exigé  des réponses précises avant le 15 août 2025. Parmi les six questions posées : Un entrepreneur militaire privé américain a-t-il demandé ou obtenu des licences d’exportation pour des articles de défense ou des services militaires fournis en Haïti ? Si oui, veuillez les identifier et fournir des copies des licences d’exportation. ; Ces licences ont-elles été examinées au titre de la NSPM-10, article 3(d), concernant les risques pour la paix internationale et les droits de l’homme ? Si oui, veuillez fournir les résultats de cet examen. Sinon, pourquoi ?Un examen interinstitutions a-t-il évalué si les activités d’un entrepreneur militaire privé américain pourraient compromettre la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) ? Si oui, veuillez fournir les résultats de cet examen. Sinon, pourquoi ? Le Département d’État a-t-il évalué si ces activités sont cohérentes, dupliquées ou en conflit avec la mission MSS de l’ONU ? Si oui, veuillez fournir les résultats de cette évaluation. Sinon, pourquoi ?  D’autres questions ont été également formulées.

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