Vanneur Pierre: 2013 sera l’année de la construction scolaire

Le Nouvelliste | Publié le : 2012-12-28
Propos recueillis par Valéry Daudier
Quatre mois après son installation, le ministre de l’Education nationale et de la formation professionnelle, Vanneur Pierre, se dit satisfait des progrès réalisés pour faciliter l’accès à l’éducation, et améliorer la qualité de l’apprentissage. Ce qui est fait n’est cependant qu’une goutte d’eau dans un océan, tellement les défis sont énormes pour refonder le système. Augmenter l’offre publique d’éducation, revaloriser la fonction enseignante, créer une assise pour le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO), ce sont quelques-uns des objectifs du ministre qui assure « qu’il y aura du renouveau pour le secteur de l’éducation ».
Le ministre de l'Education nationale et de la formation professionnelle, Vanneur Pierre
Le ministre de l’Education nationale et de la formation professionnelle, Vanneur Pierre

Le Nouvelliste : Monsieur le ministre, quatre mois après votre installation à la tête du ministère, quelle est votre plus grande satisfaction ?

Vanneur Pierre : Quatre mois après, il y a beaucoup de chantiers qui ont été mis en œuvre, notamment au niveau du Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO). L’année dernière, ce programme, lancé sous l’impulsion du président de la République, a pu toucher plus d’un million soixante-dix mille enfants. Cette année, un effort colossal est consenti. En plus d’améliorer l’accès à l’école, un accent particulier a été mis sur l’aspect qualité. Plusieurs chantiers sont en cours pour le renforcer. Pour la rentrée scolaire, il y a plus de trois millions de manuels scolaires qui ont été mis à la disposition des enfants (une partie en dotation et une autre en subvention). Il y a également une amélioration au niveau de la cantine scolaire. 904 000 enfants sont touchés, mais l’objectif, c’est d’arriver à atteindre 1,5 million d’enfants, parce que toutes les études, notamment dans le contexte d’Haïti, montrent que l’alimentation scolaire participe à l’amélioration de la qualité. Plus d’un million de kits scolaires ont été aussi distribués dans des écoles publiques et non publiques.

LN : Il y a beaucoup de chiffres concernant ce programme, cependant on continue de remarquer beaucoup d’enfants à travers les rues de la région métropolitaine. Comment expliquez-vous cela ?

LN : Le PSUGO est un programme-phare du gouvernement, du président de la République. Il fait partie de ses promesses de campagne. Pour les enfants des rues, nous commençons à les toucher, notamment à Delmas, Croix-des-Bouquets…Nous avons actuellement 213 enfants des rues de la région métropolitaine qui sont pris en charge. A partir de janvier,  quasiment tous les enfants qui sont dans les rues le seront, parce que c’est une préoccupation pour le président dans la logique de l’égalité des chances. On travaille d’arrache-pied pour que ces enfants soient pris en charge et intègrent un établissement scolaire.

V.P. : Concrètement, combien y a-t-il d’enfants qui font partie du PSUGO ?

LN : Pour le  moment, on est à 1 287 814 enfants qui sont répartis dans plus de 10 000 écoles publiques et non publiques. La stratégie prônée par le gouvernement pour assurer la pérennité de ce programme, c’est de construire en masse des écoles publiques. Il faut rappeler que c’est 90 dollars américains par enfant dans les écoles non publiques. Il faut augmenter et améliorer l’offre publique d’éducation. Dès aujourd’hui, plusieurs marchés de construction scolaire vont être lancés. On mobilise des bailleurs de fonds pour pouvoir appuyer le gouvernement dans cette démarche. 2013 sera baptisée : année de la construction scolaire. Augmentation substantielle de l’offre de l’éducation.

LN : La rentrée scolaire cette année a été lancée sur le thème: « Virage vers la qualité ». Pensez-vous  que le fait de doter les enfants de manuels scolaires ou d’améliorer l’environnement scolaire suffisent vraiment pour que les enfants aient accès à une formation de qualité ?

V.P. : C’est tout un paquet. Ce n’est pas seulement créer des places assises pour les enfants, mais il y a un minimum que l’enfant doit maîtriser. La formation des enseignants est très importante, on en a parlé. Les manuels scolaires sont également importants. Quelqu’un qui a faim ne peut pas apprendre, c’est pourquoi la cantine scolaire est aussi nécessaire. Autre chose qui participe à l’amélioration de la qualité, c’est la gestion même de l’établissement scolaire. On travaille d’arrache-pied là-dessus pour pouvoir former les directeurs d’école afin qu’ils comprennent leurs attributions et leur mission. La discipline est très importante. Par exemple, au niveau des lycées, il y a beaucoup de problèmes. Il faut que la discipline règne dans les lycées. Nous avons un ensemble de valeurs qui sont perdues, nous travaillons pour que ces valeurs reviennent. Nous avons un vaste programme de lecture. Si, après quatre ans de scolarisation, un enfant n’arrive pas à lire, il y a un problème quelque part.

LN : Qu’en est-il de la formation des enseignants sur cet aspect?

V.P. : La formation des enseignants nous préoccupe pleinement. Pour la rentrée scolaire, plus de 11 000 enseignants et directeurs d’école ont pu bénéficier de séances de formation. Pour les écoles publiques, il faut améliorer l’environnement scolaire. 50 000 chaises ont été acquises et distribuées dans les écoles publiques. Il y a aussi des bus scolaires disponibles pour améliorer le transport des enfants. Il y a d’autres éléments au niveau des infrastructures scolaires. Depuis mon installation, j’ai lancé une campagne d’assainissement des écoles publiques. 50 écoles par département ont été touchées. Des travaux de réhabilitation ont été lancés. 15 écoles ont été réhabilitées.

L.N. : On sait que la supervision scolaire est très importante pour la qualité de l’apprentissage. Il y a des écoles qui ne sont jamais supervisées. Etes-vous au courant de ce problème ? Si oui, quelles décisions avez-vous déjà prises pour pallier cette situation ?

V.P. : Tout à fait. C’est un problème majeur dans le secteur. Et comme j’ai souvent l’habitude de le dire, l’un des problèmes majeurs dans le secteur de l’éducation, c’est un problème de gouvernance. Sitôt qu’on arrive à s’attaquer à ce problème, il y a plein d’autres problèmes qui vont être résolus automatiquement. La supervision scolaire est une préoccupation pour nous. L’inspecteur scolaire est un encadreur, un conseiller pédagogique. Il encadre les enseignants. Avant mon arrivée, il y avait des écoles qui n’ont jamais été inspectées, supervisées, voire jusqu’à maintenant. Nous sommes en train de prendre des décisions pour renforcer l’inspection scolaire. On travaille pour résoudre ce problème. C’est un travail en nombre et en qualité.

LN : Et pour le nombre de jours de classe ? Nous sommes toujours en retard, en deçà de la moyenne internationale, qu’en dites-vous ?

V.P. : On est en retard, certes, cependant on va conserver les jours fériés dans la mesure du possible. Nous mobilisons les responsables d’école contre l’absentéisme des professeurs. Il faut distinguer le nombre de jours de classe théorique du nombre réel. On s’arrange pour que les enseignants soient ponctuels et réguliers, et qu’il couvrent leur programme.

L.N. : Vous évoquez pas mal de programmes qui sont en cours pour améliorer la qualité du système. Mais, mises à part ces satisfactions,  n’avez-vous pas quand même certains regrets ?

V.P. : Il existe tellement de problèmes dans le secteur de l’éducation ! C’est un secteur qui est confronté à des problèmes chroniques depuis des décennies. L’idée, c’est de le révolutionner. Avec les cyclones qui ont ravagé le parc scolaire, c’est sûr qu’il y a des fonds que j’aurais pu allouer à d’autres initiatives, mais qui sont versés pour réhabiliter les écoles. Il y a 109 écoles qui ont été détruites ou endommagées  lors du passage de l’ouragan Sandy. Nous allons donc reconstruire 25 d’entre elles. Nous travaillons aussi sur la revalorisation de la fonction enseignante. Vous savez que les enseignants travaillent dans de très mauvaises conditions,  il y a nécessité aujourd’hui de revaloriser la fonction et  je travaille avec les syndicats d’enseignants là-dessus. Nous travaillons pour que les enseignants aient une autre place dans la fonction publique, que ce soit en termes de salaire, d’avantages sociaux, d’assurance…pour que le métier soit revalorisé. C’est un chantier qui me tient vraiment à cœur. Aujourd’hui, mon mandat au niveau du ministère, c’est de refonder le secteur. Un secteur très vulnérable.

Je travaille sur la nomination des enseignants qui sont en salle depuis quatre ou cinq ans et qui ne sont pas nommés. A travers les dix départements, il y a des enseignants qui n’ont pas été payés. Difficile pour le moment de donner le nombre exact, nous attendons les rapports de mission. Mais, il y a des milliers d’enseignants qui se retrouvent dans cette situation irrégulière. Je crois qu’ils ont plus de 5 000 dans cette situation: le défi est énorme. Il est immense. Beaucoup d’enseignants travaillent sans lettre de nomination et sans être payés.

L.N. : Pour la question de salaire, combien touche un enseignant aujourd’hui ?

V.P.: Ça dépend. Au niveau du fondamental par exemple, un enseignant touche en moyenne huit mille gourdes par mois (environ 200 dollars américains). Au niveau du secondaire, ce n’est pas le même schéma. S’il s’agit d’une chaire à temps plein, quelqu’un qui fournit vingt cinq heures par semaine, c’est 22 400 gourdes. On travaille pour réviser ces salaires à la hausse.

L.N.: Qu’en est-il de la formation professionnelle ?

V.P.: Il y a un forum sur la formation professionnelle qui a été réalisé récemment, c’est pour arriver à développer  une politique pour la formation professionnelle et une politique qui mettra l’accent sur l’amélioration de la gouvernance de ce secteur et surtout l’adaptation des programmes aux réalités économiques du pays. Il y a  cinq centres de formation professionnelle qui vont être construits à partir des fonds du Trésor public. Cela va coûter cinq millions de dollars. On est train de travailler sur une réforme, c’est une expérience pilote où l’on va introduire la formation technique et professionnelle  au niveau du troisième cycle du fondamental. Le programme va démarrer en janvier et on va débuter l’expérience pilote dans 20 écoles de six départements. C’est un vœu du président de la République, de faire en sorte que chaque enfant à la sortie de la neuvième année fondamentale, puisse avoir un métier. Aujourd’hui, ce n’est vraiment pas le cas.

L.N. : Il y a tellement de priorités, il est difficile de parler d’une priorité. Avez-vous une priorité des priorités ?

V.P. : La première priorité, c’est de créer une assise pour le PSUGO. C’est un défi énorme parce que, depuis 1987, la Constitution fait injonction à l’Etat de rendre l’école fondamentale gratuite et obligatoire, il faut comprendre l’effort immense qui est en train d’être fait.  La deuxième priorité est de renforcer la gouvernance du secteur à tous les niveaux. C’est toute une chaîne, il faut donc s’attaquer à tous les maillons. Je parle par exemple des directions départementales qui doivent être renforcées énormément. L’autre chantier que je vais lancer rapidement, c’est la refonte du curriculum. Il y a des valeurs qui disparaissent dans la société, des valeurs qui ne sont plus enseignées à l’école, il faut qu’elles reviennent. Et cela s’enseigne à l’école. Il faut que nous n’ayons plus un système éducatif à plusieurs vitesses. Il faut arriver à former des citoyens qui sont appelés à vivre ensemble, à se comprendre, à se tolérer. Un élément avec lequel on va revenir, c’est l’éducation à la citoyenneté.

L.N. : Ce sont des projets à moyen ou à long terme ?

V.P. : On a tout mobilisé. A partir de janvier, on va lancer ces chantiers. Ce n’est pas vraiment de la spéculation, c’est du concret. Pour les réaliser, il nous faut beaucoup de ressources, matérielles et humaines. C’est  la première fois que l’Etat investit autant dans l’éducation. Tout est déjà prêt. On mobilise tout ce qui doit être mobilisé. C’est un pari qu’on est en train de gagner, et je vous donne la garantie qu’il va y avoir du renouveau pour le secteur de l’éducation.

L.N. : Un message pour tous les acteurs du système ?

V.P. : A tous les acteurs du système, je souhaite un Joyeux Noël, c’est un peu en retard. Que cette année nous apporte du courage, de la détermination, plus de volonté pour  pouvoir faire face aux défis du secteur ! Il faut de la persévérance, un savoir-faire sorti de l’ordinaire pour arriver à refonder le système. L’investissement dans l’éducation, c’est le meilleur. Le président de la République et le gouvernement dans son ensemble ont fait un bon choix : celui d’investir dans l’éducation. C’est le seul secteur où le retour aux investissements est garanti.

Propos recueillis par Valéry Daudier
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