Quand Mélanie et Tony parlent d’Haïti

 

Dans les hauteurs de la Biosphère, vendredi, c’est par une séance entièrement en français que le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a mis fin à sa visite de deux jours auprès de son homologue canadienne, Mélanie Joly. Le décor était celui du Montréal automnal baigné de soleil, le ton, très détendu, mais la véritable toile de fond était Haïti.

La terrible crise qui secoue Haïti.

« La situation est catastrophique. Il y a une épidémie de choléra. Les gens n’ont pas accès à de l’eau potable. Il n’y a pas d’essence pour alimenter les génératrices qui sont nécessaires pour que les hôpitaux fonctionnent. Haïti a fait face à d’immenses défis dans le passé, mais là, la situation va de mal en pis », a résumé Mélanie Joly d’entrée de jeu devant un auditoire composé d’une quinzaine d’étudiants du Centre de recherches et d’études internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) et d’une poignée d’invités triés sur le volet.

On peut ajouter à ça la mainmise des gangs armés sur presque tous les quartiers de Port-au-Prince et sur le terminal pétrolier du pays. Un véritable cauchemar pour la population civile, prise en otage. Et c’est sans parler du gouvernement dirigé par un président non élu, qui a remplacé dans la controverse son prédécesseur, assassiné.

On sait déjà ce que souhaite le secrétaire d’État américain, que Mélanie Joly appelle amicalement « Tony » après l’avoir côtoyé à répétition aux quatre coins du monde au cours de la dernière année. Lui et son équipe l’ont déjà énoncé tout haut. Les États-Unis, qui portent un lourd passé d’interventions militaires et politiques en Haïti, aimeraient que le Canada prenne la tête d’une force d’intervention armée pour ramener l’ordre dans le pays des Antilles.

D’ailleurs, Antony Blinken a eu droit à une petite manifestation bien bruyante, dénonçant le legs américain en Haïti, lors de sa visite au marché Jean-Talon vendredi matin.

Pour le moment, le Canada ne refuse pas le rôle que le voisin américain aimerait le voir jouer, mais il ne s’empresse pas d’enfiler le costume non plus. « Vous faites-vous désirer ? », ai-je demandé à Mélanie Joly, en entrevue après l’évènement de vendredi qui avait des airs de petite séduction à la sauce diplomatique. La ministre a ri.

Pour le moment, le Canada est en mode exploratoire. Une délégation canadienne vient d’arriver en Haïti pour évaluer les besoins et pour parler aux forces vives du pays. Il n’est pas question de s’embarquer dans une quelconque intervention sans légitimité, soutient Mme Joly, rappelant que la Russie bloque pour le moment une intervention au nom des Nations unies. Ça n’empêche pas le secrétaire général de l’organisation internationale, António Guterres, de continuer de demander la création d’une force internationale.

Pas question non plus pour le Canada de faire bande à part. Le pays est en pourparlers avec les États-membres de Caricom, regroupant 15 pays des Caraïbes, ainsi qu’avec des pays africains et latino-américains, intéressés à pousser à la roue.

Tout ça prend du temps. « Chaque jour qu’on attend, il y a des enfants qui meurent », souligne Mme Joly.

Entre-temps, Mélanie Joly et Antony Blinken misent sur un nouveau régime de sanctions qui visera directement ceux qui financent la violence dans le pays le plus pauvre des Amériques. Une première pour le pays. « Il faut mettre de la pression sur les élites qui contrôlent » les groupes armés, croit Antony Blinken.

Il faudra voir si ces sanctions seront plus efficaces que celles imposées à la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine.

Si c’est en coulisses, dans les réunions privées, que se brassent les vraies affaires lors des visites diplomatiques comme celle du secrétaire d’État américain, c’était assez rassurant de voir vendredi les deux chefs de la diplomatie sur la même longueur d’onde.

Tout un contraste avec les visites de haut niveau de l’ère du président Trump, au cours desquelles les sourires étaient beaucoup plus forcés des deux côtés. La guerre en Ukraine, les relations difficiles avec la Chine et la montée des autocraties dans le monde ont rapproché les gouvernements Biden et Trudeau, après des débuts ardus sur fond de protectionnisme américain.

Il faut dire qu’on s’éloigne passablement d’America First (les États-Unis d’abord) de l’administration Trump quand Antony Blinken, en réponse à une étudiante de doctorat qui l’interroge sur les lacunes de l’actuel ordre mondial, répond que les États-Unis ont entamé des discussions avec divers pays pour revoir le fonctionnement du Conseil de sécurité, complètement paralysé par le veto des cinq grandes puissances.

Est-ce que les élections de mi-mandat viendront jeter par terre cette cordialité américano-canadienne retrouvée si les républicains reprennent le contrôle du Congrès et pèsent de tout leur poids dans la politique étrangère américaine ? Mélanie Joly croit que le Canada est prêt à faire face à toutes les configurations politiques à Washington. « Le Canada est le pays le mieux outillé dans le monde pour comprendre les Américains. On est intégrés dans notre approche [diplomatique] à tous les niveaux, que ce soit le fédéral, les provinces, les municipalités, le milieu des affaires. On a appris qu’il faut travailler en équipe et qu’il faut faire respecter les ententes qu’on a signées [avec les États-Unis]. Ma vision pour la gestion des affaires diplomatiques, c’est de défendre l’intérêt national, de le promouvoir, sans compromettre nos principes. Et ça va être comme ça avec les Chinois, tout comme avec les Américains. »

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