Sans forcer sur les traits, le New York Times (NYT) a publié un long article de la journaliste Deborah Sontag sur les ratées de gestion postséisme caractérisée par le gaspillage des milliards de dollars dépensés. Presque tout est allé de travers, a commenté Michèle Duvivier Pierre-Louis, ex-Premier ministre d’Haïti. Elle tance. “Il faut établir les responsabilités pour tout cet argent”, a insisté Pierre-Louis, encore en quête des traces visibles de la reconstruction, trois ans après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010.
La priorité a été donnée aux opérations d’urgence. Celles-ci ont permis de sauver des vies, a indiqué le quotidien new-yorkais, prompt en revanche à souligner que peu d’intérêt a été accordé au “durable”. Le New York Times fournit l’exemple suivant : 215 millions de dollars ont été alloués à la construction de maisons permanentes contre 1 milliard 200 millions dilapidés dans la construction de camps, d’abris provisoires et dans des allocations d’argent à des sinistrés désireux de trouver des maisons à louer.
La construction de logements est difficile. Sur ce front-là, les donateurs ne se bousculent pas, a confié Josef Leitman, du Fonds pour la reconstruction d’Haïti; or, dans ce pays, 357 785 personnes languissent encore sous des tentes dans 497 camps. Quoique Bill Clinton, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, ait pris l’engagement de veiller à ce que l’on reconstruise mieux, le fameux “build back better”, appelant, comme sa femme Hilary Clinton, secrétaire d’Etat américain, à des invetissements sur le long terme, rien n’a changé. Les choses se sont faites comme d’habitude à cause de la dimension de cette catastrophe, de la faiblesse du gouvernement haïtien, d’une CIRH aujourd’hui non fonctionnelle et du business de l’humanitaire, selon le New York Times.
L’action de nombreuses organisations humanitaires a laissé un goût âcre à la bouche de certains. “Nous l’avons appelé le second séisme”, a raillé Jean-Yves Jason, ex-maire de Port-au-Prince. Des donateurs ont fourni 2.2 milliards de dollars pour l’aide humanitaire. Le ministère de la Défense des Etats-Unis en a obtenu presque 1/5 pour effectuer des opérations d’urgence ayant mobilisé 22 000 hommes de troupes. Le gouvernement haïtien a eu moins de 1% de cette enveloppe, a indiqué le New York Times.
En revanche, 15 % de l’aide au relèvement est passée par des canaux gouvernementaux, a poursuivi le journal, citant l’actuel ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, Pamela A. White. Ce pourcentage indique que les donateurs financent des secteurs jugés prioritaires identifiés par le gouvernement haïtien, a-t-elle indiqué, ajoutant que c’est une manière de démontrer que le leadership est vraiment haïtien.
Cependant, presque tous les contrats ont été octroyés à des agences internationales, des ONG, des contractants privés qui ont engagé, à leur tour, des sous-traitants. A chaque étape, des frais d’administration de 7 à 10 % sont prélevés, a révélé le New York Times, citant une étude du Centre pour le développement global. « Tout l’argent est allé dans le paiement des salaires, la location d’appartements onéreux et de véhicules pour des étrangers alors que la situation du pays se dégradait; c’est révoltant”, a fulminé Michèle Duvivier Pierre-Louis.
C’est un sentiment que partagent d’autres Haïtiens. “Les étrangers font tout cinq fois plus cher”, a expliqué le docteur Réginald Boulos, un magnat des affaires, qui a dépensé 780 000 dollars en donnant 400 dollars par famille afin de récupérer une propriété où il avait accueilli des sinistrés après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. « 6% de ce montant a couvert les frais administratifs», a-t-il confié au NYT.
OXFAM, l’une des ONG réputées les plus transparentes, a dépensé 96 millions de dollars ces deux dernières années. Le tiers de cet argent a été utilisé dans le management et la logistique. Médecins sans frontières a dépensé 58 % de ses 135 millions de dollars en 2010 pour son staff et le transport, a révélé l’article de Deborah Sontag du NYT, sans préciser de quelle antenne du MSF il s’agit.
Clinton, quelque peu écorché à l’heure du bilan
Dans ce papier, Bill Clinton est quelque peu écorché. “Comme un outil, la commission était bonne en aidant Bill Clinton à attirer l’attention sur Haïti. Comme outil pour coordonner effectivement l’assistance et gérer la reconstruction, la commission a été un échec”, a confié le docteur Réginald Boulos, membre de la CIRH, coprésidée par Bill Clinton et l’ex-Premier ministre Jean-Max Bellerive.
Alexandre V. Abrantes, envoyé spécial de la Banque mondiale en Haïti, a pris la défense de la CIRH. Cette commision a permis un certain niveau de coordination avec tout le monde autour de la même table. ” Je pense que des gens ont eu des attentes déraisonnables en espérant qu’elle allait être une agence chargée d’implémenter”, a expliqué Abrantes au NYT.
Après que tant de temps et d’argent eurent été investis pour créer cette commission, les gens ont pensé au fait qu’elle prendrait en charge le processus de reconstruction en donnant des résultats . Mais, à la fin, beaucoup estiment qu’il doit y avoir un peu plus que des réunions d’une pseudo-institution, selon un officiel des Nations unies en off. “C’était comme un jeu la façade d’un projet de reconstruction”, a indiqué Priscilla Phelps, une consultante américaine qui a travaillé dans la section logement de la CIRH.
“Nous n’avons jamais joué un rôle proactif en décidant de ce dont le pays avait besoin pour se remettre sur pied et demandant, aux donateurs de financer ces priorités au lieu de financer les leurs”, a expliqué Priscilia Phelps. ” La façon dont l’argent de la reconstruction a été dépensé était totalement chaotique et la CIRH emblématique de cela”, selon elle.
Le New York Times, qui est revenu sur les débuts difficiles de la CIRH, a indiqué que cette commission a avalisé 75 projets pour un montant de 3 milliards de dollars. Ce montant ne signifie pas grand-chose car il inclut des projets pour lesquels il n’y a pas assez d’argent. « Un gap de financement de 1 milliard de dollars existe », a toutefois révélé un officiel international au New York Times.
Le NYT est aussi revenu sur les critiques de la partie haïtienne lors de la réunion de Santo Domingo, en décembre 2010. Les représentants haïtiens avaient dénoncé l’absence de transparence et l’opacité du secrétariat dirigé à l’époque par l’ex-conseiller économique du président René Préval , Gabriel Verret.
Jean-Marie Bourjolly, un Haïtiano-Canadien, professeur de business, membre de cette commission, a indiqué n’avoir pas eu de réponses à des e-mails envoyés au secrétariat de la CIRH. “Après la rencontre, M.Clinton s’est approché de Bourjolly, a mis la main sur l’une de ses épaules et a dit: “vous m’avez embarassé”, a écrit le New York Times. “C’était vraiment dur (tough)”, a relevé Jean-Marie Bourjolly, pour qui le travail de la CIRH “est une pure perte”.
Avec Martelly, il y a une autre approche. De l’argent a pu être trouvé pour financer la location de maisons pour un an en faveur des sinistrés. Certains estiment que c’est une façon de contourner le problème, selon le NYT.࡚
Le NYT a souligné que des donateurs conservent leurs fonds. Ils sont passés au stade de reconstruction. “Les donateurs ont clairement expliqué que la crise humanitaire est terminée. Ils se focalisent sur le développement”, a déclaré Nigel Fisher , coordonnateur des actions humanitaires des Nations unies en Haïti. “Mais, a-t-il souligné, cette dichotomie est fausse. Bien sûr, le pays a besoin de solutions à long terme. En attendant, nous avons besoin de ressources pour gérer les problèmes que nous avons “, a ajouté Fisher à un moment où les projections soulignent que 200 000 personnes vivront encore dans des camps d’ici au quatrième anniversaire du séisme du 12 janvier 2010.
Le NYT, dans ce papier de Déborah Sontag, est revenu sur un ensemble de projets de logements pour lesquels beaucoup d’argent a été dépensé. Ce papier n’a pas fait non plus l’économie de revenir sur certains choix d’investissement sous le label “reconstruction” dans des régions non affectées par le tremblement de terre, dont la construction du parc industriel de Caracol. Le quotidien new-yorkais a aussi rappelé le clientïlisme. Des entreprises du Beltway comme Chemonics international ayant de fortes connections avec les lobbyistes de Washington. L’article du NYT intervient à un moment où certaines entités, dont la Croix-Rouge américaine, n’auraient pas dépensé la totalité des dons obtenus en faveur d’Haïti. Un pays au nom duquel beaucoup d’argent a été collecté, dit-on.