Message à la Jeunesse d’Haïti à l’Occasion de la Journée Internationale de la Jeunesse de Me Jean-Henry Céant

La date du 12 Août est jour commémoratif de la Jeunesse à l’échelle internationale, et ce m’est un grand privilège,  à cette occasion, d’engager le dialogue avec vous,  jeunes, filles et garçons de mon pays, d’autant que cette journée me remet à l’esprit  l’exclamation d’André Gide : ”Ah! La jeunesse, l’homme ne la possède qu’un temps et le reste du temps la rappelle”.  Mes paroles, d’entrée de jeu, je l’affirme, seront des paroles de vérité, loin, très loin, des constats et vœux de circonstances qui s’égrènent au fil des années ou des décennies, et qu’emporte le vent des rhétoriques officielles, nationales et internationales.

Jeunes, filles et garçons de mon pays, savez-vous que l’Assemblée Générale des Nations Unies a célébré en 2005 le dixième (10ème) anniversaire du Programme d’Action Mondiale de la Jeunesse (PAMJ)? Avez-vous entendu parler des Objectifs du Millénaire pour le développement des jeunes? Etes-vous au courant des cinq nouveaux thèmes identifiés et ajoutés aux priorités du Programme d’Action Mondiale de la Jeunesse pour la décennie à venir?

Bref, jeunes de mon pays, savez-vous que depuis 1979 a été créé, en Haïti, le “Commissariat à la Jeunesse et au Sport” qui se transformera en Ministère de la Jeunesse et des Sports” devenu par la suite “Ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique”.  Qu’a-t-il réalisé de significatif, pour qui, comment et avec qui?  En fait, encadre-t-il la jeunesse de notre pays?  A-t-il une loi organique?

Les réponses sont connues, que charrie l’écho des sollicitudes présidentielles ou l’incertitude d’actions conjoncturelles ou sporadiques, le plus souvent non inscrites dans un plan global.

Oui, les réponses sont connues et disent des faits, des habitudes relevant du dicton «pito nou lèd nou la», en contradiction avec l’idéal de grandeur qui a inspiré nos Ancêtres et inscrit Haïti dans le concert des nations.

Aussi, je vous parlerai vérité, et je dirai qu’il serait bien difficile de trouver un lieu où être jeune serait une malédiction quand ce ne serait pas un crime, comme en Haïti. Certes, il n’en a pas toujours été ainsi, bien des plus de 50 ou de 60 ans prennent plaisir à évoquer les joies du passé…  Oui, bien que les premières pages du roman posthume et célèbre de Jacques Roumain débute avec les lamentations de Délira : «Nous mourrons tous», et que le jeune Manuel, son fils bien aimé, ait été forcé d’émigrer à Cuba, pour chercher une vie meilleure dans la ZAFRA.

Tandis que jeunesse et futur doivent se conjuguer pour ouvrir la voie au développement, ici en Haïti, malheureusement, force est de reconnaître que lorsqu’il est question du statut de notre Jeunesse, de ses conditions de vie, passé et présent se donnent la main pour obstruer les voies de l’avenir. C’est là l’une des situations qui confortent  Haïti dans son statut de seul PMA (Pays moins avancé) de l’Amérique, dans sa définition d’État failli, incapable de satisfaire les multiples besoins primaires des différentes composantes de sa population, dont les jeunes en particulier.

Considérons un peu l’état des lieux.

Selon les critères des Nations Unies, la Jeunesse englobe la tranche d’âge située entre 15 et 24 années.  En Haïti, la tranche d’âge proposée par le Ministère de la Jeunesse est de 15 à 34 ans. Il y a là matière à questionnement.

Pour le moment, retenons que cette catégorie sociale représente près de 58% de la population haïtienne, soit la majorité statistique prise dans les mailles de l’exclusion, fléau caractéristique des modalités de rapports sociaux qui prennent un relief de tragédie dans un pays historiquement en crise.  Haïti est confronté aujourd’hui au défi d’un monde et d’un environnement en situation de redéfinition.

D’abord, il faut noter que la Jeunesse haïtienne est composite et que nos jeunes vivent dans des réalités, des traditions, des environnements différents, selon qu’ils évoluent dans la capitale ou les villes de province, en milieu urbain ou rural, dans un bidonville ou un quartier résidentiel décent. Et sans aucun doute, ils alimentent les statistiques de 1995 inscrites dans le Programme d’Action Mondiale de la Jeunesse des Nations Unies avec DEUX CENTS MILLIONS (200,000,000) de jeunes vivant dans la pauvreté, CENT TRENTE MILLIONS (130,000,000) de jeunes analphabètes, QUATRE-VINGT-HUIT MILLIONS (88,000,000) de jeunes sans emploi et DIX MILLIONS (10,000,000) de jeunes atteints du “VIH SIDA”.  Quand on y aura ajouté les quelques millions concernés en tant que victimes ou partenaires de la délinquance, des pratiques de la drogue, de la violence etc.., on achèvera d’avoir un tableau des sombres réalités des jeunes dans le monde d’aujourd’hui.
En ce qui concerne précisément  notre Jeunesse, ses besoins, à tous les niveaux, eu égard à l’éducation, l’emploi, l’environnement, la sécurité, le logement, etc. sont carrément ignorés.  La jeunesse n’est pas que Sport et Loisirs, et là encore!
L’offre scolaire, de façon générale, est limitée, et les carences frappent particulièrement les jeunes des milieux ruraux. Il en est de même lorsque l’on considère la qualification des professeurs, la qualité de l’éducation dispensée en milieux scolaires fréquentés par les jeunes évoluant dans un environnement marqué par la pauvreté et la délinquance. Quant aux carences de l’emploi, des soins de santé, du logement, elles n’ont fait qu’empirer, de même que celles de la sécurité, particulièrement dans le climat postérieur au séisme du 12 Janvier 2010 qui a entraîné des effets catastrophiques tant sur les plans physique qu’humain.
Là ne s’arrête pas la tragédie de nos jeunes. La vérité, toute la vérité doit être dite. Le voile doit être levé pour montrer, dans toute sa monstruosité et ses effets négatifs, la stigmatisation, fille de l’exclusion, qui frappe de plein fouet la jeunesse haïtienne non seulement dans l’éducation, mais également dans la justice où ils sont préjugés coupables; dans le travail où déjà ils n’ont pas accès, ils sont suspectés  de turbulence; dans la famille où certains subissent la loi de traditions post coloniales et sont ainsi soit privilégiés, récusés ou rejetés; dans la politique où certains ont des droits auxquels d’autres ne sauraient aspirer; dans l’économie, dans l’Etat où une étrange ségrégation qui n’ose pas dire son nom bloque la mobilité sociale et fixe les jeunes dans l’errance et l’incertitude des jours ce, malgré souventes fois des qualifications certaines. Et enfin, il y a des jeunes issus de milieux aisés et ceux de milieux pauvres,  jeunes des villes et jeunes du “pays en dehors”, jeunes instruits et jeunes analphabètes; ceux jugés  “moun”, acceptables en tout lieu et saison, et d’autres frappés d’interdits qui ne sont pas “moun”…  Tous les jeunes du Pays, sans exclusive ni discrimination, doivent bénéficier des mêmes opportunités.

Quand on sait que la Jeunesse est l’avenir d’un pays, quand on sait que la jeunesse représente plus de 58% de la population haïtienne, l’on ne peut se limiter à cerner et à mettre en relief les contours d’une situation aussi désastreuse. Quels que soient le poids du passé et les stigmates du présent, il appartient aux hommes et femmes de progrès  d’œuvrer pour créer des conditions de vie différentes où nos jeunes se plairont à évoluer, dans la plénitude de droits et de devoirs à exercer et à accomplir, dans la plénitude de la vie, tout court.
Pour cela, et dans le contexte précis d’Haïti, compte tenu de son histoire, de ses traditions, il s’impose à nous d’opérer un choix fondamental qui implique une véritable redéfinition de notre attitude face à la jeunesse, et entraîne la mise en place d’un cadre de dialogue initié à partir d’un projet centré non seulement sur une véritable prise en charge de la jeunesse (sans démagogie ni saupoudrage) mais aussi et surtout l’intégration et la préparation de nos jeunes, appelés désormais à remplir leur rôle comme poto-mitan de nos entreprises scientifiques, économiques et sociales, porteuses des nécessaires changements à opérer.
En somme, il s’agit de donner sa chance à chaque jeune haïtien, fille ou garçon, de lui faire confiance, de lui ouvrir toutes grandes les portes de l’éducation à tous les niveaux,  de le supporter dans sa marche vers l’apprentissage et la maîtrise des technologies de pointe, de même que celles relatives à l’agriculture, à l’agro-industrie, au tourisme, à l’éco-tourisme, à l’industrie, à l’informatique, au commerce, à l’entrepreneuriat.

L’ère du soupçon, voire de l’indifférence ou du mépris, doit céder la place à celle de l’engagement, de la confiance et de l’accompagnement, expressions d’une volonté commune, en accord avec l’esprit et la lettre des prescrits démocratiques de notre Constitution.
Engagement des jeunes, d’abord à se former, à préparer leur avenir, dans le respect des normes, des valeurs morales,  d’efforts dans le travail, qui se sont imposés à tous les êtres de bonne foi, normes et valeurs qui ont servi d’étais aux élites dirigeantes d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, quand il a fallu opérer les nécessaires réorientations destinées à changer la vie d’un peuple à un moment décisif de son histoire.
Confiance qui servira de socle aux élans de la jeunesse haïtienne qui doit réapprendre à croire en lui-même, en son destin et en celui de son Pays. Confiance qui doit motiver nos jeunes à se battre pour l’intégration de tous les Haïtiens dans notre quête de concertation, de dialogue et d’entente pour la réaffirmation des Idéaux de nos Preux et Vaillants de 1804 qui ont donné au concept de liberté sa signification multi- dimensionnelle. Confiance qui fera luire les rayons d’espoir, espoir construit dans la détermination des jeunes pour un vrai changement: le changement pour toutes les catégories sociales.

Encadrement des jeunes par les aînés, tâche qui exige une synergie alliant la vigueur de la jeunesse à  l’expérience des adultes.  Ce moment, il est là.  Moment de concertation, de “têtes ensemble” où,  jeunes filles et garçons d’Haïti, conscients de l’ampleur des tâches à accomplir et animés du plus grand amour pour le pays, accèdent au timon des affaires…
Aussi, faut-il initier nos jeunes au commandement, aux prises de décisions collectives, les familiariser avec l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, les intégrer à des expériences de bénévolat et de service civique, tout en donnant de la visibilité aux réalisations faites et aux modèles d’excellence.
Bref, il s’agit de valoriser et de développer les éléments constitutifs d’une culture d’implication sociale  qui nous permettra,  par nous-mêmes et avec l’aide d’autres, et surtout les Vrais Amis d’Haïti, de réaliser positivement les tâches historiques non accomplies au cours de notre évolution de peuple.
C’est là que l’investissement dans la Jeunesse  aura son sens et toute sa justification. Faire de la jeunesse le présent, non plus le représentant d’une certaine “relève” qui tarde trop souvent à s’affirmer, faute d’encadrement. C’est Jean Paul II qui disait le 7 Avril 1985 : “Une mission difficile mais en même temps passionnante attend la jeunesse: Transformer les mécanismes fondamentaux qui provoquent égoïsme et oppression dans les relations entre Nations et créer de nouvelles structures s’orientant vers la vérité, la solidarité et la paix”. A cela s’ajoute l’affirmation non moins profonde d’Alfred de Vigny “Une grande vie est une pensée de la jeunesse exécutée par l’âge mûr”.

Pour « Construire un monde meilleur en association avec les jeunes », la jeunesse haïtienne doit être prête car elle est une force. Qu’elle soit, dans l’immédiat et dans l’urgence, mise à la construction du développement, de la Paix et de la Démocratie pour notre Pays épuisé d’attendre.

Je veux également dire qu’assurer les conditions de vie – santé, éducation, alimentation, logement, sécurité, loisirs, – adéquates à l’épanouissement de la jeunesse, c’est, fondamentalement, contribuer à mettre un terme à cette triste et absurde réalité d’Haïti conçue et vécue par ses fils comme une terre de passage, un lieu d’exode pour les paysans, un lieu d’émigration pour les urbains.
Il est temps de tourner nos regards vers l’intérieur. “Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie”, chantait le grand poète romantique français, Alfred de Musset.  Le parodiant, disons que la jeunesse est le cœur d’Haïti, la jeunesse est le génie de la nation.  En dehors d’elle, aucun avenir n’est possible. La condition sine qua non au progrès d’Haïti, c’est en priorité, l’investissement dans sa jeunesse.

C’est pourquoi, je plaide pour la mise en place des fondations d’une Décentralisation qui, ayant pour points de départ, l’éducation, la responsabilisation, l’encadrement, les transferts de compétences, de savoir et de savoir-faire, l’emploi et l’autonomie des jeunes, réconciliera la nation avec elle-même, écartant a jamais le spectre de l’exclusion qui appauvrit, divise et entretient haines et conflits.

Jeunes, on doit cesser de faire de vous, ces enfants de paysans, d’ouvriers et de bidonvilles qui n’ont pas eu d’enfance!

Jeunes, on doit cesser de faire de vous, ces chômeurs stigmatisés par les carences éducatives, économiques, sociales et environnementales!

Jeunes de mon Pays, vous êtes l’avenir d’Haïti, vous êtes le poumon de la vie nationale, vous êtes la dernière chance de ce coin de terre!

Impliquez-vous!  Réclamez ce à quoi vous avez droit: encadrement, opportunités et égards afin d’être prêts pour la prise en mains des destinées de notre pays en collaboration honnête et sincère avec toutes les autres générations.

Il nous reste encore ce choix aux allures de Révolution. Mais !!! Ce sera une Révolution pacifique, ayant pour seule arme l’éducation et pour seul horizon: l’inclusion, dans l’ordre et la paix, l’entente entre tous les citoyens, tous anoblis, jeunes parmi les jeunes, sur la foi de la solidarité intergénérationnelle, fondée et entretenue. Voilà mon rêve pour la Jeunesse de mon Pays qui élèvera les remparts d’une nouvelle Haïti, solidement édifiée dans nos cœurs et nos têtes.
Port-au-Prince, le 12 août 2012.

Me Jean- Henry Céant

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