L’épidémie de gale actuelle en Haïti. Pourquoi a-t-elle été difficile à identifier ?

Dans un avis émis le 28 janvier 2021, le ministère de la Santé publique et de la Population avait attiré l’attention de la population sur la détection d’une épidémie qui présente des similitudes à la gale dans plusieurs « régions du pays ». Pourtant, depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, de nombreux réseaux sociaux et certains organes de presse en ligne s’étaient fait l’écho de la survenue de flambées de gale dans plusieurs localités du pays, notamment dans le département de l’Ouest (l’île de la Gonâve et les communes de Carrefour, de Léogâne, de Petit-Goâve, de Pétionville et de l’Arcahaie). Il faut déduire aussi de l’avis du ministère qu’il y a eu au départ des doutes sur l’identification des troubles dermatologiques qui affectent les populations concernées au point que certaines personnes avaient tendance à penser à une forme particulière de coronavirus, d’autres à un type de gale spécifique ou à une autre forme d’affection dermatologique. Notre propos s’articulera autour de trois questions majeures. D’abord, de quelles données dispose-t-on à ce jour sur cette affection qui progresse à grands pas dans le département de l’Ouest et qui est sans doute en train de se répandre ailleurs dans le pays ? Ensuite, les conditions sont-elles réunies actuellement pour faire face à l’explosion de plus en plus inquiétante de cette maladie ? Enfin, pourquoi a-t-il été difficile d’identifier la maladie cette fois-ci en Haïti ?

1. Qu’est-ce que la gale ?

Ma première démarche consistera à aider le lecteur à faire connaissance avec l’affection connue sous le nom de gale.

1.1 La gale est une maladie de la peau

La gale ou scabiose (ou encore sarcoptose) est une maladie infectieuse de la peau causée par un parasite de type acarien microscopique, mesurant 200 à 350 μm de longueur, qui s’appelle sarcopte (Sarcoptes scabiei). C’est une maladie ubiquitaire qui affecte environ 300 millions de personnes dans le monde et qui n’épargne aucun pays. Il s’agit au départ d’une affection contagieuse bénigne, c’est-à-dire sans gravité. Le principal symptôme de la gale humaine est la démangeaison ou prurit dans la terminologie médicale ou gratèl en créole. Les démangeaisons intenses liées à la maladie surviennent surtout la nuit et sont dues à une réaction allergique au sarcopte.

On sait de plus que le parasite est très résistant. « Il peut vivre longtemps. Les mâles et les femelles se reproduisent sous la peau des patients, et c’est ce qui cause les démangeaisons », comme le souligne le docteur Boutroce Gally Pierre qui opère sur l’île de la Gonâve.

La démangeaison et le grattage liés à la gale sont souvent ressentis dans des espaces entre les doigts, des poignets, des aisselles, des seins chez les femmes, de l’anus, des organes génitaux chez les hommes surtout et du ventre autour du nombril. Mais la maladie peut s’étendre partout sur le buste comme on le voit dans les images montrant les malades ayant circulé sur les réseaux sociaux.

La première conséquence des démangeaisons se manifeste par des lésions cutanées dues au grattage qui peuvent ressembler à des lésions d’eczéma (rougeurs et croûtes notamment). Par la suite, on observe des lésions en plusieurs parties du corps pouvant dégénérer en infection. Si la maladie n’est pas soignée, elle peut évoluer en une surinfection bactérienne et déboucher « sur une lymphangite, une cellulite, une insuffisance rénale, une septicémie, voire la mort » comme le dit docteur Elsie Ovide Jean Baptiste, professeur de dermatologie à la Faculté de médecine de l’UEH.

La transmission de la maladie se fait suite à un contact direct avec une personne infectée. Tout individu est susceptible de contracter la gale. Cependant, les nourrissons, en raison des contacts fréquents avec leurs parents ou d’autres membres de l’entourage, les jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes atteintes du VIH, les personnes dont le système immunitaire est affaibli (immunodépression) sont plus susceptibles de se faire infecter.

Le profil lésionnel est celui d’une dermatite dont le diagnostic peut être établi à l’examen clinique ou nécessiter un prélèvement.

1.2. Comment la maladie se développe-t-elle ?

La maladie se développe au sein des populations qui sont confrontées à des conditions d’hygiène défectueuse, se trouvant notamment dans l’incapacité de se laver de manière suffisante. C’est d’ailleurs le cas en Haïti pendant la saison sèche (octobre à mars-avril) ou pour des habitants vivant dans des endroits souffrant de stress hydrique ou qui sont réticents à se nettoyer lorsque la température mensuelle moyenne chute de trois à cinq degrés Celsius par rapport aux mois les plus chauds. Ajouter à cela la promiscuité qui est le lot des plus pauvres vivant à plus de cinq personnes dans une chambre et ne pouvant pas s’acheter des produits de toilette nécessaires à leur hygiène corporelle (savons et produits désinfectants comme le chlore). Et pour cause un assez grand nombre d’entre elles tombent alors malades avec le risque de contaminer leurs proches. Rappelons que le taux de reproduction de la gale est très élevé pour l’entourage immédiat et qu’il suffit qu’une seule personne soit contaminée pour que le mal se répande à toute la maisonnée, voire à tout l’entourage en plus de ses contacts scolaires ou professionnels.

1.3 Les types de gale

Il existe plusieurs sous-types de ce parasite, surtout chez les animaux.

1.3.1 Les types de gale

La gale des animaux qui affecte essentiellement les mammifères. Il en existe plusieurs sous-espèces spécifiques de plusieurs animaux : canis pour le chien, ovis pour le mouton, equi pour le cheval, cati pour le chat, cameli pour le chameau, etc. La gale de l’animal est due à un Sarcoptes scabiei différent de celui de la gale humaine. Le chien peut contaminer l’homme ; mais, la personne contaminée de cette manière ne peut transmettre le parasite à un autre humain. On parle d’impasse parasitaire.

1.2.2 La gale humaine

Le principal symptôme de la gale humaine ou hominis est la démangeaison ou prurit dans la terminologie médicale. Le profil lésionnel est celui d’une dermatite dont le diagnostic peut être établi à l’examen clinique ou nécessiter un prélèvement.

1.2.2.1 La gale commune

La gale commune est la forme la plus fréquente. Elle est en rapport avec la présence de sarcoptes peu nombreux sur la peau. C’est une maladie qui se transmet par des contacts corporels fréquents et réguliers, comme chez les membres de la même famille, ou en collectivité, et la contamination d’un individu se manifeste entre le premier jour et plusieurs semaines.

1.2.2.2 Les autres formes de gale

D’autres formes de gale humaine peuvent se rencontrer suivant l’âge des individus, leur condition sociale ou encore suivant leur capacité immunitaire :

— la gale du nourrisson qui peut avoir une présentation trompeuse, avec irritabilité, agitation et anorexie, où le prurit et les lésions spécifiques peuvent manquer, les lésions pouvant atteindre le visage ;

— la gale pauci-symptomatique, ou invisible, ou « des gens propres », est caractérisée par un prurit sans lésion cutanée ;

— la gale profuse, ou disséminée, est caractérisée par de nombreuses lésions diffuses, y compris sur le dos ;

— la gale hyperkératosique, ou « norvégienne », qui se caractérise par un prurit discret ou absent et une hyperkératose, touchant l’ensemble de la surface corporelle ; elle se développe plus volontiers chez les personnes âgées et les personnes immunodéprimées ;

— enfin, la pseudo-gale qui est due à une infestation par un sarcopte non spécifique de l’espèce humaine et caractérisée par un prurit localisé sans lésion spécifique.

2. Pourquoi des doutes sur une maladie connue depuis longtemps dans le pays ?
On comprend vraiment mal pourquoi le ministère de la Santé publique et de la population qui a à son actif des épidémiologistes de très grandes compétences n’a pas été affirmatif sur la nature de la maladie de la peau qui frappe selon lui depuis le mois de janvier 2021 et sans doute bien avant selon d’autres sources des centaines de personnes dans le pays.

2.1 Les cas signalés avant l’épidémie actuelle

On avait en effet signalé en janvier-février 2020, à la veille de la déclaration des premiers cas de Covid-19 dans le pays, une flambée significative à Marmelade et à Saint-Michel de l’Attalaye. Par ailleurs, des médecins en service aux Centres Gheskio avaient fait état de la réception de nombreux patients touchés par cette maladie, venus de la région des Cayes depuis le mois de novembre 2020.

De toute façon, la gale est une affection endémique qui resurgit généralement chaque année entre octobre et mars en plusieurs points du territoire haïtien — dont le Plateau Central — à la faveur de la saison sèche où les gens ne trouvent pas assez d’eau pour leurs besoins domestiques et où ils sont réticents à se laver en raison de la baisse relative des températures.

En effet, selon un article publié le 6 février 2021 par Jameson Francisque dans Ayibopost, le coordonnateur du CASEC de Petit Palmiste dans l’île de la Gonâve, avait déclaré que la maladie était bien présente dans cette localité, « il y a six ou sept mois » et que « les gens se grattaient en cachette » et « qu’on ne pouvait pas savoir ce qu’ils avaient ». Certains médecins vont jusqu’à penser que le « confinement relatif » en lien avec le Covid-19 serait en lien avec le développement de « l’épidémie actuelle ».

Dans la Grande-Anse aussi, dans des zones reculées comme Fond-Cochon, la gale sévit depuis plusieurs mois, selon les médecins en service dans le département qui se sont plaints de l’absence de moyens pour faire face à la maladie.

2.2 Les caractéristiques de « l’épidémie actuelle »

Les doutes sont en partie justifiés par certaines caractéristiques particulières de l’épidémie de gale au cours de la saison sèche 2020-21. En effet, les signes constatés au cours de « l’épidémie actuelle » présentent des différences par rapport aux cas que l’on a l’habitude d’observer dans le pays où les vésicules dues au grattage et les lésions sont localisées dans les espaces interdigitaux (doigts de la main et du pied) ainsi qu’au niveau de l’anus.

Dans « l’épidémie actuelle » qui sévit dans le pays, les vésicules et les lésions sont surtout localisées sur la face du buste ainsi qu’au niveau des bras, des coudes et des cuisses.

On en trouve aussi au niveau du cuir chevelu qui n’est pas traité avec les mêmes médicaments que pour les autres parties du corps parce qu’on le soigne avec le kétoconazole (R41400) qui est l’antifongique idéal recommandé pour le traitement de la teigne.

2.3 Quid de la prévalence de la maladie ?

En ce début de la dernière semaine de février 2021, il est impossible de savoir l’ampleur de « l’épidémie actuelle. On a vu qu’au départ, les échos de la maladie étaient essentiellement répandus par les réseaux sociaux. Certes, par la suite, le ministère de la Santé publique et de la population a assuré la relève et même le lead en ce qui concerne la prise en charge des malades. Cependant, au regard de la configuration actuelle, on peut se demander s’il dispose des moyens matériels et humains pour faire face à “l’épidémie”. Que sait maintenant de l’ampleur du mal d’autant que les zones mentionnées dans l’avis du ministère de la Santé publique et de la population restent très partielles par rapport à ce qui était signalé dans les réseaux sociaux depuis plusieurs mois ?

Pour ce qui concerne ce qui serait le démarrage de “l’épidémie actuelle”, l’île de la Gonâve semble en avoir été le point de départ, au mois de décembre 2020 où quelque 200 patients sur 500, (40 %) qui avaient consulté présentaient des lésions dermatologiques caractéristiques de la gale », selon le docteur Wilnique Pierre, responsable du programme de formation en épidémiologie de terrain au MSPP.

Pour répondre à la question portant sur la prévalence de la maladie, il faudrait que certains problèmes soient résolus au préalable. D’abord, que de nombreux centres de santé et des dispensaires, voire des hôpitaux de l’arrière-pays fermés depuis quelques années soient remis en service. Ensuite, que les agents du système sanitaire haïtien acceptent de rester à leur poste dans des lieux reculés quand ils y sont affectés. Troisièmement, qu’une collaboration soit établie entre les ministères de la Santé publique et de l’Agriculture en vue d’identifier éventuellement des animaux porteurs du parasite de la maladie, le Sarcoptes scabiei. Que le ministère de la Santé publique oblige les formations sanitaires à mieux tenir les registres internes avant de lancer une enquête approfondie en vue du dénombrement des cas de sarcoptose dans les zones affectées par la maladie.

Autant d’éléments dont il faudrait tenir compte pour une meilleure gouvernance du système de santé dans le pays en mettant éventuellement à contribution des moyens informatiques.

3. Le traitement de la maladie

Deux aspects sont à considérer pour ce qui concerne le traitement de la gale : l’aspect préventif et l’aspect curatif.

3.1 Les mesures mises en place pour combattre « l’épidémie de gale »

Pour ce qui concerne l’aspect préventif, les mesures essentielles sont l’hygiène corporelle, le lavage régulier des mains et du corps, le repassage des vêtements et leur exposition au soleil. D’autre part, la population est invitée à consommer de l’eau potable au lieu de l’eau de pluie ou celle des rivières.

Les zones où sévit la gale doivent être correctement approvisionnées en eau potable pendant et après la période d’intervention des autorités centrales pour éviter la recrudescence de « l’épidémie ». C’est le travail qui a été confié à la DINEPA qui a été appelée à la rescousse des habitants des sections communales de la Gonâve pour leur fournir ponctuellement de l’eau potable. Il faut signaler que des actions bénévoles n’ont quelquefois pas abouti parce qu’en certaines localités, on a beau fouiller la terre sans trouver de l’eau comme dans la Grande-Anse, selon les dires de Content Renil CASEC de la quatrième section de Petit Palmiste.

Par ailleurs, le ministère de la Santé publique et de la population a déployé depuis son annonce le 28 janvier des cliniques mobiles dans les communes et sections communales touchées par « l’épidémie ».

Pour ce qui concerne l’aspect curatif, on sait que le traitement de la gale fait appel à des médicaments — dont le principe actif est le benzoate de benzyle — utilisés par voie orale comme l’ivermectine (en comprimés) ou cutanée sous forme de crème comme le Gamesan, d’émulsion comme l’Ascaribiol ou de lotion comme le Galocur très souvent prescrit en Haïti ou l’Acari bial. Pour que le traitement soit efficace, tout l’entourage doit être soumis en même temps au traitement et à la décontamination des vêtements infectés et même de l’ensemble du lieu d’habitation. Il importe aussi que les lotions ne doivent jamais entrer en contact avec les muqueuses sous peine de provoquer des accidents mortels.

Pour les cas qui se compliquent, le ministère a prévu de les transférer dans des centres de santé où ils trouveront les soins nécessaires, avait déclaré le directeur départemental de l’Ouest de la Santé, le docteur Bénèche Martial le 28 janvier dernier.

Même si le Galocur est le moins cher des médicaments utilisés contre la gale, autour de 500 gourdes le flacon, les choses deviennent problématiques dès qu’il s’agit de traiter une famille nombreuse, parce qu’il faut ajouter le coût des savons, des désinfectants et éventuellement des autres médicaments comme des antibiotiques en cas d’infection. Car on ne peut pas compter sur le ministère de la Santé publique et de la population pour la distribution de médicaments à tous les patients atteints de cette démangeaison de la peau.

Enfin, pour compléter, on sait que des interventions de médecins, de particuliers, et d’autorités locales sont en cours dans les zones en proie à « l’épidémie » comme dans la quatrième section communale de Petit Palmiste.

3.2 Les effets secondaires du traitement contre la gale

Le Galocur vient en tête des méthodes de traitement utilisées en Haïti, selon les médecins et les pharmaciens qui en vendent beaucoup pendant la période actuelle. Mais Hugues Henrys, spécialiste en épidémiologie, avertit des effets néfastes d’une mauvaise utilisation, affirmant que « les produits pour combattre la gale ne sont pas sans effets secondaires. On peut même dire que ce sont des poisons ». D’autre part, si la gale est infectée, il est recommandé de consulter le médecin avant de prendre ce médicament qui est très agressif contre les muqueuses. En effet, des convulsions peuvent survenir en cas de contact du benzoate de benzyle avec la peau, qui est une substance contre-indiquée chez le nouveau-né tandis que le temps d’application du produit doit être réduit chez le nourrisson.

Enfin, ce médicament peut être utilisé avec beaucoup de modération chez la femme enceinte et l’allaitement doit être interrompu en cas de gale pour éviter la contamination du nourrisson par contact.

Conclusion

Au cours de la période de propagation silencieuse de la gale, on a vu que des efforts louables ont d’abord été tentés localement par des médecins volontaires ainsi que par diverses organisations pour protéger les populations. Par la suite, on a assisté à l’intervention des services du ministère de la Santé publique et de la Population qui a, non seulement mené une campagne de sensibilisation, mais aussi procédé à la distribution de médicaments et de divers produits pour venir à bout de « l’épidémie ». Cependant, à ce jour le ministère dont le budget est connu pour être l’un des plus faibles au sein du gouvernement semble de toute évidence ne pas disposer des moyens pour mesurer l’ampleur du mal ni pour le conjurer si la situation s’aggravait. C’est sans doute pourquoi il ne peut pas encore prendre le risque de parler d’épidémie. D’après les déclarations des soignants relevant de la société civile, il sera bien difficile dans les conditions actuelles de contenir l’expansion de la maladie à la fois en raison du comportement des individus touchés par la maladie et du manque de moyens financiers des populations qui en plus sont loin de suivre à la lettre les consignes des médecins et des agents de santé. Le tout premier obstacle demeure la croyance que beaucoup de patients considèrent la gale comme une maladie surnaturelle résultant des maléfices de personnes malveillantes. De plus, là où la gale sévit fortement, les efforts n’ont pas semblé porter fruit jusque-là, comme il a été constaté jusqu’en janvier à la Gonâve en raison du manque d’accès à l’eau, de la propension des familles à cacher la maladie et des croyances superstitieuses des patients et de leurs familles. Il importe que les autorités sanitaires et les autres catégories d’intervenants ne fassent preuve de la moindre relâche pour venir à bout de « l’épidémie »

Jean SAINT-VIL
jeanssaint_vil@yahoo.fr

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