Le rara authentique et ses dérivés

Le Matin: Les instruments traditionnels : tambour, bambou, sifflet, fwèt kach, clairon, kone et jonc caractérisent le rara authentique. Le saxophone, la trompette, le tamtam, la boîte à rythme et les chants du carnaval s’en mêlent depuis plus d’une décennie. D’aucuns plaident en faveur d’un retour à la source.

Le rara qui imprègne fortement la culture populaire haïtienne suscite, avec raison, de l’intérêt dans la presse locale à l’occasion de la fête des Pâques. Durant cette période, professeurs, musiciens, chercheurs réfléchissent sur ce phénomène culturel multidimensionnel. Ils sont surtout préoccupés par l’accélération du processus d’acculturation du rara.

Le rara authentique

Les instruments traditionnels jouent un rôle fondamental dans le rara authentique. Tambours (kata), bambous, vaksin, graj, cornets de zinc que le soufflant percute avec des baguettes sont couramment utilisés dans le rara original.

Le chant constitue un élément identitaire du rara. Un samba est chargé de composer des chansons inspirées le plus souvent des phénomènes sociaux qui ont marqué la localité concernée.

Le rara sort généralement d’un péristyle. La bande est formée sous l’égide d’un loa ou d’un saint protecteur. C’est ce qui explique que le nom d’une bande n’est pas choisi au hasard. Une cérémonie mystique lance traditionnellement les festivités. Liminasyon. Fwote beny. Dès le mercredi des cendres, les comités directeurs des bandes de rara commencent la mobilisation pour être fin prêt, le vendredi Saint, sur les plans mystique, financier et musical. A partir du dimanche des rameaux, les bandes se trouvent dans l’obligation de Kase fèy. Certains groupes disposent d’un endroit approprié pour le déroulement de cette cérémonie. D’autres utilisent leur habitation. Le Bòkò du groupe ramasse, à l’occasion, beaucoup de feuilles à utiliser pour des frictions avant les grandes sorties de la bande. Ces frictions sont nécessaires, car elles protègent contre les malfaisances des bandes rivales qui peuvent penser à nuire à la bonne performance du groupe. Ce bain magique permet aux fêtards de parcourir à pied des kilomètres sans être fatigués.

Le major jonc dans le rara constitue une marque d’originalité. « Les traces des majors jonc se retrouvent chez les Mayas notamment à Yucatan au Mexique », a fait remarquer le professeur Jean Coulanges. Les jongleurs dans le rara sont dotés d’une dextérité légendaire. Très peu de localités conservent cette tradition dans le rara. Cependant, beaucoup de jongleurs sont morts et malheureusement la relève n’est pas assurée. Des dirigeants de rara promettent de former de jeunes majors jonc pour renouer avec la tradition.

Le pseudo rara

De nos jours, une catégorie de bandes utilise le saxophone, la trompette, le tamtam et le bass-drum marquant le rythme. Il s’agit des bandes à pied. Les soufflants qui ont travaillé durant les trois jours gras (le carnaval) monnayent leur talent dans les bandes de rara. Leur présence met à mal l’originalité du rara. Ils interprètent les mêmes séquences des méringues carnavalesques. Les sambas composent de moins en moins de chansons. On entend des bandes dans certains endroits de la zone métropolitaine reprendre des refrains de Brothers Posse, de Kings Posse et de Djakout. Ce phénomène étend ses tentacules à Léogâne et dans d’autres communes du pays. Les bandes à pied qui revêtent le manteau des bandes de rara sont devenues tellement influentes dans la période pascale que d’aucuns essayent d’assimiler le rara à une sorte de carnaval rural.

Contre le concept carnaval rural

« Le Rara n’est pas du carnaval rural », a contesté Jean-Yves Blot, professeur à l’université d’Etat d’Haïti. Le professeur répudie l’opinion selon laquelle le carnaval serait une fête urbaine alors que le Rara serait une manifestation rurale.

Jean-Yves Blot a précisé que le Rara n’est pas seulement la fête, les réjouissances. Il s’inscrit aussi dans une culture et plus précisément dans la religion vaudou marquée par des expressions corporelles et danses. La danse dans le vodou est sacrée, a soutenu monsieur Blot.

L’origine du rara

« Originellement le rara est de tradition indienne. Le phénomène a évolué et a été récupéré par les esclaves qui profitaient de leur temps libre pour se divertir. Les houes, les serpettes, les lambis (à l’instar d’une corne de bœuf) des Indiens constituaient, entre autres, leurs instruments de base », a argumenté Louis Lesly Marcelin dit Samba Zao.

« Le rara est un héritage des Tainos qui habitèrent l’ile avant la colonisation », a soutenu l’anthropologue Jean Coulanges rappelant que « le rara est lié à l’équinoxe de printemps, jour consacré par les Mayas à la nature ».

Le rara, héritage ancestral et culturel, occupe une place importante dans la paysannerie haïtienne. Une véritable fête rurale à l’occasion de laquelle les familles d’une même localité partagent leurs émotions et expriment leurs frustrations.

Hudler Joseph

josephudler@yahoo.fr

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