A quoi peut rêver un premier Ministre sinon d’être Président ?
Au pays merveilleux d’Haïti où rêve et réalité ne font qu’un, il se dit déjà que l’actuel premier Ministre, Laurent Salvador LAMOTHE, caresse le projet de se porter candidat aux prochaines élections présidentielles de 2015. De la cité de Dumarsais ESTIMÉ, siège de la Primature au Champs de Mars, siège de la Présidence, la distance plutôt courte autorise tous les espoirs et invite à la marche ce grand commis de l’Etat qui peut, de façon légitime, se prévaloir en plus de l’appui du chef de l’Etat, Michel Joseph MARTELLY, son ami et frère de longue date. Est-ce à dire que tout est joué et qu’en promenade ‘’je klè’’, en un parcours ‘’tèt dwat’’, Laurent Salvador LAMOTHE se retrouvera à la Maison Blanche, successeur élu de Michel Joseph MARTELLY dont il assurera la continuité gouvernementale ?
Autant l’ambition paraît légitime, autant s’élèvent questions et préoc-cupations, les unes et les autres liées à ce qui constitue les paramètres de force d’une problématique électorale propre à Haïti, complexe et déroutante. Autant également rappeler que si, de la Primature à la Présidence, la victoire s’évalue à une course de mille (1,000) mètres, Haïti est cependant « terre glissée » et qu’à considérer l’histoire passée et récente des élections, compte doit être fait des chutes et rechutes de prétendants, dûs à la nature boueuse et sablonneuse des pentes ou aux pelures de bananes ou de mangues semées à dessein et à profusion dans les allées. De la variable ‘’coup d’Etat’’ ou de ‘’correction démocratique’’, il n’en sera pas question, les Forces armées ayant fait hara-kiri ou en état d’hibernation constitutionnelle…
Bref, le prétendant au trône a-t-il les moyens de sa politique ? D’abord, une question préjudicielle, comme disent les membres de la Basoche : le premier Ministre a-t-il l’oint du Seigneur ? Laurent Salvador LAMOTHE a-t-il été choisi par Michel Joseph MARTELLY pour porter les couleurs roses aux joutes électorales de 2015 ? En plus, fait-il l’unanimité, d’une part dans la cour royale (ou familiale), d’autre part dans les rangs du Parti Haïtien Tèt Kale ?
En l’absence de déclarations ouvertes, publiques du premier Ministre à briguer la présidence ou du président à le designer, l’on s’en tiendra, pour l’instant, à des indicateurs à tout le moins significatifs, tels que : défense de la politique du premier Ministre par le président, présence du premier Ministre dans les quartiers démunis, villes et communes, tenue de ‘’gouvènman lakay’’ ici et dans la diaspora.
Dès lors, en y ajoutant la participation à la fois de MARTELLY et de LAMOTHE (celui-là en tant qu’acteur et artiste de surcroit) à de nombreux rassemblements musicaux ou sportifs, tous émaillés de propos de solidarité de l’un à l’égard de l’autre, affichant respect et loyauté mutuels, l’on peut en conclure au déploiement d’une campagne électorale ouverte, active, mais qui ne dit pas son nom.
A ce sujet, la bénédiction des sincères partisans de l’un et de l’autre, heurtant les dénonciations de l’opposition et de ses éventuels ou déclarés candidats alimentent un climat de déjà vu, caractéristique de la problématique électorale haïtienne, accordant prédilection quasi absolue de l’individuel sur le structurel, de la suprématie du candidat sur les questions politiques reléguées à l’arrière-plan.
Ainsi, malgré MARTELLY et malgré LAMOTHE, l’ère du temps s’emplit de la marche de celui-ci vers la présidence et du soutien de celui-là. On en parle, on en discute. On approuve et on désapprouve. Avec d’autant plus de force qu’on a de peine ã déchiffrer les propos et gestes de l’artiste-Président qui excelle à manier les quiproquos et se plait volontiers au jeu des paradoxes.
Evidemment, et c’est de notoriété publique, le Président apprécie son premier Ministre tout comme il voue grande admiration à son ami. Mais qu’en est-il du roi (qui sommeille en chacun de nos présidents) à l’égard de son supposé héritier ?
Bien téméraire et présomptueux qui se risquerait à apporter réponse laconique, positive ou négative, à cette interrogation ultime. Dans ce cas, il est plus avisé de se référer à l’histoire, aux motivations profondes ou ambigües qui ont poussé le major-général président Paul Eugène MAGLOIRE ainsi que le prince Lavalas René Garcia PREVAL à écarter, sur la ligne d’arrivée, l’économiste Clément JUMELLE et l’agronome Jacques E. ALEXIS. Dans le même registre, l’on évoquera le choix et la destitution de Daniel FIGNOLE et de Leslie MANIGAT à la présidence par l’armée, le premier après dix-neuf (19) jours, le second après quatre (4) mois. Quant au choix de René Garcia PREVAL en 2005, il est le résultat d’un pressing sans précédent et incisif de dernière heure sur le président ARISTIDE en fin de mandat.
‘’Pre pa vle di rive’’. Etre proche du but ne signifie nullement l’atteindre. Et les étapes vers l’objectif se révèlent autrement plus éprouvantes à parcourir lorsque, des coulisses du sérail aux avenues de l’opposition, circulent les rumeurs faisant état de l’arrivée subite, pour consultation, d’un certain ex-premier Ministre en provenance des rives de la république voisine…
‘’Pre pa vle di rive’’, il reste au premier Ministre à décliner ses atouts personnels et à les mettre en regard des spécificités conjoncturelles et structurelles du pays, aussi déroutantes que peuvent l’être les motivations individuelles des acteurs concernés, proches ou éloignés, à l’intérieur ou en dehors des cercles gouvernementaux ou même de l’opposition. Parmi les plus redoutables tâches, il faut compter : 1) la gestion de l’héritage reçu 2) le relèvement des Institutions nationales et la consolidation de la démocratie.
Indissociables, elles dessinent les contours d’une société en permanente situation de transition, incapable d’assurer le passage de la dictature à la démocratie. Les acquis d’un gouvernement mis en question ou répudiés par celui qui le succède, Haïti laisse la nette impression de reproduire son histoire par la négative. A cet égard, l’héritage désastreux du populisme lavalassien rencontre celui du duvaliérisme paupérisateur.
D’un coup de baguette magique ou, comme disent les Américains, overnight, l’on ne résout pas des problèmes aussi cuisants et profonds. Devant leur ampleur, leur complexité, bien des dirigeants de notre histoire ont opté pour le ‘’lese grennen’’ et choisi de prendre leur bien privé dans le mal collectif. Pour nommer cette ‘’policy’’ si fatale à l’avancement du peuple haïtien, il n’y a qu’un mot : la trahison du mandat populaire issu des urnes.
Bien qu’ils ne puissent se prévaloir d’aucune expérience avant 2011 dans la politique, le Président Michel Joseph MARTELLY et le premier Ministre Laurent Salvador LAMOTHE vont affronter les constantes traditionnelles et structurelles du système politique haïtien. En premier lieu, ils refusent d’emprunter les sentiers battus et tracés de la dictature, puis ils s’engagent à respecter les règles et normes du régime démocratique tel que prescrit dans la Constitution de 1987.
Pour l’histoire, retenons que le premier pas qui engage et livre le Président nouvellement élu et son équipe gouvernementale, pieds et poings liés au totalitarisme, le président Michel Joseph MARTELLY a refusé de le faire quand il a préféré mettre en pratique la lettre et l’esprit de la Constitution (telle qu’amendée ?) plutôt que d’augurer son mandat par une chasse expéditive aux parlementaires faussaires. Le piège a été évité. La conjuration, d’inspiration historique, écartée. C’est le premier camouflet infligé aux pratiques de mani-pulation politique. L’école de la démocratie était ouverte conformément aux pres-crits constitutionnels, et là vont s’illustrer les efforts et déterminations de la nouvelle équipe gouvernementale à se distancer par rapport à l’héritage politique de la dictature. A nouveau choix, celui de la démocratie, nouvelle expertise, nouvelle orientation.
Dans cette voie, le peuple haïtien et ses composantes n’allaient pas tarder à juger des compétences du gouvernement MARTELLY – LAMOTHE, la politique n’étant plus exercée comme art et technique d’oppression et d’arriération, mais comme la mise en œuvre de principes démocratiques de gestion de la cité. Comme tout ce qui est neuf dérange, c’est sans surprise que des voix d’autrefois ont formulé des critiques négatives et de mauvaise foi. Avec l’idée que celles-ci finiront par changer et seconder les efforts du gouvernement, le premier Ministre, Laurent S. LAMOTHE, au nom de la « mère patrie », fixe les grandes lignes d’une action gouvernementale axée sur un plan stratégique et tactique de développement. En sens inverse des campagnes de ressentiment, de déstabilisation dans lesquelles se sont illustrées les gouvernements des trente (30) dernières années, notamment celui de Jean-Bertrand ARISTIDE, le premier Ministre concentre son action sur les grands chantiers du développement à travers tout le pays. Car il n’est pas d’autre voie à la paix, à la stabilité sociale et à la consolidation du régime démocratique.
Tant bien que mal, plutôt bien que mal, avec l’appui de la population, le support de la Communauté internationale, le gouvernement peut s’enorgueillir des réalisations positives opérées au niveau des situations sécuritaires, écono-miques, éducatifs, sociaux et politiques. Tout n’est pas rose comme il peut-être constaté. Beaucoup même restent à faire pour qu’Haïti, comme le veut le duo gouvernemental, compte au nombre des pays émergents d’ici à 2030. Entre autres, les déficits en énergie sont à combler, l’agriculture et l’industrie à développer et l’éducation à qualifier. Mais qui, sans une forte dose de mauvaise foi, nieront les progrès accomplis et les mesures prises en vue de créer un climat favorable à l’investissement et à la création d’emplois, la mise en place des infrastructures incluant constructions de routes, de ports, de wharf, d’aéroports et des bâtiments publics, ceux-ci détruits par le séisme de 2010.
En ce qui a trait à l’éducation, locomotive de l’émergence à venir, elle a été mise à la portée de tous, à travers toutes les villes et communes, faisant de la scolarisation universelle, non plus, un vain mot, mais un objectif en concrétisation progressive. Rien que pour les six (6) derniers mois de l’année en cours, quatre mille quatre cent soixante-huit (4,468) agents ont été nommés dans le système éducatif et plus d’un million d’élèves scolarisés.
Quand on y aura ajouté la mise en place des institutions destinées à l’organisation d’élections ‘’honnêtes, crédibles et démocratiques’’ à la fin de l’année 2014, le CEP, les dialogues et compromis établis en vue d’y arriver, l’on se fera une nette et claire idée de la volonté et des compétences de l’actuel gouvernement à préserver la stabilité politique, condition suprême au maintien et à l’épanouissement du régime démocratique.
Partant de ce bilan, eu égard à celui des trente (30) dernières années, MARTELLY et LAMOTHE ne seraient-ils pas en droit de dire : qui dit mieux ?
Et le premier Ministre, Laurent Salvador LAMOTHE, pour la partition harmonieuse et solidaire accomplie dans l’œuvre, ne peut-il prétendre à initier sa marche légitime du Bicentenaire à la Place des Héros, soit de la Primature au Palais ?