La politique au secours du juridique ?

Les réactions pleuvent peu de temps après la décision du chef de l’État, le mardi 19 juin 2012, de reproduire le texte amendé de la constitution de 1987. Juristes et parlementaires sont partagés sur la question. Nombres d’entre eux, toutefois, s’accordent sur le caractère politique de cet acte pour contourner le juridique.
22/06/2012

Les réactions pleuvent peu de temps après la décision du chef de l’État, le mardi 19 juin 2012, de reproduire le texte amendé de la constitution de 1987. Juristes et parlementaires sont partagés sur la question. Nombres d’entre eux, toutefois, s’accordent sur le caractère politique de cet acte pour contourner le juridique.

Le président Michel Martelly a enfin tranché. De concert avec les représentants des deux autres pouvoirs de l’État, il a pris deux arrêtés pour régler définitivement la question. Le premier annule le décret du 3 juin 2011, lequel avait rapporté l’acte de promulgation de l’amendement constitutionnel. Le second stipule la reproduction, pour erreurs matérielles, de la loi constitutionnelle votée en assemblée nationale le 9 mai 2011. Ce fameux amendement constitutionnel est désormais en vigueur, mais à quel prix ?

Satisfaction des uns, réserves des autres

Le sénateur Simon Dieuseul Desras et le député Levaillant Louis jeune, respectivement président du Sénat et de la Chambre des députés, ont savouré une grande victoire dans cette affaire. Parties prenantes dans cette décision, ces deux parlementaires n’ont cessé de plaider en faveur du respect de loi constitutionnelle votée en assemblée nationale.

Même réaction du sénateur Steeven I. Benoit qui, tout en étant contre la procédure d’amendement, estime que le pouvoir exécutif n’avait d’autre choix que de se plier à la décision de l’Assemblée nationale.

Le premier sénateur de l’Ouest a, toutefois, émis des réserves relatives à l’authenticité du texte à reproduire. Dans le document que lui a soumis le président du Sénat, Steeven Benoit dit relever une omission en son article 137. Une partie de cet article, qui stipule que le choix du Premier ministre par le président de la République doit être ratifié par les deux chambres, a été enlevée, selon lui. Alors que, poursuit le sénateur, cette partie du texte était dûment inscrite dans le texte qui a été voté par l’Assemblée constituante. Dès lors, quel texte sera reproduit dans les Presses nationales et publié dans « Le Moniteur » ? Sera-t-il l’expression fidèle du vote en assemblée ?

Les juristes et la politique
« Le débat juridique est clos aujourd’hui. » Tels sont les propos de la directrice de l’Institut Dwa pou tout moun, Chantal Volcy Céant, pour exprimer son désarroi face à la primauté de la politique sur le juridique dans cette affaire. Le président Martelly, selon Mme Céant, a été piégé dès son arrivée au pouvoir par ceux-là qui avaient délibérément falsifié le texte d’amendement constitutionnel au bénéfice de leur agenda politique.

Abondant dans le même sens, l’avocat Kedler Augustin indexe les parlementaires de la plateforme Inite d’alors. Ces derniers, précise-t-il, sont les principaux acteurs à soutenir la publication des 128 articles amendés ce pour assouvir leurs intérêts politiques et électoralistes. Car, explique l’avocat, disposant d’une majorité relative dans les deux chambres, ces parlementaires peuvent prétendre à une représentation au Conseil électoral permanent (CEP) en vigueur désormais dans la constitution. Ce qui leur permettrait, renchérit-t-il, d’atteindre leurs objectifs aux prochaines élections durant les neuf ans du mandat de leurs conseillers.

Bien qu’ils reconnaissent le caractère politique de la décision prise par le chef de l’État, les juristes ne s’accordent pas entièrement sur la question. La thèse soutenue par maître Augustin veut, dès qu’on est en situation d’inconstitutionnalité, « que l’on sorte de la norme constitutionnelle pour rentrer définitivement dans la norme constitutionnelle ». Il se positionne ainsi en faveur du consensus politique, puisque, avance-t-il, le droit constitutionnel c’est aussi le droit politique.

Madame Céant, à l’opposé, estime que le président Martelly pouvait respecter la procédure en vertu du principe de la responsabilité et de la légalité. Pour ce qui est du compromis politique, elle croit que le processus a été mal engagé. Puisque, déplore-t-elle, il ne tient pas compte des partis politiques eux-mêmes. Elle dit espérer que le président Martelly saura tirer son épingle du jeu dans ce deal politique.

Les partisans de la publication du texte amendé de la Constitution brandissent les intérêts supérieurs de la nation pour justifier leur position. Les opposants, en revanche, prédisent déjà dans cette affaire le début d’une grande instabilité politique. Seul l’avenir dira si la décision du chef de l’État profite réellement à la population haïtienne.

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