Haïti, face à une nouvelle flambée de choléra en octobre 2022

lenational.org

Au début du mois d’octobre 2022, Haïti se trouve de nouveau frappé par le choléra après l’épidémie qui avait éclaté en 2010 et qui avait été à l’origine de plus de 10 000 décès. On observe en effet, selon les sources officielles, une flambée qui s’avère particulièrement inquiétante de cas de cette maladie alors que le pays est plongé depuis presque trois semaines dans une crise humanitaire qui fait craindre le pire pour des millions de nos compatriotes. L’inquiétude grandit dans les milieux médicaux qui savent que les conditions actuelles contiennent tous les ingrédients pour un développement rapide et particulièrement sévère de la maladie. En conséquence, le ministère de la Santé publique et de la population (le MSPP) a pris la décision de mobiliser toutes ses cellules d’urgence en vue de faire face à ce qui pourrait être une recrudescence rapide de la maladie sur le territoire national. Les ONG humanitaires se sont également mobilisées pour administrer des soins aux premiers malades et pour prodiguer des conseils à toute la population. Les Nations-Unies ont également promis d’aider le pays en matière logistique pour réduire les ravages que pourrait provoquer la maladie.

L’objet de cet article sera triple. D’abord, informer le public sur les moyens les plus simples pour se protéger contre la maladie ; ensuite, rappeler, à titre d’exemple, comment la maladie s’était propagée lors de la première épidémie ; et enfin procéder àune estimation des dégâts que la nouvelle flambée pourrait causer en l’absence d’une bonne prise en main.

1. C’est quoi le choléra ?

1.1 La maladie et ses caractéristiques

 

1.1.1 Une maladie particulièrement virulente

 

Le choléra est une maladie essentiellement humaine contractée par l’ingestion d’eau et d’aliments contaminés par les matières fécales des malades. Il est transmis par un bacille – le vibrio cholerae ou vibrion cholérique- qui se développe très rapidement dans l’intestin des individus contaminés, au cours de la période d’incubation qui peut s’étendre dans un intervalle de quelques heures à cinq jours. Les symptômes se manifestent essentiellement par des vomissements et par une diarrhée profuse – sous la forme de l’eau de riz – qui coule cinquante à cent fois par jour et qui déshydrate rapidement ses victimes. Si la personne atteinte n’est pas réhydratée rapidement et à temps, le pire peut survenir dans les quatre heures qui suivent les premiers symptômes. Cependant, 78% des personnes qui ont été infectées par le vibrion ne développent pas la maladie, restant des porteurs sains, mais peuvent le transmettre pendant encore une dizaine de jours après leur contamination à leur entourage, notamment par les matières fécales ou les vomissures.

 

Les autres symptômes connus sont : l’envie permanente de vomir, l’incapacité de se tenir sur ses jambes pour cause de grande faiblesse, la disparition des urines et l’apparition de rides sur le dos doigts.

 

10% à 20% des malades du choléra sont frappés de manière sévère et la mort survient entre un et trois jours au maximum par crise cardiaque, puisqu’ils ont perdu tous leurs électrolytes à cause de l’intensité de la diarrhée et des vomissures. La mortalité est plus élevée chez les enfants, les personnes âgées et les individus au système immunitaire fragile.

 

Il existe de nombreux sérogroupes ou sérotypes ou encore de sérovars de Vibrio cholerae, mais seulement deux d’entre eux 01 et 0139 sont à l’origine des flambées épidémiques.  On considère que les flambées récentes sont dues essentiellement au sérogroupe 01.

 

1.1.2 La propagation du choléra

 

La propagation du choléra qui affecte annuellement  de 3 à 3,5 millions d’individus dans le monde s’effectue à 75 % par les porteurs sains, disséminant la maladie partout où règnent sans partage les conditions de misère (promiscuité, insuffisance de propreté, accumulation de déchets de toutes sortes, etc).

 

Un ensemble d’autres conditions facilitent la propagation rapide du choléra, l’indisponibilité quasi généralisée en eau potable, le faible taux de desserte de la population en lieux d’aisance (50%), l’ignorance des nombreux principes de base d’hygiène, la bidonvilisation et la grave misère aigüe  et aussi la promiscuité avec les malades.

 

C’est pourquoi un ensemble de mesures d’hygiène sont strictement recommandées en situation d’épidémie cholérique, notamment le lavage des mains plusieurs fois dans la journée, la non-dissémination des matières fécales et autres déchets humains, l’utilisation d’eau et de boissons non souillées par le bacille, l’abstention de consommation des mets non cuits, le réchauffage systématique des aliments avant consommation, l’isolement des malades jusqu’à leur enterrement.

 

Cependant, il faut reconnaître que nombre de nos compatriotes ne peuvent suivre les précautions qui leur sont recommandées. Par exemple, faire bouillir l’eau comme mode de traitement alors qu’ils ne peuvent pas s’acheter du charbon de bois. De même, se procurer les produits désinfectants pour le traitement de l’eau.

 

Le contact du vibrion avec les rats, les souris, les mouches et les eaux polluées, facilite également le transport du bacille partout sur les parcours des vecteurs, mais sur de courtes distances. Les plantes, qui est en contact avec le vibrion sont également souillées et transmettre le mal ainsi que les cultures qui ont poussé dans les milieux contaminés (rizières, marais, estuaires, étangs, des lacs, canaux d’irrigation et mangroves. Enfin, les jeunes enfants, les personnes pauvres en mal de soin de santé et victimes de malnutrition ainsi que les porteurs du VIH sont également des cibles vulnérables pour cette maladie

 

1.1.3. La destruction du bacille du choléra

 

Le vibrion cholérique est détruit à partir de 80 °C et ne résiste pas à la glace dans les congélateurs alimentés en courant électrique sans interruption. Par contre, il se plaît dans les eaux à une température proche de 25°C ainsi que dans les milieux où règnent les eaux sales, les eaux dormantes, les eaux des égouts et des latrines, les eaux saumâtres des estuaires, c’est pourquoi on dit dans certains pays que la maladie vient de la mer. Bref, il suit aussi de très près les lieux où sévissent les inondations et peut s’infiltrer dans la terre pour y rester plusieurs années, notamment dans les eaux profondes des vases,  du plancton, des algues. Aussi, nombre d’épidémiologistes avaient présumé 2010-2011 que le choléra s’installerait de manière durable sur le territoire haïtien pour y prendre un caractère endémique, en ressurgissant à chaque saison pluvieuse. D’autres avaient soutenu une thèse opposée comme le docteur Gazin qui pensait que la topographie du pays est défavorable au développement durable de cette maladie : « Le choléra est une bactérie fragile. En Haïti, elle ne bénéficie pas d’un milieu favorable : trop de pentes, pas assez de lagunes. Dans six mois, elle pourrait avoir disparu », selon lui » La réalité qui avait suivi ne lui avait pas donné raison, car on avait constaté qu’il avait suffi de quelques pluies entre le 10 et le 17 février 2011 dans la région de Port-au-Prince pour faire repartir le fléau de plus belle, venant probablement des régions de montagne proches, notamment de Belle-Fontaine où de nouvelles poches étaient découvertes au mois de janvier, alors que l’épidémie marquait le pas dans l’ensemble du pays à la faveur du creux de la saison sèche.

 

 

1.1.4 La létalité due au choléra

 

Dans les pays où l’intervention de l’État est très précocement cas de flambée ou d’épidémie, le taux de la létalité due au choléra ne dépasse pas 1,6 à 2%. D’après les données de l’Institut Pasteur, le taux global de létalité en Haïti a été de 1,8%, en 2016, mais il avait dépassé les 6% parmi les groupes vulnérables résidant dans des zones à haut risque. En Haïti, le taux de létalité n’avait pas dépassé 1,25% pendant l’épidémie de 2010-2019, donc est resté proche de la normale définie par l’OMS. Mais, ce qui était grave, c’était la forte virulence de l’épidémie qui avait valu à Haïti de concentrer la moitié des cas recensés dans le monde entre 2010 et 2012 où il y avait plus de cas en Haïti que dans toute l’Afrique.

En l’espace de deux mois, elle avait provoqué, selon les chiffres officiels, plus de 2 500 décès sur 114 497 cas observés. Soit presque autant de morts que l’épidémie qui avait frappé le Pérou en 1991 et qui y avait fait 3 000 morts pour 300 000 cas.

La létalité due au choléra lors de l’épidémie de 2010-2019 en Haïti a été très variable, passant des taux effrayants de plus de 25% du début pour diminuer par la suite ans autour de 2,3% au niveau national vers février 2011. Ainsi, vers la mi-novembre 2010, les taux observés dans les départements géographiques oscillaient entre 7,2 % pour le département du Nord et 1,6% pour celui du Sud., d’après le bulletin numéro 3 du ministère de la Santé publique et de la population.

1.1.5 Le traitement du choléra

Le choléra est une maladie facile à traiter. On peut guérir la majorité des malades en leur administrant rapidement les sels de réhydratation orale (SRO) que nous avons l’habitude d’appeler sérum oral en Haïti. Jusqu’à 6 litres de SRO peuvent être nécessaires pour traiter une déshydratation modérée chez un patient adulte au premier jour de déclaration de la maladie.

 

Les patients gravement déshydratés présentent un risque de choc cardiaque et l’administration rapide de liquide par voie intraveineuse s’impose. D’après les calculs, un adulte de 70 kg aura besoin d’au moins 7 litres de liquide par perfusion, en plus des SRO, pendant son traitement. Ces patients reçoivent également des antibiotiques adaptés généralement de la doxycycline  pour raccourcir la durée de la diarrhée, diminuer les quantités de liquide de réhydratation nécessaires et écourter la durée de l’excrétion des bacilles de V. cholerae dans leurs selles.

 

1.2 Histoire et géographie du choléra

 

1.2.1 L’origine de la maladie

 

Le choléra est un mal qui a terrassé l’humanité depuis des siècles et qui serait arrivé en Europe en 1503 à la faveur des déplacements de populations, alors qu’il était endémique dans le continent asiatique et plus particulièrement dans sa base traditionnelle, l’Inde (la zone du delta du Gange et le Bangladesh). Depuis, le fléau a endeuillé l’humanité à plusieurs reprises, en sept vagues pandémiques qui avaient concerné tous les continents et dont la dernière qui remonte à 1961 avait atteint les Amériques en 1991, causant alors 3 000 décès au Pérou pour 300 000 cas.

Le choléra n’a jamais existé par le passé en Haïti comme le prouvent les recherches effectuées dans les documents historiques depuis la période coloniale ainsi qu’à partir des ouvrages de Thomas MADIOU[1] et d’Ary BORDES, le spécialiste de l’histoire des maladies en Haïti.

 

Thomas MADIOU cité par Deborah JENSON dans Le choléra dans l’histoire d’Haïti avait écrit ceci : « Il est à observer que cette maladie n’est jamais parvenue en Haïti, même quand elle s’est trouvée en même temps tout autour de notre île, à St. Thomas, à Porto Rico, à la Jamaïque et à Cuba, au Vent comme sous le Vent. Cela tiendrait-il aux émanations de notre sol qui ne permettraient pas d’exister aux animalcules cholériques ou à un état particulier de notre atmosphère ? ».

 

L’épidémie de 2010 à 2019, la première dans notre histoire, était sans aucun doute, malgré les dénégations des Nations Unies, d’origine asiatique, importée par l’intermédiaire des soldats népalais de la Minustah établis dans une base non loin de Mirebalais, comme on l’avait dit de manière unanime dans le pays et comme l’avaient dit aussi les grands épidémiologistes.

 

Les analyses effectuées sur les malades haïtiens avaient d’ailleurs permis de mettre en évidence une souche spécifiquement asiatique, la souche El Tor O1 communément appelée O1 alors que l’autre souche de la maladie, la O139 est confinée à l’Asie du Sud-Est.

 

1.2.2 Géographie actuelle du choléra

 

Les spécialistes considèrent que les cas de choléra observés dans le monde depuis 1961 relèvent de la 7e pandémie cholérique. Les foyers actuels du choléra sont l’Asie du Sud, sa zone traditionnelle ; l’Afrique subsaharienne où la maladie est arrivée en 1971 et enfin l’Amérique tropicale qui en était frappée en 1991.

 

En 2011, en dehors du foyer traditionnel asiatique, la flambée cholérique avait affecté plus de 80 pays dans le monde, dont une cinquantaine de pays africains,  depuis, l’épidémie avait diminué considérablement, mais une reprise s’est dessinée depuis le début de 2022, essentiellement en Afrique où elle concerne à l’heure actuelle vingt-et-un pays dont le Sénégal et le Nigeria sont les plus affectés.. Toutefois, dans aucun de ces pays, la maladie n’a jamais pris l’ampleur que l’on avait constatée en Haïti, n’ayant point dépassé au cours des deux dernières années 2009 et 2010 le cap de 1500 morts, sauf dans le cas du Nigeria avec l’épidémie qui a été enregistrée en 2010 où l’effectif des décès se montait à 1555 entre janvier et octobre pour 38 000 personnes infectées, soit un taux de létalité de 4,5 %.

 

2. L’épidémie de  choléra de 2010-2019 en Haïti

    1. Quelles étaient les conditions de développement du choléra en 2010-2019 ?

 

Il existait dans le pays de nombreuses conditions favorisant la propagation rapide du choléra, à la vitesse où elle avait éclaté en 2010-2011. D’abord, certaines conditions hydriques : les eaux sales, les eaux dormantes, les eaux des égouts et des latrines, les embouchures des lacs, les rizières, les eaux des puits artisanaux, les canaux d’irrigation.

 

Également, des conditions de vie comme l’indisponibilité quasi généralisée en eau potable, le faible taux de desserte de la population en lieux d’aisance, l’ignorance des nombreux principes de base d’hygiène, la bidonvilisation et les systèmes immunitaires affaiblis. Aussi, nombre de nos compatriotes n’avaient-ils pas pu suivre les précautions qui leur avaient été recommandées. Par exemple, faire bouillir l’eau comme mode de traitement alors qu’ils ne peuvent pas s’acheter du charbon de bois. De même, se procurer les produits désinfectants pour le traitement de l’eau. Enfin, bien laver et bien peler les fruits, légumes, et surtout les crudités que l’on est amené à consommer.

 

En conséquence, nombre d’épidémiologistes avaient présumé que le choléra s’installerait de manière durable sur le territoire haïtien pour y prendre un caractère endémique. À l’opposé, d’autres comme le docteur Gazin avaient cru que la topographie très montagneuse du pays était défavorable au développement durable de cette maladie.

 

    1. L’éclatement de l’épidémie

 

Les premiers cas étaient apparus mi-octobre 2010 sur les bords d’un affluent du fleuve Artibonite, plus précisément au village de Méyè, à proximité de la base des Casques bleus népalais de la Mission de l’ONU en Haïti (Minustah) à Mirebalais, dans le centre du pays.

 

Le samedi 15 octobre, trois patients avaient été hospitalisés, présentant des symptômes diarrhéiques et gravement déshydratés ; le dimanche 16, quatre nouveaux cas étaient parvenus aux caractéristiques similaires, d’une même famille. Décision fut prise de les isoler et de leur administrer des soins. Le lundi 17, vingt-huit nouvelles personnes étaient arrivées avec des symptômes identiques.

 

La Mission médicale cubaine qui était responsable des soins hospitaliers dans la zone avait dépêché d’urgence un groupe de spécialistes en épidémiologie qui avaient procédé à des analyses de sang, de vomissures et de selles et réunit d’autres données, qui ont été envoyées pour analyse au laboratoire et étudiées aussi à l’étranger, notamment aux États-Unis.

 

2.3 L’évolution de l’épidémie de 2010-2019

 

Le mode de contamination a été particulièrement rapide, s’étendant en moins de deux semaines, d’abord aux localités longeant le fleuve Artibonite jusqu’à ses bouches à Grande-Saline. Puis, les déplacements des premiers malades firent le reste, par hôpitaux interposés et par les erreurs commises par leurs parents et leurs proches.

Les recherches qui avaient été effectuées avaient permis d’identifier la souche responsable de l’épidémie : la souche 01. Une souche, d’origine asiatique, qui est particulièrement virulente et qui « est même classée dans le groupe du pire », selon le docteur Mekalanos de l’École de médecine de Harvard.

 

Plus d’un avait affirmé que des eaux usées nauséabondes provenant des toilettes des soldats népalais étaient régulièrement rejetées directement dans le fleuve par une société de vidange. D’où le soupçon qui s’était porté sur cette catégorie de Casques bleus qui avaient été rapidement accusés par une partie de la population d’avoir importé la maladie. L’hypothèse était  d’autant plus plausible qu’une épidémie avait éclaté un mois plus tôt dans leur pays d’origine. La maladie s’est d’abord propagée tout le long du fleuve, frappant plusieurs localités, de Mirebalais à Grande-Saline. Les choses s’étaient aggravées par le fait des déplacements de malades vers plusieurs villes disposant de formations sanitaires, comme Saint-Marc, Arcahaie, Gonaïves, Port-au-Prince, Cap-Haïtien, etc. Mi-novembre, tous les départements étaient touchés et, début décembre, près de la moitié du territoire national était contaminée.

 

La souche qui existe en Haïti n’était pas la même que la souche ayant sévi au Pérou en 1991 et qui s’était propagée dans plusieurs pays d’Amérique du Sud (Équateur, Colombie, Brésil, Chili, Bolivie, Venezuela) et d’Amérique centrale (Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras, Nicaragua), sans jamais inquiéter la Caraïbe insulaire. Mais, l’épidémie de choléra de 2010-2019 en Haïti avait même pu s’exporter au moins vers trois pays voisins qui entretiennent des relations étroites avec Haïti, Cuba, le Mexique et la République dominicaine. Notons que ce dernier pays avait été faiblement touché par l’épidémie, avec moins d’une vingtaine de cas chaque année entre 2014 et 2016.

 

La propagation de l’épidémie était spectaculaire, en l’espace de quelques semaines, tous les départements d’Haïti étaient touchés. Au 3 décembre 2010, on avait recensé 91 000 cas de choléra qui avaient provoqué 2 071 décès, soit un taux de létalité de 2,3 %.

 

Les données qui avaient été recueillies pendant les neuf années de la durée de l’épidémie ont révélé une baisse graduelle des cas et des décès, sauf pour les années 2015 et 2016. Au terme de la première année du choléra en Haïti, on avait recensé 185 351 cas et 4101 décès, pour passer à 352 033 cas et à 2927 décès en 2011. Le rythme de propagation de l’épidémie avait connu un net ralentissement après 2012, à la faveur des mesures qui avaient été prises pour combattre le fléau. On était passé en effet à 101 503 cas et 908 décès en 2012, puis à 58 574 cas et 587 décès en 2013, et ensuite à 27 392 cas et 297 cas en 2014. Après une légère remontée en 2015 avec 36 045 cas et 322 décès, un nouveau pic a été atteint en 2016 en lien à la fois avec une flambée importante qui a été enregistrée dans le département du Centre et une recrudescence qui avait suivi le passage du cyclone Matthew, se traduisant par 41 421 cas et 447 décès et où le pays avait franchi alors le cap de 10 000 décès. Une chute spectaculaire s’était produite en 2017, marquée par 13 681 cas et 159 décès, confirmée en 2018 (3777 cas et 41 décès). L’épidémie avait quasiment disparu en 2019 (511 cas et 3 décès), plus précisément au mois de février. Date à partir de laquelle les autorités sanitaires avaient considéré que le choléra  avait été éliminé dans le pays, mais non éradiqué.

 

C’est le département de l’Artibonite qui avait payé le plus lourd tribut au choléra, comme le montre la répartition des cas et des décès en 2010. Au 13 décembre 2010, on y avait recensé 806 décès sur un total de 2478 pour l’ensemble du pays, soit 32,5%. Ce département était suivi par le département du Nord avec 443 décès (17,8%), puis par le département de l’Ouest, 387 décès (15,6%) contre 232 décès pour le Centre (9,32%) et le plus bas pour les Nippes, qui était le département le moins touché avec 24 décès (0,9%).

 

2.4. La lutte contre le choléra en Haïti entre 2010-2019

 

Les actions sur le terrain , comme le dit Wikipédia, avaient consisté à « répondre à chaque cas suspect, éduquer la population, distribuer du savon et des comprimés de chlore dans les zones touchées, traiter les sujets vivant au contact des patients et neutraliser les sources de contamination éventuelles chaque fois que possible ».

 

L’effort qui a été déployé lors de l’épidémie de 2010-2019 avait été couronné de succès grâce à la conjugaison des moyens de la coopération internationale (bailleurs traditionnels et ONG) et à la coordination du ministère de la Santé publique et de la population. Une grande campagne de prévention et de sensibilisation avait été lancée en un temps record et ont été créées des unités de traitement du choléra ainsi que des centres de traitement du choléra dont le fonctionnement avait permis de maintenir à un niveau relativement faible la létalité qui sévissait lors de l’éclatement de l’épidémie. Mais, selon Renaud Piarroux, grand spécialiste du traitement du choléra, la baisse des moyens à partir de 2014 pour lutter contre le fléau avait abouti à la recrudescence de l’épidémie dans le pays en 2016, notamment dans le département du Centre.

 

3. La flambée de choléra d’octobre 2022

 

3.1 Le contexte de la nouvelle flambée de choléra

 

Après trois années sans le moindre cas de choléra signalé dans le pays et en pleine reprise de la maladie dans le monde avec 26 pays qui ont fait état d’épidémies, contre moins de 20 par an entre 2017 et 2021, selon l’Organisation mondiale de la Santé, on assiste en Haïti à la résurgence générale du choléra, marquée par un premier décès dès le 2 octobre 2022 dans un pays frappé par diverses menaces. D’abord, la violence, notamment en proie à l’action de divers groupes armés et à de violentes protestations de la population contre la hausse des prix des produits pétroliers et des prix des produits alimentaires. Ensuite, la menace de fermeture de la plupart .des structures sanitaires principales pour cause de manque de carburant. Également, la fermeture progressive des entreprises de production d’eau de boisson et de la Direction nationale d’eau potable et de l’assainissement (la DINEPA). De même, l’impossibilité d’approvisionner les commerces de produits de base par suite du blocage du port de la capitale dans un pays dépendant d’au moins 60% de l’étranger pour ses besoins alimentaires ; ou encore de l’inaccessibilité par les services du ministère de la Santépublique et de la population des quartiers contrôlés par les gangs et de nombreuses autres zones de l’aire métropolitaine pour mener à temps les enquêtes épidémiologiques.

 

Ajouter à tout cela l’idée répandue au sein de la population que toute déclaration de maladie infectieuse prend une coloration politique, Ce qui suscite méfiance et indifférence entre les précautions et les consignes recommandées pour le dépistage et toute autre forme de prévention ou de guérison.

 

Pourtant, on se rappelle que lors de l’épidémie de 2010-19, « la population était très réceptive aux messages liés au choléra …», comme l’a récemment souligné le docteur William Pape. Toujours selon lui, les gens disaient à un moment qu’ils préfèrent attraper le SIDA plutôt que le choléra. La connaissance du choléra, notre expérience et la peur qu’il peut susciter doivent nous aider à mener une campagne de communication efficace en vue d’endiguer cette résurgence ».

 

Selon Bruno Maes, représentant de l’UNICEF en Haïti, la situation est très inquiétante quant à la possibilité d’une intervention efficace contre le choléra : « En raison de la hausse des violences et de l’insécurité, de nombreuses familles haïtiennes parmi les plus pauvres n’ont pas d’autre choix que de boire et d’utiliser de l’eau insalubre. Les familles ne peuvent pas acheter de savon pour se laver les mains, les ordures ne sont plus ramassées dans les rues, les hôpitaux sont fermés ou se retrouvent dans l’incapacité de fonctionner. Tous ces facteurs ont fait d’Haïti une bombe à retardement pour le choléra. Une bombe qui vient d’exploser. »

 

Les premières mesures prises par les centres Gheskio ont permis de « désinfecter les puits contaminés, faciliter l’accès aux produits chlorés et aux vaccins dans certaines zones, notamment à Village de Dieu », selon le docteur Pape qui avoue aussi que dans d’autres zones – de non droit aujourd’hui – aucun professionnel ne voudra s’y risquer ».

 

Il avait ajouté : « Force est de constater que ces zones de non-droit, les bidonvilles dont Cité Soleil, ce sont les zones qui sont les plus touchées en cas d’épidémie », appelant « à une trêve sur tout ce qui nous divise pour faire face à cette recrudescence du choléra dans le pays ».

 

Par ailleurs, selon les Nations Unies, qui surveillent activement la situation et travaillent avec le gouvernement pour organiser une réponse d’urgence à cette potentielle épidémie, les équipes d’intervention d’urgence spécialisées de l’ONU sont prêtes à être déployées. L’organisation a promis aussi « un soutien supplémentaire qui consistera en une surveillance élargie, une augmentation de l’approvisionnement en eau et en assainissement, le développement de centres de traitement du choléra et le renforcement de la prise en charge des cas.

 

« Cette riposte est axée non seulement sur la limitation de la propagation de la maladie, mais également pour informer la population sur la manière de prendre des mesures immédiates pour sauver des vies à la maison », a précisé le Bureau du Résident coordinateur.

 

Médecins Sans Frontières avait annoncé aussi pour aider à faire face au fléau, « l’ouverture dans la capitale haïtienne, des unités de traitement du choléra de 10 lits, dans le quartier de Brooklyn., une unité de 20 lits au centre d’urgence MSF de Turgeau et un Centre de traitement du choléra (CTC) d’une capacité de 50 lits à l’hôpital MSF de Cité Soleil, auxquels s’ajoutent des points de distribution de solutions de réhydratation orale ».

 

3.2 La manifestation de la flambée de choléra en Haïti en octobre 2022

 

La nouvelle flambée de choléra a été confirmée par les plus hautes autorités le 1er octobre 2022 dans un communiqué qui avait annoncé un premier cas à Savane Pistache et plusieurs cas à Brooklyn, Cité Soleil.

 

Puis, on avait fait état de la mort d’un enfant le lendemain. Le dimanche 2 octobre, les autorités sanitaires avaient évoqué dans une conférence de presse « au moins deux cas confirmés, deux foyers infectieux identifiés à Brooklyn à Cité Soleil et à Décayette à Carrefour Feuille, 7 et 8 décès et plusieurs cas suspects de choléra ».

Le directeur général du ministère avait indiqué que « la plupart des victimes sont mortes dans leurs quartiers et n’ont pas pu se rendre à l’hôpital », plaidant en même temps pour la levée des barrages routiers installés dans le pays. À ce stade, les autorités avaient bien pris le soin de ne pas encore parler d’épidémie, mais de flambée, parce que seule une soixantaine d’individus étaient concernés par le fléau à la date du 3 octobre 2022.

 

En l’espace de quatre jours, la situation a évolué de manier très négative. On parle déjà de saturation. MSF avait fait état le 3 octobre de l’admission de 68 patients reçus pour des signes et des symptômes qui s’apparentent au choléra. C’est aussi la panique à l’Université d’État d’Haïti où « durant les deux premiers jours, on avait admis deux cas, mais  déjà quatre cas vers le 4 octobre ».

 

Tout cela peut aboutir à une catastrophe sanitaire sans précédent. Des milliers de gens risquent de mourir rapidement dans les conditions actuelles qui constituent un cocktail propice à l’expansion de la maladie et à sa transformation en une épidémie extrêmement meurtrière, puisque les conditions environnementales sont actuellement nettement pires dans le pays qu’au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010.

 

3.3 L’évolution rapide de la nouvelle flambée de choléra en Haïti

 

Entre le 1er et le 5 octobre, 2022, la maladie a étendu ses tentacules dans et autour de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. D’après la carte qui vient d’être publiée le 6 octobre 2022 par le ministère de la Santé publique et de la population, six communes du pays et deux départements géographiques sont déjà concernés par le fléau : le département de l’Ouest et le département du Centre, zone de Mirebalais pour le nombre de cas suspects (152 dont 107 hospitalisés). En tête, arrivent les communes de Port-au-Prince (72) et de Cité Soleil (64) qui concentrent 78% des cas suspects.

 

Le vibrion cholerae est déjà bien implanté au sein de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. S’il est plus répandu à Cité Soleil et dans la ville de Port-au-Prince qui comptent chacune pour plus d’une dizaine de cas suspects, le bacille s’est déjà invité aussi dans trois quartiers densément peuplés : Delmas, Croix-des-Bouquets, Pétionville. Il dispose déjà de plusieurs points d’ancrage à partir desquels il pourra vite se propager dans toute la zone métropolitaine et dans tout le pays, une fois que les conditions de circulation reviendront à la normale.

 

Conclusion

 

La nouvelle flambée de choléra qui vient d’éclater en Haïti survient en un moment où toutes les conditions sont réunies pour une catastrophe sanitaire majeure. Au terme de la première semaine du retour de la maladie, nous en sommes à un total de 7 à 8 décès et 172 cas suspects. Tout se passe sur fond d’une ambiance de violence généralisée, de disparition de l’État de droit, de la perte de contrôle de l’autorité de l’État sur plus de la moitié de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, de manifestations et de protestations dans les dix départements géographiques du pays; de risque de fermeture de la plupart .des structures sanitaires principales, de non-évacuation des immondices, de débrayage des entreprises de production d’eau de boisson, de rupture de l‘approvisionnement des commerces de produits de base et de grandes difficultés de circulation dans le pays, et enfin de l’inaccessibilité par les services du ministère de la Santé publique et de la population dans des quartiers où l’on a recensé les premiers cas de choléra pour qu’on puisse mener les enquêtes épidémiologiques. La vie de centaines de milliers de gens est menacée par la maladie qui peut vite se transformer en épidémie ravageuse.

 

Il reste que le problème majeur dont dépend la vie de tous les Haïtiens est celui de la reprise de la distribution des produits pétrolier

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