Faire taire la presse

Haïti: Depuis quelques semaines, Le Nouvelliste – plus particulièrement ses responsables à titre personnel -, reçoit des menaces d’assignation pour avoir repris une information diffusée sur les ondes par des confrères de la presse parlée.

Jusqu’à présent, nous nous sommes abstenus d’en parler dans nos colonnes. Cela arrive dans la vie des institutions, et il ne faut pas vite sauter aux conclusions. Cependant, nous avons continué à faire notre travail.

Suite à notre propre enquête auprès des secteurs concernés – acteurs et victimes -, et devant les refus réitérés de celui qui est visé par les accusations de donner son propre son de cloche, le journal a publié un article complet qui reprend les positions des différentes parties intéressées.

Nous n’avons fait que notre travail de journalistes pour informer nos lecteurs sur des faits rendus publics par des tiers. Donc seulement notre devoir, au nom de notre mission, sans aucun acharnement, en respectant les principes fondateurs qui guident notre métier.

Le sujet est d’autant plus sensible qu’il s’agit de fonds réservés pour soutenir des écoles de Saint-Marc qui ont accueilli des élèves déplacés après le séisme du 12 janvier. Le montant des fonds en provenance de la communauté internationale promis dans un premier temps a par la suite été réduit. Les directeurs d’écoles ont protesté et protestent encore, s’estimant avoir été floués et arguent que l’argent a été détourné de son affectation initiale.

C’est pour cet article que nous avons reçu assignations d’huissier à comparaître en justice. Bien entendu, toute cette affaire ne serait qu’un simple malentendu qui serait réglé par un démenti ou des éclaircissements, mais elle s’étire, s’allonge, grossit comme un puzzle bien orchestré par un secteur qui aurait intérêt à tracer un exemple.

La presse, en commençant par Le Nouvelliste, le doyen du secteur, ne devrait plus parler. Surtout de rien de ce qui vise ceux qui contrôlent et dépensent l’argent qui coule à flots dans le pays depuis le 12 janvier.

Est-ce des motivations économiques ou d’autres motifs qui alimentent cette série d’actions en justice contre Le Nouvelliste ? Est-ce le désir de mettre fin à une trop longue période de détente entre la presse et le reste de la société qui s’exprime ? Est-ce une campagne sournoise d’intimidation qui commence ?

Il est trop tôt pour le savoir. Mais, en remontant le lit de la rivière, on découvrira un jour la source de ces assauts.

En attendant, le doyen de la presse haïtienne persiste dans son devoir d’informer ses lecteurs et alerte ses confrères de la presse : un nouveau prédateur rode, et son but est de réduire la liberté d’expression… à sa plus simple expression.

Notre travail, nous continuerons à l’accomplir en toute sérénité. C’est avec foi dans l’avenir, dans la justice et dans les lois que nous publions ci-après cet extrait de notre éditorial du 1er mai dernier, le jour marquant le 112e anniversaire du Nouvelliste.

« Dans les jours qui ont suivi le tremblement de terre, Le Nouvelliste en pansant ses blessures a réfléchi sur le sens de sa mission de média au service de ses lecteurs et de leader d’opinion. Nous avons décidé de redéfinir le journal, de nous donner de nouvelles ambitions, de rassembler notre équipe pour devenir plus performants, plus incisifs, plus critiques, plus professionnels, plus impliqués. Ce, en dépit d’un environnement difficile, de conditions économiques plus précaires et de l’incertitude ambiante.

Les grands enjeux à venir pour la Nation nous concernent. Sont déterminants pour nos lecteurs et nos clients. Nous ne pouvons pas nous satisfaire dans un simple rôle de caisse de résonance bonne à ânonner les annonces de dons et la litanie de nos infortunes. Le Nouvelliste veut participer, stimuler, provoquer le débat.

Comme un écho aux cris qui se sont levés après les répliques meurtrières du 12 janvier, il faut que la presse haïtienne, et le plus ancien des médias haïtiens en tête, ne laisse pas une minute de répit à ceux qui ont la charge de reconstruire ce qui s’est effondré si vite sous les coups de boutoir du tremblement de terre.

Il ne faut pas que cette catastrophe qui a fait deux fois plus de morts que Hiroshima soit une caution de plus pour expliquer pourquoi nous allons encore une fois passer du mauvais côté de l’histoire. Et il revient à la presse, dans son modeste rôle, sans se rêver en redresseur de torts, de faire son travail.

Nous sommes vivants et avons des devoirs et des rêves. »

C’est pourquoi, à la prochaine manifestation ou conférence de presse des directeurs d’écoles de Saint-Marc, nous serons présents pour faire notre travail.

Frantz Duval

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