En attendant l’arrêt de la cour d’appel…

La Nouvelliste

Haïti: Les avocats des parties au procès ont développé leurs moyens oraux, le mercredi 6 avril à la cour d’appel de Port-au-Prince. Me Jean-Miguel Fortuné pour la partie civile, dans une intervention, a fait l’historique de l’affaire vieille de 15 ans. Il a entre autres rappelé qu’elle remonte au 11 novembre 1996, date à laquelle les parents des victimes de l’insuffisance rénale aigüe avait cité à comparaître au tribunal correctionnel de Port-au-Prince le Dr Rudolph Boulos pour homicide involontaire. « Le 18 mars 1997, le juge Kesner Michel Thermési a rendu une décision, renvoyant l’affaire devant le cabinet d’instruction pour voir s’il s’agit d’homicide involontaire ou infanticide. Tous les problèmes de la partie civile ont commencé avec cette décision », a-t-il rappelé.

Il a vertement critiqué la décision du juge Thermési qui a valu à ce dernier les remontrances du président de la cour, Jean Vernet Achille: « Vous allez trop loin, maître. Vous avez interjeté appel d’un avant dire droit. Restons dans l’avant dire droit. »

Me Fortuné a terminé son intervention en présentant la décision avant dire droit rendu par le juge Bernard St-Vil contre la partie civile. Ce qui avait fait l’objet d’appel.

Prenant la parole, Me Robert Augustin a commencé par des attaques contre l’avocat de Rudolph Boulos, Me Samuel Madistin. « Cela fait 15 ans que nous sommes dans ce procès. Nous avons vu défiler contre nous quinze avocats parmi les meilleurs de Port-au-Prince. Nous avons entendu pendant ces 15 années des arguments intelligents, mais jamais nous n’avons entendu des arguments aussi stupides, aussi insipides que ceux que nous ont débités Me Samuel Madistin.

Il a déclaré plus loin : « 15 ans depuis que des parents d’une centaine d’enfants victimes de l’absorption des sirops Afébril et Valodon contaminés par le diéthylène glycole attendent justice. Ils sont handicapés par la maladresse du juge Kesner M. Thermési qui saisit par citation directe le tribunal correctionnel d’une question qu’il aurait pu résoudre : trancher le fond de l’affaire. Il ne l’a pas fait. Il avait plutôt choisi de renvoyer l’affaire au cabinet d’instruction. Ce jugement est un avant dire droit, poursuit Me Robert Augustin. Il est étonnant de voir un avocat de la trempe de Me Samuel Madistin appeler ce jugement un jugement, définitif un jugement de dessaisissement du tribunal », a fait remarquer Me Augustin.

Ce n’est pas faire preuve d’honnêteté de mentir aux juges, dit-il à son adversaire. L’avocat de la partie civile a laissé entendre que le premier juge a tout simplement erré en accueillant l’argumentation de Me Madistin. L’avocat de Boulos qui prétend dans ses conclusions que les avocats sont des civilistes – ce qui sous-entend qu’ils ne maîtrisent pas la matière pénale – devait savoir qu’un jugement définitif est un jugement qui tranche le fond de la contestation. « Le jugement du magistrat Thermési est un jugement avant dire droit. Le juge Bernard St-Vil, en faisant droit à la fin de non-recevoir proposée par l’avocat de Boulos, s’est trompé, car il n’y a pas de fin de non-recevoir sans violation d’un texte de loi. On ne peut pas opposer une fin de non recevoir à la partie civile à partir de la maladresse d’un juge. Il y a donc lieu d’infirmer le jugement dont est appel et évoquer le fond de l’affaire par application de l’article 55 de la loi du 5 septembre 1951 sur l’appel pénal qui fait obligation aux juges de la cour d’appel d’évoquer le fond de l’affaire si le jugement est annulé.»

« Il est temps d’évoquer le fond de l’affaire, vu que les victimes attendent depuis 15 ans », a-t-il conclu.

Si les attaques personnelles de Me Robert Augustin contre Me Samuel Madistin visaient à le déstabiliser, il semble que le stratège aurait raté son coup. Car Me Madistin s’était montré encore plus confortable, plus à l’aise et plus déterminé dans le dossier.
Après avoir sollicité et obtenu la parole, l’avocat du Dr Boulos a rappelé pour la cour que, depuis qu’il a hérité de ce dossier, il n’a cessé d’essuyer les injures, les invectives des jeunes avocats du cabinet Augustin. Il ne s’est jamais donné la peine de répondre à ces provocations par respect pour le directeur du cabinet, Me Robert Augustin, un aîné pour qui il a beaucoup d’admiration et d’estime. Il se dit étonné de voir aujourd’hui que c’est Me Augustin en personne qui a pris le relai des jeunes de son cabinet pour lui lancer des flèches. Il a décidé de ne pas répondre à ces attaques parce qu’il a accepté ce dossier. Depuis, il a élevé le débat à un niveau tel qu’il est difficile à la partie civile de suivre, ce que d’ailleurs la cour aura l’occasion de constater au cours de sa plaidoirie, a-t-il dit.

Quelle est la question qui est aujourd’hui posée à la cour ? s’est-il demandé. L’appel étant un rejugé, la Cour devra se pencher à nouveau sur la question de droit tranchée par le premier juge.

« La question est celle-ci : un juge correctionnel qui renvoie une affaire au cabinet d’instruction reste-t-il saisi ? La réponse est simple pour tous ceux qui maîtrisent le droit pénal. Un tel jugement est un jugement d’incompétence. Car la mission confiée au juge d’instruction échappe au contrôle du juge correctionnel, puisque les juridictions sont séparées. La juridiction d’instruction est autonome et diffère de celle de jugement. Si tant, les professeurs Gaston Stéfanie, Georges Levasseur et Bernard Bouloc dans leur ouvrage Procédure pénale écrivent :

« La décision d’incompétence dessaisit la juridiction qui l’a rendue », a-t-il signalé à l’attention de la cour d’appel. Selon Me Madistin, la partie civile a confondu plusieurs concepts de droit. Il continue pour dire : un juge correctionnel qui ordonne une mesure d’instruction, donne une commission rogatoire reste saisi. Mais un juge correctionnel qui renvoie une affaire au cabinet d’instruction est dessaisi, puisque le juge d’instruction ne va pas lui faire un rapport, mais rendre une ordonnance qui peut être une ordonnance de non-lieu, de renvoi au correctionnel ou au criminel.

« La partie civile confond également les concepts de droit d’action et droit d’intervention. Elle ne peut aujourd’hui critiquer la décision du juge Thermési puisqu’elle n’avait pas interjeté appel de cette décision en 1997. Et elle a été exécutée par la saisine du cabinet d’instruction avec le réquisitoire d’informer du parquet. Le juge travaille pour le parquet et non pour la partie civile. Dès lors, la partie civile perd l’initiative de l’action (son droit d’action) et elle ne peut intervenir qu’à partir de l’action du ministère public (droit d’intervention) », a fait remarquer Me Madistin.

« La reproduction par la partie civile devant le juge Bernard St-Vil de la même citation présentée devant le juge Thermési et sur laquelle est intervenu le jugement du 18 mars 1997, renvoyant l’affaire au cabinet d’instruction, est contraire à la loi. C’est à bon droit que le premier juge a déclaré l’action de la partie civile irrecevable », a-t-il poursuivi.

Il a terminé son intervention en faisant remarquer à la cour que la partie civile a cité un texte de 1951 amendé par la loi du 26 juillet 1979 sur l’appel pénal pour demander à la cour d’évoquer le fond de l’affaire. « Ceci est incorrect, car même au cas où, par impossible, la Cour aurait infirmé la décision du premier juge, elle ne peut et ne saurait évoquer le fond de l’affaire par respect du principe de double degré de juridiction, vu que toutes les autres exceptions et prétentions des parties ne sont pas présentées devant le premier juge, les rapports également. De plus, les témoins cités ne sont pas encore entendus » a souligné Me Madistin qui a donc demandé à la Cour de rejeter la requête de la partie civile.

Après avoir entendu les parties, la cour a ordonné le dépôt des pièces pour rendre sa décision dans le délai légal.

Jean-Robert Fleury

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