La BRH et la BNC en quête de légitimité et de légalité

LeMatin:La commission Finance du Sénat de la République a successivement rencontré les conseils d’administration de la Banque de la République d’Haïti (BRH) et de la Banque nationale de crédit (BNC). En toile de fond de ces rencontres, le problème de la légalité de ces conseils dont le mandat est arrivé à terme depuis le 30 septembre 2010.

La commission Finance du Sénat de la République a successivement rencontré les conseils d’administration de la Banque de la République d’Haïti (BRH) et de la Banque nationale de crédit (BNC). En toile de fond de ces rencontres, le problème de la légalité de ces conseils dont le mandat est arrivé à terme depuis le 30 septembre 2010.

Selon les précisions du président de la commission Finance, Jocelerme Privert, ces deux entités étatiques ont à leur tête des responsables qui n’ont pas de légitimité constitutionnelle. Leurs décisions sont donc illégales et illégitimes, vu qu’ils n’en ont plus la compétence.

Pourtant, en septembre 2009, pour pallier ce problème de caducité des conseils de ces deux banques, le président de la République d’alors, René Préval, avait écrit au Sénat pour lui soumettre la liste des membres devant faire partie des conseils de la BRH et de la BNC, pour lesquels le Sénat devait entamer la procédure de ratification. Dans cette correspondance, M. Préval avait proposé la reconduction pour une période de trois ans des deux conseils caducs.

Le Sénat avait alors demandé à sa commission Finance d’instruire le dossier et d’enquêter sur la performance de ces institutions sur les trois dernières années avant de faire rapport à l’assemblée. Malheureusement, à cause du dysfonctionnement du Sénat au cours de l’exercice 2010/ 2011, les choix n’ont pu être ratifiés, a expliqué Privert.

Après avoir complété ses effectifs, le Sénat a constitué une autre commission pour statuer sur ce cas et présenter un rapport. Celui-ci, à la demande du président d’alors, n’est jamais sorti. Après une rencontre avec le président Michel Martelly, tout de suite après son élection, un recensement des dossiers en souffrance au Parlement avait été effectué. Michel Martelly aurait affirmé n’avoir pas d’objection à ce que le rapport de la commission soit soumis au vote de l’assemblée des sénateurs. Cependant, il aurait demandé de sursoir provisoirement sur le processus, vu qu’il était fraîchement élu. Il voulait être bien informé du dossier, aurait-il avancé, vu que le conseil qui allait être ratifié devait l’accompagner tout le long de son mandat.

Mais, coup de théâtre, au moment de la présentation du projet de reconstruction de la capitale par la BRH le mois écoulé, le chef de l’État aurait ouvertement demandé que soit levé le gèle qu’il avait demandé quant à la ratification du conseil de la BRH. Décision surprenante, étant donné qu’il n’avait pas au préalable demandé au Sénat de relancer le dossier.

Pour la Banque nationale de crédit, la situation est différente, surtout avec l’assassinat du président du conseil d’administration, Guiteau Toussaint. L’affaire de la BNC doit être abordée d’une autre manière, précise Privert. Les rencontres tenues au cours des semaines écoulées devaient permettre de bien analyser les dossiers et les appréhender.

Deux États dans un État

Le mode de fonctionnement des deux banques (BRH et BNC) est problématique. « Ces institutions fonctionnent comme de petits États à l’intérieur d’un État », souligne Jocelerme Privert. Les deux conseils qui administrent ces banques sont désignés par le président et ratifiés par le Sénat. S’il est vrai que ces banques ont des lois internes, elles doivent toutefois se soumettre au contrôle de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA), instance compétente consacrée par la Constitution en son article 200. Pourtant, durant toute la durée de l’existence de ces deux organismes de l’État, ils ne se sont jamais soumis au contrôle dudit organe.

Au lieu de se soumettre à l’audit de la Cour des comptes, explique Privert, les deux banques se félicitent d’être régulièrement auditées par des firmes privées. Or, là il y a vice de forme : pour qu’une entité autonome sollicite des audits d’une firme privée, elle doit nécessairement avoir l’approbation de la Cour des comptes, a précisé le président de la commission Finance du Sénat.

« Nous allons recommander à l’assemblée que ces deux institutions se soumettent aux prescrits légaux et constitutionnels », a informé Privert. La Cour des comptes a la saisine automatique des audits, la commission entend donc enquêter afin d’identifier les obstacles qui empêchent la Cour des comptes de remplir sa tâche auprès de ces institutions. D’un autre côté, les commissionnaires veulent comprendre les raisons pour lesquelles les responsables des deux banques n’ont pas eux-mêmes sollicité ces audits, si l’instance responsable n’en avait pas pris l’initiative. Toutes ces questions ont alimenté les débats, lors de ces rencontres.

Par ailleurs, il fallait également situer ces institutions dans l’administration publique et en fonction des lois sur la fonction publique. Après les discussions et la consultation de nombreux textes de loi y relatifs, avance Jocelerme Privert, il était clair pour toutes les parties que ces institutions étaient des entités publiques. En tant que telles, elles sont soumises aux mêmes règles et elles ont des états financiers comme toutes les autres. S’il est vrai que ces institutions ont tendances à fonctionner en vase clos, il n’en demeure pas moins des organes de l’État. En effet, la Constitution, toujours selon Privert, reconnaît le statut d’institution indépendante seulement à six entités : le CEP, l’Office de protection des citoyens, la Cour supérieure des comptes, l’Université d’État d’Haïti, la Commission de conciliation et l’Académie nationale. Suivant la loi du 14 août 1980 et la Constitution, les deux banques sont seulement autonomes.

Elles jouissent donc d’une autonomie sous tutelle des institutions d’État comme le ministère des Finances, et sous le contrôle juridictionnel et administratif de la Cour supérieure des comptes, précise l’ex-ministre de l’Intérieur. Par voie d’excellence, elles évoluent également sous le contrôle du Parlement qui a comme prérogative de contrôler les activités de l’exécutif. Les états financiers ainsi que le budget de ces institutions doivent être soumis à la Cour des comptes, ont argumenté les commissionnaires lors de ces rencontres.

À date, les deux institutions revendiquent un état de santé parfaite. Bonne santé qu’elles ont fait prévaloir devant la commission. Le fonds pour l’éducation, qui aujourd’hui mobilise l’attention des Haïtiens et qui est géré par la BRH, était également au menu des discussions, apprend-on. Il est bien gardé, rapporte Privert. Cependant, là où le bât blesse, c’est l’utilisation de ce fonds qui doit nécessairement passer par le budget. Selon la commission, le fonds représente une dérogation au principe de l’universalité du budget. Ce fonds n’est pas le premier à être créé dans le pays. Le Fonds d’entretien routier et celui de gestion des collectivités territoriales sont également des fonds de concours. Ils ont tous été créés par lois. Par conséquent, le Fonds pour l’éducation n’a pas encore été créé. Il lui faut un cadre légal, conclut Privert.

Lionel Edouard
doulion@yahoo.fr
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