Un instrument nommé Guy Philippe

Guy Philippe devant le juge Barry Garber du tribunal fédéral de Miami le vendredi 6 janvier. Sa prochaine audience de mise en accusation est prévue pour le vendredi 13 janvier 2017.

La nouvelle est tombée comme un coup de foudre le jeudi 5 janvier dernier. Le mercenaire qui vient d’être nommé ou élu sénateur dans la Grande Anse, l’ancien commissaire de police Guy Philippe a finalement été arrêté à Pétionville. Il avait été invité par le CEP à venir recueillir son certificat de Sénateur. Comme il savait qu’on le recherchait, il avait envoyé par mesure de prudence le député Ronald Etienne et Jeanthel Joseph le chef de son parti, le Consortium des partis politiques pour le recueillir à sa place. A sa grande surprise, la direction du CEP rejeta sa demande et exigea que le sénateur élu se présentât lui-même.

Manifestation d’haïtiens en solidarité à Guy Philippe devant le Federal Building à Miami Manifestation d’haïtiens en solidarité à Guy Philippe devant le Federal Building à Miami

Guy Philippe s’est laissé prendre au piège de se présenter au bureau du CEP.  Là, il a profité pour donner une interview, oubliant peut-être même son statut. A son insu, un informateur bien présent sur les lieux, signalait à ses pairs l’itinéraire du sénateur élu, accusé de trafiquants de drogues par les Etats-Unis.

Une visite de courtoisie à la radio Scoop FM fut le prochain arrêt de Guy Philippe. Là, il s’est laissé aller de façon volubile à lancer des flèches comme à l’accoutumée à l’endroit de la bourgeoisie corruptrice et de ses anciens amis de l’ambassade américaine qu’il dénonçait tout en faisant savoir au corps sénatorial qu’il allait travailler pour que la police haïtienne cesse d’être contrôlée par les chancelleries occidentales. Quelle rare noblesse politique ! L’intervention impromptue au micro de Scoop FM terminée, notre «dénonciateur» a laissé le studio de la station, sans même soupçonner son sort, pour venir saluer ses partisans venus l’acclamer.  Ô choquante surprise !  Des membres de la Brigade de lutte contre les stupéfiants (BLTS) présents en force ont, avec maestria, rapidement maîtrisé leur proie. Guy Philippe, sans doute sidéré, s’est laissé faire, «comme un enfant», a eu à déclarer un policier.

Arrestation de Guy Philippe à Quito, EquateurArrestation de Guy Philippe à Quito, Equateur

L’opération avait été savamment orchestrée. Neutralisé, Guy Philippe a été tout bonnement emmené par la suite au bureau de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) puis, dans la soirée, conduit dans une voiture diplomatique de l’ambassade américaine à l’Aéroport Toussaint Louverture pour être expédié aux Etats-Unis à bord d’un avion de la Drug Enforcement Administration (DEA) arrivé la nuit même à l’aéroport pour  emmener, presto, celui que la DEA qualifie depuis longtemps de fugitif.

Ce n’est pas pour la première qu’il a été sous les verrous. Le 20 décembre 2001, il a été arrêté à Quito, Equateur pour être expulsé en République dominicaine. Entré en territoire dominicain le mercredi 26 décembre, il a été appréhendé le vendredi 28 décembre dans le village dénommé ” Bonao” situé à 60 kilomètres au Nord de Santo Domingo.

Allons au cœur de l’évènement. Guy Philipe est un allié de longue date des Etats-Unis ; mais « Selon l’acte d’accusation, de 1997 à 2001, Philippe aurait conspiré avec d’autres pour importer plus de cinq kilogrammes de cocaïne aux États-Unis. Encore de 1999 à avril 2003, Philippe aurait une fois de plus conspiré avec d’autres personnes pour se livrer au blanchiment d’argent afin de dissimuler leur participation à des activités criminelles, y compris le trafic de stupéfiants. L’acte d’accusation allègue qu’en 2000, Philippe a transféré un chèque de 112,000 $ par l’entremise d’une institution financière, affectant le commerce interétatique et étranger, y compris des sommes provenant de l’entreprise de trafic de drogues illicites.

Guy Philippe en train de donner une interview devant le bureau du CEP. Guy Philippe en train de donner une interview devant le bureau du CEP.

Il a été inculpé en 2005 pour un chef d’accusation de conspiration pour l’importation de stupéfiants; puis  chef d’accusation de complot en vue de blanchir des instruments monétaires et d’effectuer des transactions monétaires sur des biens dérivés d’activités illégales; et un nombre important de transactions monétaires découlant d’activités illégales »

En mars 2000, sous le président René Préval, l’ambassade américaine lui avait enlevé son visa américain. Après le retour d’Aristide au pouvoir en 2001, Washington et Paris pour défendre leurs intérêts impériaux dans les Caraïbes avaient savamment organisé un coup d’État pour le renverser. Ils avaient fabriqué une opposition groupée autour d’André Apaid, Charles Baker, Evans Paul, Turneb Delpé, Evans Saintilus, pour ne citer que ceux-là. Washington avait également mis sur pied, en République dominicaine, des groupes armés sous le commandement de Guy Philippe, leur homme.  Des incursions meurtrières de «rebelles» en territoire haïtien ont été le prélude du coup d’État kidnapping du 29 Février 2004. On sait que Luis Moreno de l’Ambassade Américaine s’est présenté  durant la nuit au domicile d’Aristide préalablement vidé des agents censés assurer sa «sécurité», avec le dessein arrêté de le kidnapper, et de l’embarquer avec sa famille dans un avion américain à destination de l’Afrique Centrale.

Les Etats-Unis par la filière de leur ambassade en Haïti ont accueilli triomphalement l’arrestation du sénateur élu de la Grande Anse. Dans leur note, ils ont indiqué que « Philippe, était  un fugitif recherché ».

Mais, lorsqu’en 2003-2004, ils utilisaient le «fugitif» pour perpétrer d’ignobles actes de

Les agents de sécurité de l’homme de Pestel, Guy Philippe au centre Les agents de sécurité de l’homme de Pestel, Guy Philippe au centre

banditisme et de terrorisme contre son pays, ignoraient-ils son statut de trafiquant de drogues ? On  en doute fort! En ce temps là, cet homme de main était considéré comme un très précieux allié par les Etats-Unis, ainsi que Louis Jodel Chamblain, partenaire de Emmanuel Toto Constant du FRAPH, éléments dangereux et criminels qui ont terrorisé la population lors des deux coups d’État en 1991 et en 2004.

Dans une interview accordée à Radio Caraïbes en 2014, Guy Philippe a expliqué la genèse de son différend avec l’ambassade américaine qui date de septembre 1997. Ce différend pour lui avait été tout a fait résolu après le renversement d’Aristide en 2004, d’autant qu’il avait été accueilli en triomphateur à l’ambassade

Dans cette même interview Guy a déclaré qu’en 2006, c’est l’ambassade même qui l’avait appelé pour lui remettre un visa. Il a même cité le nom du fameux Luis Moreno qui l’avait prévenu :    « Guy, vous êtes un rebelle, les Etats-Unis vous interdisent de faire de la politique ».

En d’autres termes, Guy Philippe a été utilisé à une certaine époque comme un outil entre les mains des  forces réactionnaires. Il est encore utilisé pour la cause de l’oncle Sam. Ce qui vient de se passer à Petionville, n’est autre qu’une nouvelle illustration de l’utilisation par les forces impériales de cet outil qu’est Guy Philippe ; d’autant qu’il n’est pas le seul à être dans une telle situation.  Au moment opportun,  elles pourront se servir de cet arsenal humain de rastaquouères et mercenaires, ramassis de bandits, de kidnappeurs  et de trafiquants bien connus au Sénat tels que les Joseph Lambert et Youri Latortue,  sans oublier les nouveaux «élus» opérant dans l’ombre pour les patrons de la drogue.

Guy Philippe escorté juste avant de partir pour la FlorideGuy Philippe escorté juste avant de partir pour la Floride

Le gouvernement n’a soufflé mot. La classe politique haïtienne a timidement réagi à l’arrestation du Sénateur «élu», sauf  deux anciens candidats à la présidence : Moise Jean-Charles du parti Pitit Desalin qui a dénoncé le fait que les américains peuvent entrer sur le sol national pour humilier un citoyen haïtien et Jean Henry Céant de Renmen Ayiti qui pour sa part «  s’est dit révolté par cette arrestation et a même pointé du doigt le Président de facto Jocelerme Privert comme l’un des principaux artisans de cette arrestation ». Pierre Espérance du Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) s’est dit heureux de voir que des gens comme Guy Philippe, qui essaient d’accéder au parlement pour jouir de l’immunité qui s’y rattache, n’auront pas la chance de le faire.

Par ailleurs, les partisans et sympathisants du sénateur élu de la Grand’Anse, Guy PHILIPPE, ne chôment pas depuis l’arrestation de leur poulain et ne cessent de  manifester. Ce mardi, plusieurs centaines d’entre eux ont parcouru le centre-ville de Jérémie, manifestant bruyamment pour exiger sa libération.

Guy Philippe a eu sa première comparution devant le juge Barry Garber du tribunal fédéral de Miami le vendredi 6 janvier. Sa prochaine audience de mise en accusation est prévue pour le vendredi 13 janvier 2017.

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