Quand Bill Gates prédisait le passage à la télévision numérique

Le Nouvelliste | Publié le : jeudi 20 septembre 2012
Jean-Claude Boyer jc2boyer@yahoo.com Lundi 3 septembre 2012

L’homme peut-il fermer les yeux sur ce qui se passe autour de lui ? On n’arrête pas le progrès, la société industrielle (qui a fait l’objet d’études pénétrantes de penseurs tels que Raymond Aron («Dix-huit leçons sur la société industrielle») et John Kenneth Galbraith («Le Nouvel Etat industriel» où l’auteur décrit l’univers des grandes sociétés anonymes) déverse ses gadgets. «Chaque nouveauté doit trouver les consommateurs tout entiers disponibles». Je lis dans «Les compagnons du spirituel», essai littéraire de Gérard de Catalogne un passage saisissant : «L’homme est un animal politique, un animal social et c’est amoindrir ses sources vitales, c’est le plonger dans le plus dangereux des immoralismes que de l’obliger à fermer les yeux sur ce qui se passe autour de lui, sur les progrès de ses idées et auxquels il est parvenu par ses efforts incessants.» L’environnement global n’échappe pas à l’observateur. La doctrine classique fait de l’entrepreneur un artisan de l’innovation, Joseph Schumpeter relevait que l’entrepreneur doit venir avec un produit nouveau, c’est-à-dire un bien qui n’existait pas.

A la fin du XXe siècle, on s’aperçut que l’entrepreneur devait aussi aller au devant des attentes du consommateur, être sensible aux modifications à apporter au produit de consommation déjà existant. La télévision a été une invention magique. Pendant 50 ans, le téléspectateur était passif devant le poste récepteur, il regardait en silence son programme favori. L’interactivité était presque inconnue. Bille Gates, dans un article reproduit dans «Courrier international», décembre 1999, Hors-série no 17 sur le thème «Le monde en 1999» annonce l’arrivée prochaine du numérique sous le titre : «Multimédia /Bill Gates : ma vision de la télé de demain». Sans quitter le confort de leur divan, la possibilité de participer à des jeux télévisés était offerte aux téléspectateurs de Columbia, dans l’Ohio, par Warner Communications dans les années 1970. «Au début des années 1990, alors que le multimédia devenait la tarte à la crème de toute industrie télévisuelle, toute une série d’essais d’interactivité permirent à des téléspectateurs, en pianotant sur leur télécommande, de se faire livrer à domicile aussi bien leur film favori qu’une pizza.» Le PDG de Microfoft se félicite de la progression époustouflante de la télévision au cours de son demi-siècle d’existence, avec la mise en service d’environ 1,4 milliard de récepteurs dans le monde, «La couleur, les caméscopes, le son stéréo, la télécommande, les écrans géants, le câble et le satellite ont transformé notre façon de regarder la télé.» Paradoxalement, sa technologie de base n’a guère évolué. L’analogique n’a pas bougé d’un pouce. On a recours à la même vieille technologie analogique qui permit la diffusion des premières émissions américaines dans les années 40; les émissions, à la fin des années 90, sont regardées sur les mêmes tubes cathodiques que ceux utilisés à l’époque.

Tout cela va changer, annonce-t-il avec la télévision numérique qui rend à son tour possibles d’autres avancées technologiques significatives. Bill Gates précise qu’elle fait des images au réalisme saisissant de la télévision haute définition (TVHD) une réalité. «Cela signifie que toutes les émissions que vous regarderez seront acheminées sous forme de bits du même type que les 1 et les 0 traités par votre ordinateur, rendant ainsi les deux appareils vraiment compatibles technologiquement.» «Avec l’apport des standards internationaux des logiciels et de l’Internet, la nouvelle génération de télévision intelligente mêlera la détente télévisée et l’interactivité du World Wide Web», poursuit le fabricant de Microsoft.

A la télé aux capacités limitées succèdera la télé intelligente. Pour transmettre simultanément tous ces bits jusqu’à ou depuis son téléviseur, installé au bureau ou à domicile, il faudra à l’usager une connexion à grande large bande. Signe encourageant : la provision globale des larges bandes commence à exploser. Lors, les opérateurs de télévision par câble, les compagnies de télécommunications et de nombreux autres acteurs mettaient en place de vastes réseaux de fibres optiques qui, le moment venu, relieront entre eux pratiquement tous les foyers et les bureaux, aux Etats-Unis comme ailleurs.

Bill Gates vante l’utilisation pratique de la télé intelligente qui aboutira à la possibilité pour un fan de regarder jouer son équipe de football préférée ; il pourra, d’un simple clic sur la télécommande, faire apparaître à l’écran un menu fort semblable à ceux auxquels sont habitués les utilisateurs d’ordinateurs. Le menu s’affichera sur deux des côtés de l’écran, dont il réduira à peine l’image, de sorte que le fanatique pourra continuer à regarder le match. Ce menu lui permettra d’obtenir des renseignements sur un joueur depuis un site Internet, repasser des parties ou connaître le score d’autre matchs, commander des marchandises en rapport avec le jeu, discuter du match avec des amis qui le regardent chez eux ou participer à des forums de discussion liés à la partie en cours, ou encore lire les titres de l’actualité et obtenir des détails sur les informations qui l’intéressent.

Là ne s’arrête pas la gamme des possibilités d’utilisation de la télé numérique. Le téléspectateur, nouveau consommateur d’un équipement ménager renforcé et amélioré, avant de regarder son feuilleton favori, pourra connaître le résumé de l’épisode précédent, ou la biographie de l’un des personnages ou acheter le même chandail qu’il vient de voir sur un acteur à l’écran. Pendant la pause publicitaire, poursuit Bill Gates à l’égal d’un vendeur qui explique au client les multiples avantages d’un article en vitrine, il aura la possibilité de faire ses emplettes en ligne, actionnant une publicité interactive. Ensuite, ses enfants auront peut-être envie de regarder une émission éducative, et là encore ils auront la possibilité de télécharger des informations, d’effectuer des recherches en ligne leur permettant de terminer leurs devoirs et de poser des questions de façon interactive.

La mutation principale a un nom: interactivité, donc échange. Bill Gates est convaincu que l’industrie numérique adoptera le principe des émissions interactives dans les premières années du XXIe siècle. A la fin du XX siècle, de nombreuses émissions sont financées à perte et dépendent de la revente à d’autres chaînes pour être rentabilisés. L’interactivité offre de nouvelles sources de revenus- par exemple grâce aux commissions sur les achats en ligne, qui sont susceptibles de devenir l’un des principaux segments du commerce électronique.

Mais les téléspectateurs voudront-ils de toute cette interactivité ? Se demande le patron de Microsoft. Assurément, certains préféreront continuer à regarder leurs émissions fétiches comme par le passé, et rien ne les en empêchera. Mais au contraire des trois générations qui ont grandi avec l’idée que la télévision ne pouvait être qu’une expérience passive et à sens unique, les téléspectateurs d’aujourd’hui ont un mode de vie de plus en plus influencé par le Web. «Plusieurs enquêtes ont montré que les enfants possédant un ordinateur passent moins de temps devant leur téléviseur- ils préfèrent l’interactivité, ils veulent contrôler ce qu’ils voient», révèle Bill Gates qui ajoute : «Ce sont eux qui composeront le public que les concepteurs de programmes télévisés voudront toucher au XXIe siècle.» A une condition : pour que la télévision intelligente soit un succès, il faudra qu’elle soit facile à utiliser- le plus gros marché, au moins au début, pourrait bien être constitué par la «télévision interactive paresseuse». Raison pour laquelle l’interface devra être simple-quelque chose de pas plus compliqué que la télécommande.

Et, tout comme l’ordinateur, le téléviseur fera appel à une interface plus naturelle. Il répondra aux consignes verbales et intègrera un «assistant intelligent» qui apprendra à connaître les goûts et les aversions de l’utilisateur et l’aidera à trouver émissions et informations. Le téléviseur deviendra l’une des principales interfaces de son réseau domestique, capable de contrôler aussi bien le chauffage que le système de sécurité de son domicile. Nombre d’opérations que l’usager effectue aujourd’hui au bureau sur son ordinateur-comme le courrier électronique- seront possibles via le téléviseur dans le confort de son canapé. De plus, la technologie des écrans plats permettra d’installer un mince écran naturel dans chaque pièce de la maison. Tout le système se gérera tout seul, s’entretenant automatiquement et téléchargeant les émissions, les informations et les dernières versions des logiciels qu’il utilisera.

La télévision intelligente –autre appellation de la télévision numérique- deviendra, dans moins d’une décennie, plus familière que ne l’est la toile. Mais son interactivité ne séduira pas du tout le monde, prévient Bill Gates. Il restera toujours des fans d’Alerte à Malibu pour vouloir regarder les rediffusions sous leur forme originelle, tout comme les amoureux des vieux films noir et blanc boudent les versions colorisées. Ainsi l’interactivité pourrait bien ne jamais détrôner l’inactivité. Chacun son goût.

Bill Gates ne définit pas l’analogique, pour le numérique la démonstration a été faite qu’il représente une résolution, une avancée technologique de taille.

En bon vendeur, le PDG de Microsoft aura vanté les qualités du nouveau produit digitalisé ou numérisé. L’usager suivra, pris «dans les filets du désir». Et le désir est ce qui alimente la demande. Comme il peut choisir de ne rien modifier dans ses habitudes, ne voulant pas «empoisonner» son existence avec le déversement des produits de la société industrielle. Tout est affaire de choix. Le consommateur en a liberté entière.

Jean-Claude Boyer jc2boyer@yahoo.com Lundi 3 septembre 2012
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