Lettre d’explications de Jean-Claude Duvalier

Au cours de la séance de la Cour d’Appel du 7 février, où l’ex-Président Duvalier absent, s’était fait représenté par ses avocats, « Baby Doc » avait laissé le soin à ses avocats de lire une lettre, dans laquelle il expliquait les motifs de son absence.

Suite à la demande de report d’audition de ses avocats et après que le Ministère public, qui poursuit l’ex-Président, ait reconnu que cette comparution personnelle n’était pas conforme à la loi, le tribunal a accepté le report d’audition [le 4ème], fixant une nouvelle la comparution personnelle de Jean-Claude Duvalier au 21 février 2013, s’il ne se présente il risque cette fois-ci d’être arrêté, à moins que ses avocats ne trouvent un nouveau moyen légal, de renvoyer une fois de plus, cette 5ème tentative de comparution…

Lettre d’explications de Jean Claude Duvalier :
« Aux présidents et membres de la cour d’appel de Port-au-Prince.
À l’attention de Me Jean-Joseph Lebrun, cour d’appel de Port-au-Prince

Messieurs les présidents de la cour d’appel et membres de la composition des affaires pénales du jeudi,

Je, soussigné, Jean-Claude Duvalier, ancien président de la République d’Haïti, vous présente mes respects et ai l’avantage de porter à votre connaissance les faits que voici :

A la suite d’une ordonnance rendue par le juge d’instruction Carvès Jean du tribunal de première instance de Port-au-Prince, j’ai relevé appel de cette décision de justice et, par mes avocats, j’ai assigné l’État à comparaître à la cour en vue de la reformation de cette ordonnance qui, en partie, a violé la loi, à la suite du réquisitoire du ministère public qui avait renoncé à toute poursuite, en rejetant les charges illégalement retenues et soumises prescrites depuis plus de trente (30) ans.

A l’audience du jeudi 31 janvier 2013 de la section des affaires pénales de la cour d’appel, vous avez rendu un arrêt ordonnant ma comparution personnelle à l’audience du jeudi 7 février 2013.

Je tiens, par la présente, Messieurs le président et membres de la cour, à soumettre respectueusement trois objections majeures à votre décision dont je sollicite ce jour, dans le délai de la loi, la rétraction pour les motifs ci-après.

1- La demande de comparution personnelle de l’appelant, selon moi, dans sa propre cause, est prématurée, puisque, comme le veut la loi, elle n’a pas été ordonnée à la suite de débats ou de présentation de faits ou d’indices qu’elle viserait à confirmer, à comparer ou à combattre. Aucune des parties en présence ne l’avait d’ailleurs produite. De plus, il est consacré par la pratique haïtienne de nos cours et tribunaux que la cour d’appel faisant fonction de juges d’instruction en collégialité ne peut entendre les parties qu’après avoir infirmé l’ordonnance querellée. C’est l’enseignement des Maîtres haïtiens.

Or, même la prétendue partie civile qui s’est présentée sans droit, sans intérêt et sans qualité devant vous, et encore moins le ministère public, n’ont ni sollicité ni compris le sens pour le moins étrange de votre démarche, avant l’examen des pièces du dossier, de l’exposé des parties, et de l’arrêt infirmant l’ordonnance du juge de première instance.

2- Vous avez ordonné ma comparution personnelle comme appelant dans cette cause contre l’État et le ministère public « en vue de faire luire la vérité» (). Or, les juges d’instruction que vous êtes, investiguant en collégialité à charge et à décharge, à la recherche d’indices concordants, n’ont rien à voir, comme c’est le cas pour un procès pénal en cour d’assise, avec la recherche de la vérité. Il y a donc ici une certaine confusion de rôle et d’attributions qui mérite d’être clarifiée. Car le juge d’instruction est juge des indices et non celui des preuves.

3- J’ai été, comme ancien président de la République d’Haïti, invité à me présenter devant la cour (suivant votre arrêt), le 7 février 2013, 27 ans jour pour jour après mon départ du pouvoir.

Cette coïncidence ne peut, en aucun cas, occulter la perception politique que l’on peut avoir de cet arrêt! En effet, le 7 février 1986, jour de ma démission et de mon départ pour l’étranger, les plus graves crimes politiques ont été commis dans ce pays contre des milliers de membres de familles duvaliéristes, des Volontaires de la sécurité nationale (VSN), des milliers de houngans à travers le pays, en particulier à Jérémie et dans le sud du pays, et des milliers de proches, de partisans et d’alliés de mon régime ont été déchouqués ou brûlés vifs par un procédé criminel de justice collective et expéditive appelé « père Lebrun», à un moment ou d’autres, dans la joie, saluaient mon départ du pays comme une date de liberté, de victoire et de révolution. Le 7 février est donc une page de notre Histoire qui charrie discordes, haines, violences et destructions! Il n’eût pas été sage que la politique prenne le droit, la loi et la justice en otage par cette comparution personnelle. Trop de passions se seront réveillées et actualisées pour faire revivre des moments de blessures en cette période difficile où le chef de l’État et les dirigeants politiques actuels parlent avec raison de la Réconciliation nationale nécessaire pour panser et bander les blessures de notre passé encore récent que cette comparution risque de réveiller. Victimes et bourreaux se donneront obligatoirement rendez-vous ce jour-là, à tort ou à raison!

Pour toutes ces raisons, Messieurs les présidents et membres de la cour, je vous prie de bien vouloir rétracter cet arrêt avant-faire droit, qui ne pourra pas contribuer à faire découvrir la vérité, mais plutôt à semer le doute et créer la confusion et même provoquer des menaces à l’ordre social.

Comme appelant, je sollicite la lumière des honorables et distingués membres de la cour d’appel de Port-au-Prince sur des questions spécifiques de droit susceptibles de reformer l’ordonnance fautive de la première instance; et, si le cas y échet, en cas de rejet des trois (03) objections ci-dessus énoncées, fixer par arrêt cette comparution personnelle de l’appelant que je suis, à une date ultérieure du mois de mars, après le carnaval 2013.

Persuadé que la présente retiendra votre sage attention pour les suites de droit à sortir, je saisis l’occasion pour vous renouveler, Messieurs les présidents et membres de la composition pénale de la cour d’appel de Port-au-Prince, l’assurance respectueuse de ma très haute considération.

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