L’assassinat de Jovenel Moïse, un message plein de signifiance envoyé à Haïti

L’assassinat de Jovenel Moïse est mis en scène comme une vulgaire exécution à caractère mafieux, pourtant il porte un message plein de sens qui confirme encore davantage la théorie de l’indigence.

Comme le dénouement fatal d’une histoire mafieuse, comme l’immaturité d’un homme de main entêté à se prendre pour un démiurge ayant la maitrise des évènements, Jovenel Moïse a été envoyé auprès de ce Dieu à l’aune de qui il mesurait l’immensité de son pouvoir. “Après Dieu, c’est moi qui règne sur Haïti”, disait-il. Toute mort par assassinat étant une tragédie, nul ne saurait se réjouir des malheurs qui ont endeuillé la famille de Jovenel Moïse; cependant, il nous est permis de relever dans cet acte des éléments signifiants pour l’avenir d’Haïti.

Un assassinat signé comme une exécution mafieuse

Nous nous prêtons à cet exercice pédagogique pour la simple raison qu’encore une fois, il nous semble que ces signaux n’ont pas été perçus et décodés en Haïti par ceux là même à qui ils sont destinés.

D’abord relevons ce fait qui n’aura échappé à personne: l’assassinat porte la signature d’une exécution dans le plus pur style de la mafia. Si l’on en croit ce que rapporte le Nouvelliste qui cite le constat du juge de paix :

« Le bureau et la chambre du président ont été saccagés. Nous l’avons trouvé allongé sur le dos, pantalon bleu, chemise blanche maculée de sang, la bouche ouverte, l’œil gauche crevé. Nous avons vu un impact de balle au niveau de son front, un dans chaque mamelon, trois à la hanche, un à l’abdomen », a indiqué le magistrat, soulignant « avoir observé 12 orifices fait à l’arme de gros calibre et avec des projectiles 9 mm ».

Pas besoin d’être mafieux pour connaitre ces codes, il suffit d’avoir lu Diego Gambetta qui a déchiffré dans une excellente étude disponible ici les signes, les stratégies et les codes de communication de la pègre.

Il y a manifestement une violence chirurgicale qui semble porter l’empreinte d’une exécution selon les codes de la mafia. Comme un règlement de comptes entre des gangs rivaux, comme un châtiment pour trahison. On essaiera de ne pas oublier que depuis 2011 où le gangstérisme a été intronisé au pouvoir en Haïti par la communauté internationale, presque tous les criminels arrêtés, poursuivis, recherchés, évadés n’ont jamais été loin des officiels des pouvoirs exécutif et législatif haïtiens. Ainsi, on peut sans crainte dire que l’entourage économique, diplomatique, politique et social de la présidence haïtienne est officiellement constitué depuis 2011 de mafieux.

C’est d’ailleurs un universitaire qui ne s’est pas gêné de prêter ses services à ce pouvoir qui a écrit dans cet article La juridicisation de la vie sociopolitique et économique en Haïti. Enjeux et limites  qu’en Haïti :

” […] on assiste dans tous les secteurs à une criminalisation croissante des milieux économiques, politiques et financiers. Hommes d’affaires et tenants de la criminalité organisée se coalisent pour accroître la synergie entre économie conventionnelle et économie criminelle. Ils bénéficient, pour ce faire, de la protection des gouvernants en échange de leur soutien financier”.

Alors, on se demande comment un universitaire qui constate cette vulnérabilité effroyable peut-il se mettre au service d’un tel pouvoir en sachant pertinemment que son action sera insignifiante. Pour trouver la réponse à cette question, il faut retourner encore visiter les travaux de Diego Gambetta qui nous présente dans une approche méthodologique éloquente intitulée De la valeur de l’incompétence tout court à la mafia universitaire les liens puissants d’incompétence que développent mafia et université un peu partout dans le monde et encore plus dans certains pays criminalisés. Ah, je vous vois perplexe par cette association entre incompétence et université.

Et c’est là que mon récit sur l’indigence prend tout sons sens, car il revisite la notion de compétence à l’aune d’une complexité qui va au-delà du prestige d’un titre et d’un diplôme académique. L’intelligence se mesure plus complexement par la charge d’intégrité, de responsabilité, de loyauté, de vérité, de dignité et d’humanité qu’un individu peut mobiliser dans ses interactions avec son environnement. De sorte que même avec de brillants diplômes, sans la capacité de sacrifier certains intérêts pour défendre l’une ou l’autre des valeurs ci-dessus mentionnés, il n’y a plus de compétence mais une sourde indigence.

D’ailleurs comme le dit Gambetta, : « Les criminels sont la quintessence de l’Homo œconomicus ». Une manière de nous signifier que l’homme dénué d’éthique qui est au service de son intérêt personnel, n’est qu’un criminel en puissance. Voilà pourquoi Haïti, par la disponibilité d’une armée d’universitaires sans éthique au service de leur intérêt personnel et de leur réussite, est une poubelle d’expérimentation aux mains des criseurs de la communauté internationale. et c’est en cela que l’assassinat de Jovenel Moïse contient un signifiant message. Mais avant d’y arriver relevons dans cet assassinat un troublant paradoxe.

Soudaine et paradoxale performance de la Police

En effet, tout observateur lucide ne peut ne pas avoir été surpris par la vitesse et l’efficacité avec lesquelles une police, incompétente et mise en échec systématiquement depuis 4 ans sur tout le territoire par des gangs amateurs, a brillé moins de 24 heures après l’assassinat. La police haïtienne, impuissante face aux gangs, a pu arrêter en moins de temps qu’il ne faut pour le dire des mercenaires que l’on prétend être des professionnels étrangers. Pourtant ceux-ci ont pu déjouer tous les dispositifs de sécurité pour se retrouver dans l’intimité des appartements d’un président et curieusement, une fois leur œuvre terminée, ils sont retrouvés et tués dans des hôtels miteux comme s’ils étaient des amateurs qui n’avaient  pas prévus leur fuite.

Quelle haute performance paradoxale pour la police d’un pays qui, en 26 ans d’existence, accuse un taux  de 0.000000001% de crimes résolus ! Dois-je rappeler que sur les 35 dernières années, depuis la chute de Jean Claude Duvalier en 1986, l’un des tout premiers assassinats spectaculaires a été commis sur un avocat du nom de Yves Volel et que jusqu’à présent l’enquête se poursuit. Comment ne pas aussi constater la soudaine mise sur pause des activités des gangs, comme si la main qui les manipulait a été soit désactivée, soit occupée ailleurs. Car la dynamique du chaos voudrait que les gangs profitent de cet évènement pour imposer leur loi, comme ils l’ont fait ces 4 dernières années. Or c’est le calme plat, un calme qui confirme que le chaos haïtien est bien diplomatiquement réglé. Que de paradoxes !

Et c’est sans doute pour tous ces florilèges de paradoxes qu’Haïti est le théâtre d’expérimentation de la communauté internationale, notamment des Américains, des Français et des Canadiens. Une réalité hélas que les médias internationaux peinent à souligner par manque d’éthique. Car en précisant qu’Haïti est le pays le plus pauvre et le plus instable de l’Amérique, ils oublient toujours de dire que sur ce pays ce sont les Américains, les Français, les Canadiens, avec leurs agences, leurs attachés culturels et leurs ONG qui y règnent en maitres.

La preuve, c’est l’ONU qui vient de décider ce jeudi 8 juillet 2021 le nouvel homme de main qui a reçu la légitimité pour diriger Haïti, comme l’OEA l’avait déjà fait en 2011.

Le vrai message de cet assassinat

Mais le vrai  message que renferme cet assassinat est le suivant :les Haïtiens n’ont désormais plus de pouvoir sur leur pays que ne l’avaient les esclaves sur la colonie de Saint-Domingue. Haïti a atteint un tel niveau d’insignifiance, par le déracinement culturel et la déshumanisation des élites qui s’y sont constituées, que la communauté internationale peut, délibérément à sa guise, mettre un chien à la tête de ce pays, qu’il n’y aura aucune indignation collective. Et même qu’il y aura des universitaires, des hommes d’affaires, des journalistes, des professionnels, des ONG pour continuer de vaquer à leur aubaine et à leur petite réussite en se mettant à disposition du nouveau pouvoir pour se rendre utile.

Voilà pourquoi il est intéressant de chercher à comprendre comment Haïti a pu atteindre ce niveau d’insignifiance. Car loin d’être une spécificité haïtienne, cette indigence est le résultat d’un conditionnement psycho-cognitif qui peut survenir partout ailleurs.

J’estime qu’il était opportun que je prenne le temps de partager ce message.

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