L’affaire Morno, la mégalomanie du pouvoir…

Le Nouvelliste | Publié le : lundi 24 septembre 2012
Hérold Jean-François

Quelle portion du territoire de la République faut-il isoler comme périmètre de sécurité autour de la résidence privée du chef de l’État, pour que M. Martelly ne se sente pas en danger ? N’avons-nous pas vu madame Ertha Pascal Trouillot, présidente de la République continuer de vivre paisiblement dans sa maison sise à Christ-Roi avec les marchandes et les marchands de rue encombrant les trottoirs voire l’entrée principale de sa résidence ? Situation anormale s’il en était, mais madame Trouillot avait refusé de les faire déloger. Avant  madame Trouillot, le général Prosper Avril n’avait pas fait déclarer d’utilité publique à Juvénat, toutes les propriétés limitrophes à sa maison pour se sentir en sécurité. Le général Henri Namphy vivait dans la plaine du Cul-de-Sac dans une grande propriété sécurisée, mais entourée de voisins des deux côtés et d’en face, sur la rue principale de Lillavois. Plus près de nous, le président René Préval vivait au Canapé-Vert surplombé par le bidonville de Sainte-Marie et après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 sur la route de Kenscoff à Laboule à la ville Shangri La. Les vitres de la maison du (président) Préval étaient à la portée du jet de pierre du premier fou qui voudrait commettre une agression, Nous avions d’ailleurs publiquement mis en évidence l’insécurité dont cette maison était l’objet.

Une affaire de droit commun

Qu’est-ce qui a changé pour que le président Michel Martelly qui a juré sur la Constitution de l’observer et de la faire observer soit celui qui met en péril les garanties à la propriété privée (art. 36) ? Est-ce que désormais, le président haïtien ne doit pas avoir de voisin autour de sa propriété privée. Et qui sait qui va devenir chef de l’État pour éviter d’acheter des propriétés dans son voisinage ? Les  voisins de la future plage du chef de l’État doivent-ils être inquiets comme l’est aujourd’hui le Dr André Morno ? Selon l’article 36-2 de la Constitution : « La nationalisation et la confiscation de biens, meubles et immeubles pour causes politiques sont interdites. Nul ne peut être privé de son droit légitime de propriété qu’en vertu d’un jugement rendu par un tribunal de droit commun passé en force de choses souverainement jugées, sauf dans le cas d’une réforme agraire ».

Et d’où viennent les provisions quant au voisinage immédiat de la propriété privée du président de la République d’Haïti ? Les affaires privées du président relèvent-elles d’un droit spécial ? Existe-t-il des droits spéciaux quant aux biens du chef de l’État haïtien ? Et quant à la question de la demeure du président de la République, la Constitution la fixe clairement en son article 153 : « Le président de la République a sa résidence officielle au palais national, à la capitale, sauf en cas de déplacement du siège du pouvoir exécutif ». Ceci étant dit, la maison privée du chef de l’État haïtien n’est pas légalement sa résidence officielle. Alors, il découle de ce point que toute affaire regardant un aspect quelconque de la propriété privée du président de la République relèverait du droit commun inhérent au statut de la propriété privée comme évoqué précédemment au titre de l’article 36-2 de la Constitution.

Mais, dans le cas d’espèce, au-delà de l’aspect propriété privée, l’on évoque la question sécuritaire. Le législateur, en fixant la résidence du président au palais national, n’est-ce pas parce qu’en cet endroit il existerait les conditions maximales pour assurer sa sécurité ? Michel Martelly n’est pas le premier président qui ne réside pas officiellement au palais présidentiel, en dérogation à l’article 153 de la Constitution. Mais contrairement au président Martelly, ses prédécesseurs qui ont choisi d’habiter ailleurs n’ont pas cherché nuisance à leurs voisins en mettant en branle contre eux, sans vergogne et sans gant l’instrumentalisation de l’institution étatique qu’est la DGI.

Le palais national siège du Pouvoir exécutif

L’Affaire Morno est un puissant indicateur de l’utilisation contraire du pouvoir contre le citoyen. C’est le comble de l’indécence, de l’autoritarisme et de l’arrogance du pouvoir dans son aspect le plus vil, la mégalomanie. Malgré la destruction du palais national par le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le Parlement haïtien n’a pris aucun décret relatif au siège du Pouvoir exécutif. Mais l’on comprend bien que la maison privée du chef de l’État offre plus de confort que les installations provisoires actuelles du palais national. Et quand même ce n’aurait pas été le cas, tout comme ses prédécesseurs, M. Martelly a le droit de préférer l’intimité de sa maison au milieu public indiscret que peut être le palais. Cependant, ce choix ne saurait se faire au détriment de ses voisins puisqu’il n’y a aucune raison pour que l’État décrète d’utilité publique tout le quartier de Péguy-Ville ou la rue de ce quartier abritant la résidence des Martelly, ou une maison ou propriété de ce quartier au nom de la sécurité du chef de l’État. Le président et son entourage ont mal abordé ce problème. Ils l’ont même abordé de la pire façon, celle de l’utilisation abusive du pouvoir pour exproprier un citoyen. Et s’il en était besoin, les moyens que l’État met à la disposition du président de la République doivent être mis à contribution pour garantir sa protection où que cela s’avère nécessaire. Un détachement de la garde présidentielle ou une unité spéciale de protection aux alentours de la demeure du chef de l’État, sans que cela dérange outre mesure les voisins, qui, dans ce cas doivent faire preuve de compréhension le temps de la durée du mandat. Mais la dépossession abusive et outrancière ne fait pas partie des cas de figure possibles.

Le statut de président de la République est provisoire. Il faut bien gérer tous les aspects de son terme pour pouvoir revenir tranquillement sur son lieu d’habitation avec l’adhésion de tous ses voisins. Toute utilisation contraire du pouvoir entraînera des poursuites de la part des tiers victimes, car il est connu que les défaites du droit sont provisoires tout comme le pouvoir. Et les fonctionnaires à la tête des institutions d’État qui, sans aucune retenue, se laissent utiliser pour perpétrer des abus contre des citoyens doivent eux aussi savoir qu’ils n’échapperont pas, en temps et lieu, à la poursuite des personnes lésées par abus de pouvoir. L’histoire est là qui nous renseigne sur les dépossessions et les récupérations de biens…

La propriété, une notion sacrée

La notion de propriété est sacrée, en Haïti comme ailleurs. Les propriétaires et leurs familles, sur des générations, ne savent faire aucune concession là-dessus, tout comme l’État qui préfère entrer en guerre avec un plus fort, même s’il n’en a pas les moyens, pour défendre une partie de son territoire. La garantie à la propriété privée figure en général en bonne place dans des garanties constitutionnelles. C’est pourquoi, à la suite de situations conflictuelles, comme les guerres civiles et les coups d’État, en général, les nouveaux dirigeants, pour mettre en confiance les citoyens et la communauté internationale, dans leur première déclaration, se sont toujours engagés à respecter la propriété privée, à garantir la sécurité des vies et des biens et à respecter les accords et les conventions internationales signés par leur pays.

Le dossier Morno est écœurant. La  citoyenneté qui n’est pas prête à laisser perpétrer un acte aussi ignoble, un mauvais précédent qui, si on n’y prend pas garde, affectera en temps et lieu, chacun de nous dégoute. Il faut un grand chœur national pour dire non, on ne veut pas de ça de la part de nos dirigeants ! Le pouvoir c’est pour construire ensemble le bien commun et non pour commettre de grossiers abus. Ce n’est pas avec un pareil état d’esprit d’abus du pouvoir que l’on encouragera l’investissement et qu’on créera la confiance chez les Haïtiens d’ici et d’ailleurs, encore moins chez les étrangers à qui l’on vend la propagande « Haiti is open for business ».

Hérold Jean-François
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