La restauration : pour un renouvellement de l’art

Le Nouvelliste | Publié le : vendredi 19 octobre 2012
Péguy F. C. Pierre peguyfcpierre@gmail.com
Sauver le plus grand nombre d’oeuvres d’art ensevelies de dessous les décombres, après le séisme du 12 janvier, était une urgence. A cet effet, deux artistes peintres sont partis pour Yale en août dernier. Leur mission : maîtriser les techniques de la restauration synthétique sur papier.
Derenoncourt et Louissaint en pleine restauration à Yale
Derenoncourt et Louissaint en pleine restauration à Yale

Pour ceux qui ne sont pas initiés aux techniques de la peinture ou à l’art en général, ils sont loin d’imaginer ce que cela requiert comme travail de restaurer une création abîmée, quelle qu’elle soit. Certaines fois, remettre une pièce en état, une peinture par exemple, peut s’étendre sur une année entière ; c’est pour cela que l’expertise en restauration est une compétence bien spécifique. Tout d’abord, il y a les trois règles à respecter : la lisibilité de l’œuvre si elle est altérée au fil du temps ; sa consolidation pour colmater les craquelures, les morceaux qui se perdent ; et en dernier lieu la réversibilité, c’est-à-dire veiller à ne pas utiliser un produit qui risquerait de dénaturer ou d’endommager totalement la pièce originale de l’artiste, tout en permettant que des réparations soient faites à l’avenir. Cette étape constitue l’une des plus difficiles quand il faut faire une récupération. En outre, plusieurs spécialistes auront à intervenir: le consultant qui évalue les travaux à faire; le scientifique qui analyse les matières utilisées antérieurement pour la nouvelle utilisation. C’est le restaurateur ou le peintre qui entre en contact en dernier avec la production. C’est un processus complexe qui demande une mise en place très élaborée.

A la liste de tout ce qui nous fait défaut dans ce pays, nous devions malheureusement accuser dans ce domaine également un déficit plus susceptible encore de générer des dommages. Celui-ci se fit le plus sentir à la suite du séisme de 2010. Par delà les pertes en vies humaines, celles de réalisations immortalisées sur plusieurs générations étaient un coup de plus à encaisser. C’est de l’urgence et de la nécessité de cette sauvegarde qu’est né, en juin de la même année, le Centre de sauvetage des biens culturels.

A l’initiative d’Olsen Jean Julien, ancien ministre de la Culture, une collaboration a pris forme entre la Smithsonian institute des États-Unis et le gouvernement haïtien via le ministère de la Culture. Stages, ateliers, formations en conservation se sont tenus pour des centaines de jeunes et de professionnels de l’art dans nos murs et au-delà de nos frontières, à Yale notamment. Parallèlement, des œuvres abîmées telles que les fresques sur le mur de la paroisse Sainte-Trinité reprenaient vie sous les coups de pinceaux.

Deux ans plus tôt, des restaurateurs de la Smithsonian institute recrutaient des artistes professionnels en vue de constituer l’équipe sur laquelle reposerait la survie des productions de plusieurs générations d’artistes. Jean Ménard Derenoncourt et Franck Louissaint n’étaient peut-être pas les plus fougueux – leur grand âge oblige – mais leur longue expérience leur a prêté main forte. Il était évident pour eux que participer à un tel projet avec un institut aussi renommé que la Smithsonian était déterminant. C’était un socle sûr dans la carrière de tout jeune artiste et une consolidation dans celle d’un sage. Ils étaient de loin les plus avisés dans ce domaine et ont collaboré dans le projet à titre de consultant. Plutôt difficile à croire quand on sait que Derenoncourt n’a jamais suivi de formation qui l’aurait habilité à accomplir une tâche mobilisant beaucoup de minutie et un grand savoir-faire… Des compétences auxquelles l’autodidaxie la plus poussée ne saurait pourvoir à elle seule.

Le stage à Yale, qui dura un mois (août 2010), devait donc permettre aux deux boursiers de maîtriser les techniques de la restauration synthétique, accomplie à partir de fibres de polyester, du béva, de l’acryolide B72… Cette méthode est utilisée pour combler les failles de la restauration organique, qui se sert surtout de matières naturelles non modifiées telles que la cire d’abeille pure, la térébenthine, etc. Pour Jean Ménard Derenoncourt, cette formation est non seulement un point positif dans son parcours mais aussi une expérience enrichissante. «Avec Marc Arronson, chef de l’atelier de restauration de Yale et grâce à qui nous avions bénéficié de la bourse, nous avons été directement plongés dans l’ambiance de travail aussitôt sur le campus. Il voulait que nous entrons, avec trois autres collègues étrangers, en contact avec le matériel de travail dont nous ne disposons pas en Haïti mais très efficace dans l’action à réaliser. Nous ne faisions pas partie d’une faculté à proprement parler, mais nous étions là pour un complément parce que notre apprentissage avait commencé deux ans plus tôt en Haïti ; nous dépendions plus de la Smithsonian que de l’université elle-même. Pour l’instant, aucun diplôme n’accompagne ce stage. Sauf le papier de l’institut attestant notre participation aux restaurations réalisées après le séisme. Mais cela ne dérange en rien le sentiment de ravissement gardé de cette expérience. »

Dommage que le Centre de sauvetage ne soit plus en mesure d’accueillir le produit de son labeur. On y aurait poursuivi une grande vision. Depuis leur retour au pays, les peintres-restaurateurs se plaignent qu’aucun suivi n’était fait alors que le désir de partager leur savoir est ardent chez eux. «Je suis parti pour Yale avec le projet de revenir transmettre mon savoir à mes étudiants. D’autres sont partis et ont préféré rester là-bas, nous autres, on a fait le choix de revenir. Des tableaux de chez Nader, du Mupanah, du Centre d’art et d’autres musées et galeries attendent d’être remis à neuf, mais les structures pour la continuité n’existent pas. Pas de matériels, personne ne nous a contactés, aucun rapport n’a été soumis. Notre volonté est là, la connaissance aussi, seuls les moyens font défaut. »

Ce projet qui comporte deux phases – la première comprenant les différents ateliers qui se sont déroulés depuis deux ans – tarde à reprendre pour la deuxième partie. Il se trouve que malgré l’accord entre le gouvernement haïtien et la Smithsonian, le centre dépendait beaucoup plus de la deuxième entité. Pour sa relance, l’Unesco serait intéressée à jouer sa partition mais rien n’est encore décidé ; même si aujourd’hui c’est cette institution qui occupe l’ancien local du Centre de sauvetage. Une réunion est annoncée depuis un certain temps déjà par monsieur Olsen Jean Julien, en attendant que soit bouclé le cycle de formation d’un autre groupe de jeunes  à l’Université Quisqueya en gestion de patrimoine et de biens culturels.

La nécessité de lutter contre l’humidité et les termites, principales ennemies d’une création, est pressante et doit continuer, à en croire les propos de Jean Ménard Derenoncourt. Ceci à travers le Centre de sauvetage, créé dans ce but et par l’entremise de Franck Louissaint et Jean Ménard Derenoncourt. Ils sont disposés et disponibles, possédant non seulement les pré-requis mais de plus les techniques pour la conservation de pièces non inaltérables. Mais constituant le témoignage vivant d’un passé, d’un présent et même d’un futur.

Péguy F. C. Pierre peguyfcpierre@gmail.com
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