Interdictions de départ effectives, les protestations pleuvent

La DGI retient toute l’attention. Sur la toile, à la radio, dans les grands salons, une liste de contribuables interdit de quitter le pays pour créances impayées défraie la chronique. D’un cran, la tension monte lundi en milieu de journée. Comme une trainée de poudre, la nouvelle se répand : Andy Apaid Junior est bloqué à l’aéroport. Au micro des journalistes, l’homme d’affaires défend l’honneur des siens. Lui et sa famille respectent leurs engagements envers le fisc. « Je suis un citoyen honorable qui paie ses taxes », martèle Apaid, ex-meneur  du groupe des 184 et l’un des tombeurs du président Jean-Bertrand Aristide en 2004.

Son refoulement et la confiscation de son passeport ne sont pas simples. C’est ce qu’il croit. « Il y a anguille sous roche », enchaine-t-il, assurant avoir pigé. « Je crois comprendre d’où ça vient ; il y a autre chose derrière », répète l’industriel, grave : « Ce qui s’est passé a des conséquences et des conséquences graves ». L’industriel, du même souffle,confie n’avoir reçu du fisc « aucun bordereau », « aucun papier ». Et qu’à ses yeux, les menaces à des recours coercitifs n’étaient que des rumeurs.

Dans la même veine

Comme Apaid, d’autres chefs d’entreprise « listés » par la DGI contestent. Le patron de la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti, Hervé Denis, parle « d’erreur ». «  Cela doit être une erreur. Je ne suis ni président, ni propriétaire, ni président de conseil, je ne suis qu’un simple actionnaire dans une compagnie, MAC S.A. Hôtel Visa Lodge, qui paie régulièrement ses taxes », soutient Hervé Denis. Dans la foulée, il reconnait que cette compagnie à eu maille à partir avec la DGI. « Cette compagnie n’a qu’un contentieux avec la DGI sur un problème d’arriérés et le dossier a été confié à notre fiscaliste », explique Hervé Denis qui « encourage tout le monde à payer les redevances fiscales à l’Etat comme il se doit ». Il fait plus qu’encourager. « La Chambre de commerce offre ses bons offices pour rapprocher les parties et aider à trouver une solution équitable à cette affaire », propose Hervé Denis, le ton ferme dans sa demande de « levée de l’interdiction de départ pour des gens qui ont leurs entreprises dans le pays ».

Même son de cloche ou presque. « Le groupe Dynamic S.A que je préside paie fiscalement à la DGI et à la douane plusieurs dizaines de millions de gourdes chaque année », souligne d’emblée Philippe Armand, président de l’AMCHAM. « Je m’étonne, poursuit-il, que des bordereaux contestés valablement par notre administration puissent faire l’objet d’une mise en demeure et de la possibilité d’interdiction de départ et autres sanctions.» « D’autant plus que Magic Island tour ne représente que 5 % des contributions fiscale annuelle de notre groupe », argumente Armand qui révèle avoir été choqué par cette mesure d’interdiction de départ, pénalisant pour ses affaires.

Curiosité de la liste

William Eliacin, président du conseil d’administration de la Société Comptoir général de distribution S.A voit rouge. Il exige plus de rigueur dans la mise à jour des dossiers du fisc. En dépit du versement, indique-t-il, le 2 août 2012 de  2, 457,967.96 gourdes, sa société est sur la liste de la DGI.

Si William Eliacin  gère une entreprise, le contribuable qui a, selon la DGI, la plus lourde dette n’a pas d’usine, pas de restaurant. C’est Morno André, un propriétaire d’appartements. Son ardoise : 82 589,789 de gourdes. Oui 82 millions.

Technique, pas politique

Entre-temps, en soirée, des hauts responsables du pays indiquent « qu’il n’y a pas anguille sous roche » comme le dit André Apaid. Rien de politique. « Ce n’est pas de la nuisance politique. Loin de là », assure le secrétaire d’Etat à la réforme fiscale, Ronald G. Décembre. « Ces dettes datent de longtemps, on fait des  recouvrements forcés » indique  Décembre qui souligne que dans nombre de cas la DGI veut seulement que les entreprises listées versent la TCA qu’elles ont collecté pour l’administration fiscale.  « Pour la TCA ce n’est pas une taxe que l’entreprise supporte. Elle est redevable uniquement dans ce cas là », argumente le secrétaire d’Etat à la réforme fiscale, assurant que le travail a été technique et non politique.

Privert, entre doutes et craintes

Cependant, le sénateur Joslerme Privert, président de la Commission économie et finance du Grand Corps et ex-directeur général de la DGI émet des doutes. « Par rapport à cette liste, j’ai de véritables appréhensions quant à la véracité des créances établies », soutient Privert qui rajoute une couche : « Pour moi, beaucoup  de ces dettes ne sont pas des dettes réelles ».

« Je demanderais à la DGI et au gouvernement d’agir avec beaucoup de précaution quand il s’agit de publier les noms des gens dans les journaux et de réclamer des dettes fiscales. Parce qu’une telle mesure, sil elle est mal enclenchée, elle peut causer des dégâts irréparables », souligne le sénateur qui croit qu’il y a une « mauvaise lecture des informations disponibles à la DGI ».

« Je ne veux pas polémiquer avec le sénateur qui n’a pas les dossiers des contribuables en main », répond Jean Baptiste Clark Neptune, directeur général de la DGI. « Depuis ce matin, je suis en train de recevoir ces contribuables qui sont en train de se mettre en règle avec l’administration », révèle-t-il, rappelant, comme le secrétaire d’Etat que dans nombre de cas, il s’agit de la TCA. Travellers international ne peut pas refuser de verser à la DGI des taxes prélevées sur les billets d’avion vendus. Magic Island tour ne peut pas garder les TCA sous prétexte qu’elle a fermé ses portes, illustre Jean Baptiste Clark Neptune, soulignant que le contribuable qui se sent léser peut produire des réclamations à l’administration fiscale. Elle peut saisir aussi la CSC/CA. « A tout moment, il peut exercer un recours institutionnel », explique-t-il, rejetant les arguments de ceux qui disent avoir des litiges avec l’administration. C’est un prétexte, indique Neptune.

Selon une source de la DGI, 20 des 66 chefs d’entreprises se sont mis en règle avec l’administration. Le cap sera maintenu, assure un haut responsable du gouvernement sous couvert de l’anonymat. « Il n’y a rien de politique. L’Etat se donne les moyens pour collecter ses taxes afin de mieux remplir ses obligations envers la population », souligne-t-il. La pression fiscale en Haïti est la plus faible de la Caraïbes. La DGI collecte 80 % de ses taxes dans le département de l’Ouest et l’assiette fiscale est tout sauf large.

Roberson Alphonse
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