En do majeur Port-Salut !

Le Matin:

Notre Haïti n’est plus cette île insolite des Caraïbes. C’est désormais une sorte de cage aux fous et aux folles. Une promiscuité dans la déraison qui met côte à côte nationaux et étrangers. Au chevet d’une société déréglée, des aides-soignants dérangés. Chacun y va de sa folie sanguinaire. Kidnappings meurtriers en série. De sa corruption douce et sauvage. Larcins ici et là et mise à sac de la République. De ses assauts contre nos lois et la Constitution. Élections bidon et diktats internationaux. De son dévergondage sexuel. Port-Salut. Dans la République de l’impunité, la corruption, l’indécence et la violence des uns et des autres peuvent se donner libre cours. Tous à bord. Tous encagés dans le même réduit d’inélégances et d’incivilités. Tous coupables. Donc, point de sanctions. On a fait d’un pays une cité de complices dans le vice. Pourtant, une exception : la Minustah ne sortira pas indemne de cette énième « opération perversion » de ses casques bleus les plus infâmes.

Avant-hier, ils étaient jordaniens. Hier, sri-lankais. Aujourd’hui, ils sont uruguayens. Un cumul d’agressions sexuelles contre nos jeunes, qui a fini par rendre la Minustah aussi impopulaire qu’indésirable. C’est comme si l’opprobre du choléra n’était pas suffisant comme souillure sur le visage de cette mission onusienne et qu’il lui fallait se maculer d’autres salissures pour parfaire son autodestruction dans l’opinion publique haïtienne. L’affront de Port-Salut est trop profond. Aucune éponge ne saurait ni l’essuyer ni le laver. Blessures. Comme ces entailles vives faites d’une main assassine sur le corps et qui touchent jusqu’aux nerfs et aux os. Des bruits d’indemnisation nous parviennent d’Uruguay. Attention ! Ceux-là qui, ici comme ailleurs, croient possible une réparation du mal, doivent se dire que la dignité humaine outragée ne s’indemnise pas. Car ce viol collectif contre cet adolescent haïtien tient lieu de « kalòt marasa ». C’est la personne humaine qui est ici violentée. Et c’est Haïti qui est aussi flétrie dans ce qu’il lui reste d’orgueil national. Les excuses officielles uruguayennes sont acceptées. Celles des dignitaires des Nations unies en Haïti sont aussi les bienvenues. Isoler ou rapatrier ces soldats onusiens dépravés, ce n’est pas rendre justice. Il pourrait même s’agir là de stratagèmes procéduraux pour couvrir des intouchables. Justice ne sera rendue que quand un juge impartial aura dit son mot sur Port-Salut, ce haut lieu de villégiature où, par la folie de ces Uruguayens, la Minustah a creusé son tombeau d’Abu-Ghraib. C’est justement le comportement abject d’une minorité de GI’s américains dans cette prison d’Irak qui a fini par décrédibiliser, aux yeux des Irakiens et du reste du monde, la présence des forces américaines d’occupation dans ce pays. Éclaboussures. La maladresse de quelques-uns, les dérapages d’un groupe, les bavures d’un contingent, deviennent, souvent, le lot de tous. De toute une mission. Malheureusement.

Le renouvellement prochain du mandat de la Minustah devrait s’accompagner d’un agenda de redéploiement progressif de ses effectifs militaires. Le scandale de Port-Salut devrait servir de catalyseur aux autorités haïtiennes et onusiennes pour repenser cette mission et réévaluer son impact durable sur le terrain. Elle a permis, certes, une stabilisation relative d’Haïti. Mais dans l’ensemble, le bilan est loin d’être réjouissant. On peut même dire que la Minustah est victime de sa propre « malédiction haïtienne ». Le label n’est plus crédible. Méfiance. Suspicion. Mépris. Révolte. Manipulations politiciennes. Sous son appellation et son fonctionnement actuels, la mission militaire onusienne ne peut plus être efficace dans un environnement devenu très hostile. Il faudra travailler mieux l’image et policer davantage les comportements. Les puissances militaires régionales, comme le Brésil et le Chili, aideront mieux Haïti dans la préparation et la mise sur pied d’une force de sécurité haïtienne viable et professionnelle que dans le cadre d’une présence militaire prolongée, suspecte et indésirable, sous le parapluie onusien.

Michel Martelly a besoin de la Minustah. Comme Préval, il sait que la sécurité de son fauteuil présidentiel dépend largement de la présence militaire internationale. Les Américains en ont également besoin. L’Onu leur sert, ici, de paravent. La Minustah leur permet, surtout, de maintenir Haïti sous contrôle militaire sans coût majeur pour leur budget déficitaire. Du grand jeu. Au Palais national comme à Washington. Mais du mauvais jeu pour Haïti sur le long terme. Autant dire que cette présence militaire onusienne, que beaucoup d’Haïtiens perçoivent comme une mise sous tutelle de facto de leur pays, risque d’avoir encore de longs jours devant elle. De longs jours, si les Haïtiens le veulent, bien sûr. De longs jours, s’ils continuent de se faire petits devant l’exigence d’édifier leur propre force de sécurité nationale. Les temps sont mûrs pour des Haïtiens devenus grands et grandis de leurs petitesses et chicanes. Sinon, le viol de Port-Salut n’aura été qu’une amorce à d’autres viols à venir.

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