DOCTEUR BORIS CHANDLER, UN GEANT MEDICAL HAITIEN

Je n’aime pas les écrits ou témoignages post mortem qui, traditionnellement, se doivent être élogieux, comme un dernier hommage au Défunt. Pour le cas de Bolo, comme les amis et confrères l’appelaient, la mort n’est certainement pas un tremplin, puisque pour la cinquantaine d’années que je l’ai côtoyé, comme ainé, confrère, ami, collaborateur, voisin et copropriétaires à la même Polyclinique, je n’ai jamais eu l’opportunité d’entendre la moindre observation négative à son endroit, que ce soit au niveau de son intelligence, sa formation, sa compétence, son expérience, sa confrérie et la satisfaction de ses patients.

Son Intelligence : Je fus admis en PCB à la Faculté de Médecine et de Pharmacie en 1961 alors que Bolo était dans les années supérieures. En très peu de temps, l’Etudiant entrant est au courant des leaders académiques de chaque promotion et Bolo s’était révélé l’un d’entre eux, jusqu’à sa Résidence en Chirurgie et son ‘score’ élevé à l’examen ECFMG (Educational Council for Foreign Medical Graduates) l’habilitant à l’Internat  aux Etats-Unis.

Sa  Formation: Je regardais Bolo, de loin, comme ainé jusqu’en 1970 où je me suis rendu, à mon tour, aux Etats- Unis, pour le trouver dans l’un des meilleurs programmes de Résidence Chirurgicale, à Columbia  University où je me suis aussi rendu comme Résident en Anesthésiologie, en 1971. Très actif dans la Communauté Médicale Haïtienne, il participa, avec Dr. Lionel Lainé, à la fondation de l’Association des Médecins Haïtiens à l’Etranger (AMHE) à laquelle il est resté très attaché.

Son Patriotisme: Bolo va prendre la décision la plus inhabituelle: celle de rentrer pratiquer en Haïti tout de suite après sa prestigieuse et brillante Résidence à Columbia qui lui garantissait les meilleures opportunités à travers tous les Etats-Unis. Louable et très rare décision traduisant son patriotisme et le sentiment de donner à Haïti un peu de ce qu’il en a reçu.

Son Education Continue et sa Compétence: Sa décision de rentrer en Haïti n’était certainement pas pour fuir les rigueurs académiques et ‘’curriculaires’’ des Etats-Unis. D’Haïti, il a pu  étudier et passer avec brio tous les examens pour devenir l’unique Chirurgien à être “American  Board  Certified” pratiquant en Haïti. Il est automatiquement devenu Fellow du Collège Américain des Chirurgiens. Il est resté Membre du Collège et Membre Actif de l’Association Américaine des Chirurgiens. Il participait religieusement à leurs réunions annuelles et parfois faisait des présentations extraordinaires, relatives à sa pratique en Haïti. A ce titre, Bolo était un exceptionnel Ambassadeur professionnel pour Haïti projetant ce que fut, jadis, l’éducation médicale chez nous.

Son Expérience: Bolo devenait très vite un des grands Chirurgiens d’Haïti, classe Anthony Levèque, Simphar  Bontemps. J’ai eu le privilège, à un certain moment, d’être l’Anesthésiologiste exclusif de Bontemps et de Chandler. Volontiers on s’amusait à classer Bontemps 1er, Chandler 2eme, et des distants 3emes, sachant que Bontemps prenant de l’âge, il ne tarderait pas à être le premier, ce qui fut le cas. Bolo aimait répéter: Il faut 10 ans pour établir une pratique, 10 ans pour la garder et 10 ans pour la perdre. Il n’a pas eu tout à fait raison puisqu’il n’a jamais perdu sa pratique qu’il a gardée jusqu’à sa mort plus de 35 ans déjà.

Sa Confrérie: Le retour réussi de Bolo devait encourager beaucoup de Confrères à suivre son exemple, à partir des Etats-Unis. Environ une quinzaine de Spécialistes, dont une dizaine de ma promotion, sont revenus au pays dans les quelques années qui suivent l’installation réussie de Chandler en Haïti. Malheureusement, après quelques années et pour des raisons diverses professionnelles ou extra-professionnelles, la majorité d’entre eux sont retournés aux Etats-Unis alors que Bolo est resté le Champion permanent!

Quand il me fallait revenir en Haïti, Bolo était mon éclaireur et me prenait pour des tours d’exploration des Hôpitaux et des Cliniques Chirurgicales. A mon introduction par Bolo à l’un des Professeurs ainés ce dernier s’est écrié “Vous êtes Chef de Service à Jewish Memorial Hospital! Ne venez pas ! ” Suite à cette boutade déconcertante, nous avions interrompu notre tournée ce jour-là pour nous concerter et avions déterminé que ce n’était qu’une question de choix personnel que Bolo naturellement supportait. Je me suis donc retrouvé en Haïti en 1978 à la Polyclinique de Turgeau où Bolo m’a rejoint peu après et là nous sommes devenus, à la fois, voisins et copropriétaires.

Son souci de ne faire que de la Chirurgie: Bolo n’avait son focus que sur la pratique de la Chirurgie par comparaison à d’autres confrères partagés entre la Médecine, les Affaires, l’Administration et la Politique. Bolo pouvait être, tour à tour, Président de l’Association Médicale Haïtienne, Chef de Service, Doyen de la Faculté, Ministre de la Sante. Il n’était pas intéressé. Sa préoccupation première était de prendre soin des malades, lors même qu’ils ne peuvent payer. Que de fois ne m’a-t-il pas sollicité d’administrer l’anesthésie pour des cas gratuits de “charité” ou de petite bourse. Sa dévotion exclusive à tous les malades a été aussi possible, il en était  tres conscient, grâce à son épouse Nora, Infirmière tout aussi qualifiée, qui assurait une gestion administrative efficace de la clinique.

Son souci de Soins de qualité et de Satisfaction des Malades: Des soins de qualité étaient son standard. Tout de suite après mon retour en Haïti en 1978, j’étais invité à faire une Présentation au Mercredi Médical à la Clinique du Chemin-Des-Dalles où Bolo pratiquait à ce moment-là. Je présentais l’application des nouveaux équipements de monitorage, de surveillance cardiaque, de réanimation, de fonction pulmonaire et de thérapie respiratoire. Au bout de cette présentation, un confrère me demandait, en présence de Bolo: pensez-vous que la médecine haïtienne a besoin de tout ce “schéma” ? Ma réponse : Il n’y a pas une médecine haïtienne, il ya la médecine tout court que vous choisissez de faire à l’haïtienne. Bolo de surenchérir: une médecine au rabais. Lui, il préférait retarder une chirurgie pour avoir la disponibilité de ces équipements qui garantissaient des soins de meilleure qualité. Il n’a jamais cessé de me rappeler ces échanges, récemment  encore. Ce souci de qualité, sa disponibilité, son approche (bedside manner), son humour que trahit trop souvent sa voix de bariton s’ajoutaient à sa haute compétence pour créer l’ingrédient de son formidable succès: la satisfaction des malades.

Dr. Boris  Chandler (Bolo) est rentré debout dans les Annales ou Archives de l’Histoire Médicale Haïtienne qu’il a marquée par la stature académique et professionnelle d’un vrai disciple d’Esculape et la compassion agissante d’un vrai disciple d’Hippocrate. Il était un échantillon rare de nos valeurs en voie de disparition. Il est  un Modèle de nos Géants qu’il faudra camper, un jour, dans notre “Hall of Fame” médical, tableau d’honneur de nos Célébrités de la Médecine Haïtienne.

La Corporation Médicale Haïtienne de l’intérieur et de la Diaspora s’incline respectueusement et prie Nora, Poupée et Gerry de croire en ses profondes sympathies et condoléances émues.

Saïdel  Lainé, Docteur en Médicine

Polyclinique de Turgeau, Haïti

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1 thought on “DOCTEUR BORIS CHANDLER, UN GEANT MEDICAL HAITIEN

  1. Ce fut un grand plaidoyer du vécu d’un grand chirurgien qui nous a été un modèle durant les moments les plus difficiles de notre carrière de résidence en chirurgie…Il a connu des frustrations dues é des querelles politiques parfois j’avais eu le grand courage de le protéger, il était physiquement un colosse mail il était un capon, un adolescent qui taquinait son entourage, un guide, il connaissait les faiblesse de chaque résident, il nous tirait les oreilles derrière les coulisses, fustigeaait les professeurs qui ne nous encadraient pas…il est parti tôt, il avait beaucoup d’autres experiences à nous communiquer..Avec l’effondrement de la profession qui a été largement contaminé par le virus de la politicaillerie qui nous a accouché des criminels politique et économique durant ces vingt dernières années qui ont souillé notre confrérie que l’image du Dr Candler illumine les pas de la nouvelle génération…Ce 22 juillet date de l’anniversaire de la tentative d’assassinat machinée par le ministre de la santé publique de l’époque Dr Henry Claude Voltaire, son cabinet, le président Aristide, médecins membres de son cabinet, les médecins ,les trois mousquetaires, je lui dédie mon courage, ma conviction de changer les choses dans le bon sens, je lui souhaite un repos bien mérité au panthéon des grands….

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