Daniel Supplice aurait pu faire mieux

Dans le cadre de mes activités de journaliste enquêtant sur la pédophilie
et apportant un encadrement à des jeunes victimes d’abus sexuels, au cours
du weekend écoulé, j’ai séjourné en République Dominicaine.

De l’autre côté de la frontière, la question haïtiano-dominicaine domine
l’actualité. Le dominicain n’hésite pas à vous aborder en vue de démentir
les informations qui circulent les présentant comme des racistes qui
pratiquent une politique d’apartheid contre les haïtiens.

J’ai ainsi rencontré un ami dominicain du nom d’Eduardo s’exprimant
correctement en français qui m’a demandé si j’étais haïtien et si, je
résidais en Haïti. Face à des réponses affirmatives, il a ajouté : “Nous
devons vivre en paix sur l’ile comme des frères, c’est dommage que votre
gouvernement ait révoqué son Ambassadeur pour avoir dit la vérité.”

Quelle vérité? Lui ai-je répliqué, sans hésitation. “C’est Haïti qui n’a
pas fourni les papiers nécessaires pour permettre à ses ressortissants de
bénéficier du programme de régularisation mis en place par le gouvernement
dominicain,” a-t-il rétorqué.

Cette assertion reprise de la bouche de M. Daniel Supplice, Ambassadeur
d’Haïti en République Dominicaine, a recadré le débat. J’avoue mon
admiration pour l’intellectuel Daniel Supplice. Mais, franchement, aucune
“Lettre ouverte” ne pourra effacer son erreur de fournir au peuple
dominicain un argument contre Haïti surtout en cette période de crise entre
les deux pays sur une question d’immigration. Monsieur Supplice ferait
mieux de présenter des excuses au peuple haïtien.

Confronté à cette réalité en république voisine, j’ai expliqué à mon
interlocuteur que l’Ambassadeur est mal placé pour faire une telle
déclaration. Aucun dominicain n’apprécierait que son Ambassadeur en Haïti
dénonce les conditions des déportations faites par son pays, ni le niveau
de corruption des soldats dominicains déployés le long de la frontière. Un
Ambassadeur qui aura lâché un argument en défaveur de son pays, en conflit
ouvert avec son pays hôte, au point que le pays hôte en fasse un argument
pour combattre le pays dont il représente, trahira son pays, sa mission,
son intellect, son aptitude, et le bon sens.

Aussi, lui ai-je dit, pour mieux l’appréhender et l’y apporter des
solutions durables, le dossier haitiano-dominicain doit-être compartimenté
en trois (3) sous dossiers à savoir : (1) la criminalité transfrontalière,
(2) l’immigration, et (3) la nationalisation ou dénationalisation.

*1- La criminalité transfrontalière:*

Il existe en effet un problème de criminalité transfrontalière avantageux à
des dominicains et à des haïtiens des deux côtés de la frontière. Des
soldats dominicains et des officiers de l’Armée font fortune sur la
frontière haitiano-domincaine. Les mesures de déportation arrangent ces
criminels et/ou corrompus qui en profitent pour dépouiller les pauvres
expulsés et font grimper les prix du passage clandestin. La drogue, la
contrebande, le trafic humain, le trafic de biens volés et le trafic
d’armes est une réalité qui intéresse des criminels des deux côtés de la
frontière qui s’entendent parfaitement. C’est la mafia transfrontalière.
Ainsi, le gouvernement haïtien et le gouvernement dominicain doivent faire
un faisceau contre ce fléau. C’est une question de police, de justice, et
de lutte contre la corruption que les deux pays doivent résoudre de façon
conjointe.

*2- L’immigration:*

Le problème de l’immigration auquel fait face la république voisine découle
aussi de cette criminalité transfrontalière. Car, les passeurs et les
criminels qui travaillent avec la complicité des autorités frontalières ont
des démarcheurs en Haïti qui incitent des jeunes à traverser la frontière
illégalement. A ce niveau se pose le problème du trafic d’enfants, des
femmes et de l’esclavage moderne. C’est une réalité pourrie qui pose même
un problème de sécurité publique transnationale.

Nous ne disons pas que la majeure partie des immigrants n’ont pas fait le
déplacement volontairement à la recherche d’un bien-être économique. Mais,
une part importante des émigrés paie de fortes sommes d’argent pour
traverser la frontière. L’erreur de l’Ambassadeur Supplice est d’oublier
que le clandestin fonctionne mieux sans papiers. Un anonymat qui offre un
grand avantage parce qu’il empêche aux autorités de retracer les illégaux.
L’existence d’immigrants sans papier n’implique pas automatiquement
qu’Haïti ait totalement échoué dans la provision de ce service. D’ailleurs,
ce sont des travailleurs qui envoient de l’argent en Haïti pour nourrir des
membres de leur famille ; et si la détention d’un papier était obligatoire
pour travailler en terre voisine, beaucoup d’entre eux en auraient déjà
fait la démarche sans attendre le PIDIH.

*3- La nationalisation ou dénationalisation:*

Haïti n’est pas obligée de fournir des papiers à des dominicains, ni
d’accueillir sur son sol des dominicains sans papiers. La République
Dominicaine doit comprendre que les descendants d’Haïtiens font partie de
son histoire socioéconomique. De même que les Etats-Unis ne pouvaient pas
expulser les anciens esclaves après l’abolition de l’esclavage, la
République Dominicaine ne peut pas expulser les enfants des travailleurs
qui se sont sacrifiés durant des décennies dans les champs de canne ou
“bateys” pour son développement économique. Le gouvernement dominicain doit
plutôt adopter un plan d’intégration sociale de ces dominicains d’origine
haïtienne. Haïti n’a rien à voir dans ce dossier qui est un problème
dominicain. Président Fidel Castro n’avait pas expulsé les coupeurs de
canne haïtiens ni leur descendants après sa révolution socialiste.

Mon pote dominicain est d’accord qu’on ne peut pas exiler vers Haïti des
gens n’ayant aucun attachement avec ce pays, et qui ne parlent même pas le
créole. Il a même renchéri en affirmant que dans sa région, il y a des
descendants d’haïtiens qui y résident durant des décennies, même avant sa
naissance (la quarantaine) et ses parents ont connu ces gens depuis leur
enfance.

Sur le racisme, je lui ai dit que ce n’est pas normal que la couleur de la
peau puisse définir la citoyenneté d’un dominicain. Je reconnais qu’au sein
de la police et de l’armée dominicaine il y a beaucoup de noirs ; mais,
quand un dominicain voit un noir, il pense qu’il est haïtien. Il faut une
éducation à ce niveau en République Dominicaine. La société dominicaine ne
doit pas se laisser intoxiquer par les coloristes de l’extrême droite.

C’était des échanges cordiaux durant lesquels mon interlocuteur à soulever
le caractère social du programme de régularisation. Car, dit-il, les
sans-papiers sont exploités par des grands patrons capitalistes qui les
traitent comme des esclaves. Dans un langage gauchisant, il a posé le
problème d’exploitation des travailleurs sur l’Ile entière où les patrons
payent moins de 2 dollars US l’heure. Il pense que les deux peuples doivent
discuter, échanger et ne pas abandonner ces sujets à des gouvernements
obsédés par les intérêts des patrons, ou des dirigeants corrompus. Il en a
profité pour soulever des problèmes plus sérieux, entre autres, l’eau, la
santé, le choléra introduit par les Nations Unies, et les désastres
naturels.

*La dure réalité qui devrait sensibiliser les politiques d’Haiti:*

En fin de journée, nous avons fait la connaissance d’une famille
haïtiano-américaine à la retraite, venue des Etats-Unis pour s’installer en
République Dominicaine où , selon elle, il est plus facile d’ouvrir un
business, de le faire fonctionner sans trop de souci en terme de sécurité,
de respect des droits de propriété et d’accès au crédit. Cette famille a pu
bénéficier d’une banque dominicaine, un financement pour acheter une maison
dans un quartier chic pour la somme de 160,000 dollars US, avec obligation
de verser, seulement, 6,000 dollars l’an. Une bonne affaire, car la maison
est en bon état. Elle compte ouvrir un business en République Dominicaine,
un restaurant et m’invite à venir, l’un de ces jours, passer du bon temps
dans un resto haïtien à Puerto Plata. Des fonds de pension venus des USA,
un business et des investissements dans l’immobilier, cette famille qui
aime tant Haïti et l’orchestre Tropicana a préféré s’installer juste à côté
pour se guérir de la nostalgie de la terre natale et du dégout la vie
“Busy” et “Bills” américaine. Aussi, se dit-elle découragée par les
rivalités politiques et les tensions sociales qui sont monnaie courante en
Haïti.

Ceux qui organisent ou supportent les agitations et la violence politiques
en Haiti, sont les vrais alliés de la République Dominicaine.

Cyrus Sibert, Cap-Haïtien, Haiti
01 Aout 2015
@reseaucitadelle
reseaucitadelle@yahoo.fr

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