LE CAFÉ N’EST QU’UNE PARTIE DES PROBLÈMES D’HAITI

par Joseph N Pierre
Je tiens ma promesse à notre collègue Pascal Pecos. Je lui avais dit que je réagirais à l’article sur la filière caféière de Ralph Thomassin Joseph, publié dans le Nouvelliste du 31 Mai 2013. Dans cet article, j’étais surpris par la nouvelle de la mort de Frito Mérisier. D’après ce que le défunt m’avait une fois dit, son épouse et moi aurions des liens de famille. Je rends homage à l’enthousiasme de Frito. Paix à son âme.
Il y a un être suprême que des millions de personnes de toutes les religions appellent Dieu, et que les francs-maçons en particulier appellent le Grand Architecte de l’Univers. Pour moi, cet être est la «Conscience Universelle Suprême» ou CUS. Une compréhension parfaite ou complète de la CUS n’est pas du tout à la portée de l’esprit humain. Nous ne pouvons comprendre qu’une infime partie du Créateur, que si seulement nous comprenons d’abord une bonne partie de nous-mêmes en tant qu’à la fois individus et membres de communautés. En d’autres termes, la CUS est la Connaissance ou la Lumière Infinie dont nous devons d’abord découvrir une petite partie en nous-mêmes avant de chercher ailleurs. Nous devons réaliser que si la quantité de connaissances accumulées au fil du temps et dans l’espace par l’humanité est accablante pour un seul esprit humain, cette même quantité de connaissances est seulement une étincelle de lumière dans l’esprit de la CUS. Mais combien sont-ils, les femmes et les hommes qui se connaissent vraiment?
La CUS a créé un univers qui, comme une machine, fonctionne selon des principes ou des lois inviolables de la physique, des mathématiques et de la logique. Puisque la magie ou le miracle peut être défini comme un défi aux lois naturelles de l’univers physique, ou une violation de ces lois, nous pouvons dire que la magie et le miracle n’existent que dans l’esprit des hommes. Puisque tout est régi par la logique et les mathématiques, nous pouvons prédire que, logiquement et / ou mathématiquement, dans les conditions actuelles de gestion de l’agriculture haïtienne, il n’y aura tout simplement pas de relance de la filière caféière en Haïti.
Haïti est un chaos ou un ensemble de systèmes sociaux qui s’enchevêtrent et se bloquent les uns les autres. A moins que nous définissions ou éclaircissions convenablement les structures de ces systèmes et appliquions des politiques appropriées, le pays continuera sa descente vers la singularité de l’abîme. Une singularité est un point où le tissu du temps et de l’espace est déchiré. En d’autres termes, c’est «une autre existence», pour ne pas dire “l’inexistence même” par respect pour le principe universel «rien ne se perd ni se crée”

L’un des problèmes de délicatesse dans l’être humain est de dire aux autres que «je suis l’un des vôtres ou que vous êtes l’un des miens” quand l’on sait sciemment qu’on n’est même pas sincère avec ses partenaires de lit. Certains hommes, surtout chez nous, s’attachent dans une certaine mesure aux membres les plus proches de leur famille, en particulier leurs épouses et leurs enfants, et à quelques amis spéciaux, qu’ils croient être les sujets d’une race supérieure d’Homo sapiens. Ils rappellent pitoyablement l’idée de race aryenne supérieure d’Adolf Hitler.

Il y a des Haïtiens qui crient à qui veut les entendre qu’ils sont chrétiens, nationalistes, louverturiens, dessalinistes, etc., alors qu’en réalité ils ne sont que des sangsues inconscients qui ne sont motivés que par l’instinct de vivre. Ils ne sont que des égoïstes qui n’appartiennent même pas à eux-mêmes, car pour appartenir un peu à soi-même, nous le repétons, il faut d’abord se connaître soi-même. Mais une fois encore, combien sont-ils réellement, les femmes et les hommes qui se connaissent vraiment, même quand ils se proclament ou sont proclamés d’être des intellectuels?
Mère Nature peut retirer ses garde-fous de la voie de ceux qui sont trop fous et les laisser tomber dans l’abîme. À moins que nous cessions de mentir à nous-mêmes et à d’autres, Haïti continuera de manquer le train du développement de l’agriculture en général et celui de l’industrie du café en particulier ; nous continuerons à être dangereusement en retard dans beaucoup d’autres systèmes de notre chaos national.
Je passais mes premières années d’enfance à Cornillon, Grande-Bois, avant d’aller à l’école à la capitale. Jusqu’à l’âge de 16 ou 17 ans, je retournais plus ou moins régulièrement dans mon village natal où je m’amusais durant les vacances de Noël, de Pâques et d’été. Plusieurs des caféteraies des cinq sections communales de Cornillon contenaient des cacaoyers bien que la proportion de ces derniers ne fût pas considérable. Autour de chaque maisonnette, les associations de caféiers et de bananiers, à l’ombre des sucrins, des avocatiers, des manguiers, des agrumes et des palmiers formaient le paysage et constituaient des éléments essentiels de ce petit coin de paradis qu’était Cornillon. Mais la gestion catastrophique du pays a fait d’abord disparaître les cacaoyers. C’est vraiment triste de penser que les petits Grands-Boisiens d’aujourd’hui ne savent pas à quoi ressemble une feuille de cacaoyer alors qu’ils s’y connaissent assez bien en marijuana, selon certains témoignages.
Je me souviens qu’à l’époque de la mort de ma mère, en 1990, et celle de mon père, en 1995, je voyais à Cornillon quelques caféiers qui, en quelque sorte, végétaient encore. Mais lorsqu’en 2008, soit 13 ans plus tard, je visitais Cornillon, c’était un désert. Toutes les caféteraies et la majorité des arbres de différentes espèces que je connaissais, n’étaient plus. Quel momentum!

En 1970, l’Agronome Roland Latortue, Professeur d’Agriculture à la FAMV, nous enseignait qu’Haïti, ne pouvant pas honorer son quota de 400.000 sacs de 60 kilos de café, exportait seulement 300.000 sacs. Cela équivalait à environ 18 millions de kilogrammes. Le Professeur Latortue nous faisait également remarquer que, sur chaque 100 $ reçus du marché international pour la vente du café, les spéculateurs comme Brandt et Madsen en prenaient plus de 50 $, et le Gouvernement Haïtien, pour sa part, recevait plus de 30 $ ; il n’en restait que 20 $ ou moins pour le caféiculteur. Autour de l’année 2008, selon les statistiques publiées par les autorités haïtiennes, le pays exportait 25.000 sacs ou 1,5 millions kilogrammes de café. Aujourd’hui, selon cet article du Nouvelliste, le pays n’exporte que 10 à 12 conteneurs de café chaque année, ce qui équivaudrait à environ 3.600 sacs ou 216.000 kg si mes calculs sont corrects. Alors, comment allons-nous « relancer » ou accroître avec succès la production du café pour atteindre plus de 18 millions kg (la production de 1970) à partir des 216.000 kg qui probablement tendent encore à baisser?

Aux environs de 1919, Georges Clemenceau écrivit: « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires. » L’idée de Clemenceau a été étendu à d’autres domaines, parce que plus tard, nous trouvons d’autres déclarations telles que « L’économie est trop sérieuse pour n’être laissée qu’aux agents de financement », ou « la démocratie est trop importante pour n’être laissée qu’aux politiciens », etc. Bien que ces allégations soient discutables, il n’est pas exagéré de dire que le temps de l’agriculture saisonnière haïtienne est terminé. Le pays ne peut plus avancer avec cette agriculture traditionnelle qui repose sur le dos des petits paysans analphabètes, pauvres et affamés. En d’autres termes, l’agriculture moderne est trop nécessaire ou trop vitale pour n’être confiée qu’aux pauvres petits agriculteurs. Le problème de l’agriculture haïtienne est national et exige la participation de l’Etat, de tous les profressionels de terrain, et de tous les Haïtiens, indépendamment de leur origine campagnarde ou urbaine.

Dans deux de mes articles intitulés respectivement «Sans l’Application des Programmes de la Réforme Agraire, le Développement Agricole en Haïti est Voué à l’Échec» et «Haïti a Besoin d’un Autre Système de Production Agricole”, j’ai suggéré clairement ce qu’il faut pour mettre en place un système de production agricole moderne, intensif, industriel et commercial (visitez le www.educagricole.com).

Chaque jour qui passe, comme tout le monde et tout être vivant, je deviens plus vieux. Je sais comme beaucoup d’autres que je mourrai sans voir le début de cette révolution agricole qui s’impose. Mais envers et contre tous, je continuerai à répéter jusqu’à la dernière seconde de ma vie que si la modernisation de l’agriculture haïtienne n’est pas une panacée, elle détermine néanmoins si Haïti va arrêter ou non sa descente à travers la singularité de l’abîme. Elle détermine si oui ou non nous allons mettre fin à cette Armageddon qui a été, depuis longtemps, en plein essor en Haïti.

Quand des collègues de Damien parlent de modernisation ou de revitalisation (relance) de l’agriculture, qu’ont-ils à l’esprit? C’est une honte de parler de l’absence d’un système sérieux de la recherche et de la vulgarisation dans le système d’administration de développment agricole en Haïti. À quelle catégorie appartiennent donc ces agro-professionnels qui ne savent pas que la recherche et la vulgarisation agricole constituent l’ABC de tout système de production agricole? Si la recherche et la vulgarisation agricole sont paralysées en Haïti, nous devons blâmer les dirigeants haïtiens pour leur irresponsabilité, leur incompétence et leur malhonnêteté ; ils sont les premiers responsables des malheurs du pays.

Nombreux sont les fonctionnaires haïtiens de niveau élevé et leurs homologues étrangers, les soi-disant experts d’outre-mer, qui sont plus intéressés par le pillage que par le développement de ce pays qui est clairement dans un processus de désertification. Qu’ils s’agissent de cultures maraîchères ou autres (chou, laitue, maïs, pois, pommes de terre), de cultures de rente (coton, canne à sucre, café), d’horticulture, de pâturage et d’élevage, d’apiculture, de pisciculture ou de la couverture forestière, etc., c’est le système dans son ensemble qui doit être restructurée et la restructuration sera fondamentalement viciée sans le développement de programmes appropriés d’éducation formelle, de recherche et de vulgarisation. C’est seulement par le biais de l’expansion ou l’extension de l’éducation dans l’agriculture et dans tous les autres domaines que le peuple pourra investir sa participation totale avec efficacité et des contributions progressistes. Les autorités, avec l’appui des professionnels de toutes les écoles, doivent prendre des décisions, y compris la reforme agraire, pour sortir le pays de son état actuel de coma dans l’unité de soins intensifs.

Je continuerai à exhorter les décideurs et leurs assistants, et tous ceux qui sont encore capables d’une façon ou d’une autre, pour qu’ils se mettent à la tâche afin d’initier et de faire avancer cette révolution agricole qui conditionne la révolution socio-économique du pays, qui, autrement, sera condamné à continuer sa course vers l’effondrement.

Il se fait tard, très tard et même trop tard. La première pierre pour la construction de l’autre Haïti n’a pas nécessairement besoin d’être plantée par des gens venus du Palais National et du Bureau du Premier Ministre. Les camarades de Damien ont aussi la capacité de prendre le volant. Un groupe d’hommes et de femmes motivés et avisés peut réaliser beaucoup de choses. Nous avons une option: sauver les générations à venir ou les laisser sombrer à travers la singularité de l’abîme. Certes, il y a eu, il y a et il y aura toujours des risques ou des désastres naturels aux niveaux national, mondial et cosmique, qui nous dépassent. Mais comme beaucoup d’autres nations, nous devons faire le minimum qui est à notre portée.

En tant qu’êtres humains, nous pouvons toujours avoir des différences. Mais nous devons les transcender. Nous devons cesser de nous poignarder dans le dos ou de nous insulter les uns les autres. Rare serait un agronome à Damien qui ne soit pas, sur son parcours, insulté et intimidé par un collègue plus jeune ou plus vieux dans une meilleure position. Je le sais par expérience pour avoir été aussi une victime.
À trois reprises, j’ai été forcé de quitter le pays parce que je refusais de laisser les autres utiliser une position ou un salaire pour me baillonner ou m’intimider. Je suis sûr que ces bêtises se produisent dans d’autres secteurs de fonctionnement du pays. Nous les voyons se dérouler à des niveaux administratifs plus ou moins élevés. Duvalier et Aristide vassalisaient même leurs ministres. Préval a publiquement humilié ses PM Michelle Duvivier Pierre-Louis et Jacques Edouard Alexis. Il a été rapporté qu’il y a des postes élevés de l’administration publique qui sont vendus aux enchères.
Jour après jour, nous voyons des arrogants, des incompétents, des pillards, des corrupteurs et des corrompus s’humilier les uns des autres. Des situations ou des scènes semblables à celles qui ont eu lieu ou sont passées entre le Sénateur du Nord et la Présidence ou le Gouvernement, ou plus récemment entre le Sénateur Francky Excéus et le Ministre de l’Agriculture Thomas Jacques au Parlement doivent cesser. Si ces deux leaders avaient travaillé ensemble, l’un n’aurait pas eu besoin de mentir pour être éventuellement coincé par l’autre.
Nous devons coopérer dans un esprit de respect mutuel et de bon sens pour rectifier notre direction et donner une chance aux jeunes générations. Si nous ne cessons pas de crier que le développement du pays est possible, pourquoi ne voulons-nous alors pas commencer? Le problème n’est pas uniquement un problème de café! La faille dans la production de café haïtien est simplement une conséquence de la catastrophe haïtienne dans son ensemble.
La première pierre doit être placée au niveau des domaines de l’éducation, de la justice et de l’agriculture. Les autres domaines, non moins importants, viendront automatiquement par surcroit. Au Revoir!
Joseph N Pierre, PhD
Agronome & Educateur
www.educagricole.com
10 Juin, 2008
La relance de la filière café boostera l’économie d’Haïti
Le Nouvelliste | Publié le :31 mai 2013
Ralph Thomassin Joseph ralphthjo@gmail.com
En Haïti, quelque 200 000 familles tirent une bonne partie de leur subsistance de la filière café. En plus d’avoir un effet bénéfique pour la protection de la couverture forestière du pays, la production de café constitue le moteur d’une des rares productions nationales dirigées vers l’exportation. Mais l’inaction de l’État, couplée aux cataclysmes naturels et aux maladies, paralyse le secteur.
Des représentants de coopératives et d’associations de planteurs se sont réunis récemment dans les locaux de la Coopérative des planteurs de café de l’arrondissement de Belle Anse, à Thiotte, pour discuter des problèmes du secteur caféier en Haïti. Tout en rendant hommage à la mémoire de Frito Mérisier, alias Frito Café, qui a milité jusqu’à sa mort l’an dernier pour le développement de la filière, une bonne centaine de producteurs ont discuté des multiples difficultés auxquelles ils font face.
Le café a historiquement soutenu les familles haïtiennes et a permis d’éponger la double dette de l’Indépendance. Actuellement, on estime qu’environ 200 000 familles vivent de la production du café en Haïti. Mais depuis les années 50, la production chute. Jusque vers les années 1980-1990, la livre de café se vendait entre 1,25 gourde et 2 gourdes. Cette faiblesse des prix, tant sur le marché local que sur le marché mondial, a découragé les grands exportateurs. Ne trouvant plus à vendre leur production, nombre de petits producteurs ont, du coup, abattu leurs caféiers au profit d’autres cultures plus rentables.
La zone du Morne des Commissaires (Savane Zombi) par exemple, qui était jadis réputée pour son café de très bonne qualité, n’en produit plus. ” Si rien ne change, j’ai bien peur que Thiotte, qui est actuellement l’une des plus grandes zones de production, finisse par importer du café”, soupire l’agronome Laurent Saint-Victor.
Haïti produit pourtant l’un des cafés les plus prisés dans le monde, surtout exporté vers les États-Unis, le Canada, le Japon et l’Italie. Mais l’essentiel de la production prend le chemin de la République dominicaine. En fait, les spécialistes estiment que 80% du café haïtien passe la frontière – souvent illégalement – pour être vendu sous des labels dominicains.
“Pourtant, c’est un secteur porteur, estime l’agronome Jean-Marc Vital, responsible du Bureau de promotion du développement rural. Le problème, c’est que les Dominicains arrivent à contrôler la production, provoquant par moments un dumping sur le marché qui sape les efforts des coopératives et des organisations de producteurs en Haïti.”
Ces dernières se démènent comme un diable dans un bénitier pour maintenir le secteur en vie. Sans trop de support de l’État, elles tentent à la mesure de leurs moyens d’insuffler un nouvel élan à la filière, pour le plus grand bien de tous.  600 000 plants sont ainsi mis en terre chaque année pour régénérer les plantations et, à terme, augmenter d’autant la production. Actuellement, le producteur touche 50 gourdes pour une marmite de cerises de café de cinq livres. Haïti exporte chaque année de 10 à 12 conteneurs sur le marché formel, à raison de quelque 100 000 dollars US par conteneur.
Mais la commercialisation n’est pas le seul problème auquel est confrontée la filière. Depuis le début des années 2000, un petit insecte en apparence inoffensif fait de terribles ravages. Dans certaines zones de production, le scolyte a décimé plus de 60% de la production. Cet insecte, qui infeste les caféiers s’attaque aux cerises et les rend inaptes à la consommation.
“Il n’existe pas d’insecticide contre le scolyte, explique Lucso Mérisier, un jeune planteur de Thiotte. La meilleure technique jusqu’ici est de tremper les cerises affectées dans un bain d’eau chaude pour tuer les scolytes femelles. Cette technique n’éradique pas les insectes, elle ne fait que circonscrire le problème mais c’est mieux que rien. Toutefois, nombreux sont les planteurs qui l’ignorent connaissent pas, à cause du manque de vulgarisation.”
Certaines espèces de caféiers résistent au scolyte mais, faute de recherches dans le domaine, il n’existe aucune étude qui puisse conseiller les planteurs. Le problème est d’autant plus aigu qu’une autre maladie, tout aussi dangereuse menace la culture. La rouille, maladie foliaire provoquée par le champignon Hemileia vastatrix, gangrène en effet de plus en plus les caféiers.
Sans parler des cyclones qui constituent une menace récurrente – ainsi, en 2012, les tempêtes Cindy et Isaac ont détruit une bonne partie des récoltes -, d’autres difficultés, de nature économique et financière, assaillent le réseau. À 900 gourdes le sac, le prix exorbitant de l’engrais ne permet pas au paysan d’augmenter sa production. Sans parler de l’accès au crédit qui pose problème. Le producteur qui, voulant moderniser sa production, s’adresse aux institutions de crédit se voit imposer des conditions absolument déraisonnables : 18% de frais d’intérêt, 20% de collatéral et 3% pour les frais de dossier.
“C’est un système de crédit conçu pour endetter continuellement le producteur, dénonce l’agronome Laurent Victor. Les taux d’intérêt ne devraient pas excéder 3% parce que nous produisons pour le pays. Et le délai de grâce devrait être cinq ans au minimum.”
Au ministère de l’Agriculture, le Bureau du crédit agricole (BCA) n’accorde annuellement qu’un infinitésimal 15 millions de gourdes pour l’ensemble des activités agricoles du pays, alors que l’offre de crédit des institutions de micro-finance ne s’élève qu’à 90 millions de gourdes. Une misère dans un pays de plus de 10 millions d’habitants, où la moitié de la population habite en zone rurale…
L’identification des producteurs de café pose aussi problème. Combien au juste y a-t-il de planteurs de café? Combien sont-ils au sein des organisations et associations? Autant de questions qui demeurent sans réponse. Mais ce ne sont pas les seules. De nombreux choix techniques restent à faire : quelles espèces de caféiers faut-il développer ? Comment s’y prendre pour régénérer les plantations ? Quelle distance faut-il respecter entre deux plants de caféier pour obtenir un maximum de rendement ? Etc.
Ces vieilles questions ont porté les acteurs à créer l’Institut national du café haïtien (INCAH). L’organisme, qui dépend du ministère de l’Agriculture, a pour but de dynamiser la production et d’améliorer les conditions de vie des gens impliqués dans le domaine. L’INCAH dispose d’une structure administrative de 21 membres représentant les différents acteurs du domaine(planteurs, torréfacteurs, exportateurs, etc.) et le ministre de l’Agriculture est d’office président du conseil d’administration.
“L’INCAH est un produit de la bataille que des producteurs ont engagée depuis longtemps, soutient St-Vil Lavalette, membre coordonnateur de la Plateforme nationale des producteurs de café haïtien(PNPCH), laquelle reçoit l’aide du Programme de coopération volontaire du Canada. Il s’agissait de mettre de l’ordre dans le secteur en créant une plateforme, un espace de dialogue, de plaidoyer et de revendication pour les planteurs.”
St-Vil Lavalette se désole de constater la lenteur des progrès.
”Dans tous les discours, on parle de la relance de l ‘agriculture alors qu’on néglige le circuit café, dit-il.  À la PNPCH, nous croyons qu’avec le circuit café, on peut résoudre un bon nombre de problèmes qui minent notre pays comme le chômage, l’insécurité alimentaire, l’exode rural et la déforestation.”
Dix ans après sa fondation, l’INCAH ne dispose toujours pas de loi cadre et n’émarge pas au budget de l’État, les arriérés de salaire de ses employés remontant parfois à dix mois… Un fonds café devait aussi être créé mais n’a jamais vu le jour. “Pas de moyens, pas de volonté”, expliquent des producteurs.
Mais que faire quand la baisse de la production d’un circuit qui, en d’autres pays est pourtant prometteuse, engendre paupérisation des familles, exode rural et déboisement?
A cette question, plusieurs solutions sont proposées, toutes tournées vers l’État haïtien. L’ancien sénateur du Sud-Est et actuel conseiller du président Martelly, Joseph Lambert, qui s’était invité à la rencontre des producteurs de Belle-Anse, a été incapable de répondre à la question toute simple du responsible de la PNPCH, qui lui demandait quelle place le gouvernement réservait à la filière café. Entouré de partisans bruyants arborant chacun un T-shirt estampillé de slogans électoraux, il a promis d’apporter les revendications des planteurs aux oreilles du chef de l’État. L’ex-sénateur a fâché plus d’un en reconnaissant publiquement qu’il ne connaissait pas vraiment les réalités de la sphère, bien qu’il ait été sénateur représentant la région. Des propos bien mal accueillis par l’assemblée : “Lorsqu’il était sénateur, il ne parlait jamais de production de café, a craché un planteur. Maintenant qu’il est en campagne, il se prétend le porte-parole de la filière….”
“Lambert n’est pas un progressiste, il a beaucoup menti aux paysans, on ne le croit plus”,  a soutenu un autre, pendant que l’ancien sénateur se précipitait pour quitter la ville avec ses partisans…
Si les solutions dépendent en partie de l’État, les dizaines de coopératives et d’associations qui constituent la Plateforme nationale des producteurs de café haïtien tentent depuis 15 ans de faire en sorte que les producteurs caféiers poussent tous ensemble dans la même direction. ”’ Cet espace de plaidoyer mené par la PNPCH est primordial, estime l’avocate québécoise Yolaine Rouleau, qui appuie l’organisme dans le cadre du Programme de coopération volontaire(PCV).  Car les programmes actuels de renforcement de la filière ne règlent pas le problème de baisse de production du café. Les producteurs en sont conscients. La PNPCH bénéficie d’une immense force de mobilisation et de réseautage qui peut faire la différence. Mais elle doit également être  impliquée dans la mise en place d’une politique de régénération caféière qui favorisera aussi la reforestation.”
Mais les choix budgétaires de l’État reflètent, eux, d’autres priorités, bien que le président Martelly ait décrété 2013 Année de l’environnement. Or, la filière café s’est révélée fort efficace en matière de préservation de la couverture végétale dans les grandes régions productrices. Il suffit de se promener à Bonbon, Corail, Pestel, Baptiste, Thiotte et Anse-à-Pitre pour constater à quel point café et forêt font bon ménage. Non seulement le secteur café possède le potentiel pour régénérer l’environnement, elle peut aussi booster l’économie du pays, notamment dans les zones rurales, en donnant du travail à des milliers de jeunes. Qui dit mieux ?
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