Jérémie – Ne m’appelez plus jamais La CITÉ DES POÈTES

Max Dorismond Mx20005@yahoo.ca

Cette ville qui avait bercé notre enfance, notre jeunesse, cette cité des deux Solitudes, mérite-t-elle ce titre enjôleur et romantique dont les muses l’avaient coiffé dans le temps et l’espace? La lettre J, la première de son nom devrait habiller ou incarner les mots Joie ou Jeunesse pour le bonheur de ses concitoyens. Mais, hélas! Son histoire a été trempée dans de l’absinthe amer, boursouflée de meurtrissures et de cloques puantes que ses fils dévisagent d’un air rébarbatif.

Une photo combinée de quelques infrastructures à Jérémie.

J’ai parcouru avec exaltation, la narration poignante et stylisée à souhait de Gérald Clérié, «Le syndrome Jérémien2 »; un document d’une vingtaine de pages adressé à son ami, le Dr. Pierre Michel Smith. Il y décrit l’état de la situation de la Grand’Anse avant et après l’assassinat des vingt-sept mulâtres, en y greffant ses réflexions dans une analyse exhaustive de certains faits qui avaient échappé à l’entendement de ma génération. Le train de ses souvenirs nous sidère et nous promène en ligne brisée du début de notre indépendance jusqu’à 1964, dans une démonstration bien délimitée à la frontière de la stupidité, sur la longue et sournoise lutte entre frères de sang, dont une simple question de coloration épidermique a chamboulé l’existence. En confondant certains sceptiques et pseudos aveugles pour qui le paradoxe mulâtre-noir à Jérémie fut un bouquet de chimères dans la tête de certains frustrés, G. Clérié, un authentique jérémien et mulâtre de surcroît, vient de faire œuvre utile en crevant leurs épaisses œillères, tout en esquissant un éclairant tableau sur le comportements irrationnel de tout le clan des attardés, par cette diatribe : « Se pavanant d’une présumée supériorité intellectuelle et forts de l’avantage financier, les mulâtres tinrent leurs confrères noirs à distance, les réduisant en parias sociaux ».

Sarodj Bertin posant sur la place Dumas en Septembre 2011

Clérié a raison de se lamenter avec tant de désespoirs sur les grandeurs et misères de son vécu, à l’opposé des poètes de la cité. Ces chantres de l’éphémère avaient détourné l’attention et les aspirations de toute une nation en peignant en lettre rose les portes de la ville derrière laquelle se déroulait quotidiennement, et ce, depuis deux cents ans, un théâtre de l’absurde. Ces chevaliers de la plume n’avaient pas déchiffré la bonne partition et leurs refrains étaient donc dissonants. Ils furent les faux gardiens de nos sommeils. Peut-être, en dispensateurs de bonheur, voulaient-ils nous épargner cette vision de haine qui embrasait le silence de l’amphithéâtre en nous endormant avec des sonates au clair de lune? Où, étaient-ils les disciples de Néron jouant le violon tandis que Rome brûlât? Toutefois, je ne tiens pas trop grief à ces pêcheurs impénitents d’une autre époque. Car, jusqu’à présent, je me questionne encore à propos des scribes ou essayistes d’aujourd’hui qui n’osent pas toucher à l’origine de ce totem de la honte dans leurs textes, romans ou biographies, tant la subjectivité capricieuse des faits semble figer leurs crayons et leurs méninges. Ils ont unanimement opté pour l’omission. Mais, dans la réalité, deux conditions ont asséché leur plume, soit : 1- La peur de déranger ou le plaisir de vassaliser. 2- La honte de s’afficher en victime ou bourreau. A propos, faut saluer le courage de Clérié et du Dr. P. Michel. Smith. Conséquemment, les effluves malodorants de ce noir cocktail se sont infiltrés dans l’espace vacante pour changer la donne en un symptôme mortifère d’un mal qui se cantonne beaucoup plus dans nos souvenirs que dans le réel. Le temps a presque fait son œuvre sur les disparus de ce pogrom rayés de la terre avant l’heure du destin. Donc, ce titre, de Cité des poètes, si éloquent, soit-il, sur les lèvres de nos charmeurs de frères, est mal venu. Il sonne faux à l’oreille de tous les Haïtiens.

En effet, il est rare de croiser un Jérémien (noir), sans que la conversation, quel que soit le sujet, ne soit détourné sur le problème de la discrimination dans la cité. C’est un leitmotiv. C’est ainsi, qu’un certain Maurice Célestin, un nordiste, mieux connu sur le web sous le pseudonyme de Le Chapeauteur, dans un texte phare, avait brassé la cage des Grand’Anselais de la diaspora, en les mettant face à leurs devoirs. Il revient aux Jérémiens, selon lui, de crever l’abcès de ce «presque» génocide, d’épiloguer franchement, les yeux dans les yeux sur ce sujet accrocheur, décrié trop souvent à chaque attroupement de salon. Son document, une invitation à la discussion, avait semé la zizanie dans le cyberespace pour en finir comme à l’ordinaire en douce mélancolie «d’un après-midi sans fin», jusqu’à la prochaine complainte.

Cliquez sur la photo pour l’agrandir Maintenant, la voilà, cette prochaine, si vite arrivée sous la plume de G. Clérié. Le débat est engagé. Les anecdotes de ma ville natale me sont presqu’étrangères. Ce n’est qu’en diaspora que j’ai pu décoder certaines bribes sans pour autant y attacher une importance particulière, car mes frangins semblent être, par ailleurs, de légendaires narrateurs doués pour épater la galerie. A propos des Vêpres, mille historiettes sont venues habillées le crime. Mais, une seule certitude confirme l’absolu : les mulâtres de Jérémie ont été lâchement passés à trépas. Pour le reste, nous nageons dans l’expectative. Certains essaient de protéger leur arrière, d’autres, des connaissances, des parents, des alliés. Beaucoup d’hypocrisies planent dans l’air. Jusqu’à présent, une peur bleue habite nos contemporains. Même en diaspora, certains marchent encore sur des œufs à l’exposé de ce regrettable évènement. C’est compréhensible et avec raison. Beaucoup de mains sont encore tâchées du sang des victimes et surtout de plusieurs enfants en bas âge. Presque toutes les paupières des témoins de l’époque s’étaient refermées sur cette calamité. Au questionnement de Clérié : Où étaient les leaders de la cité….par exemple, le Curé Perron, les prêtres du Collège Saint-Louis lors de l’assassinat de son fondateur, Pierre Sansaricq? Où était X et Y? Cette interrogation me rappelle la cynique interpellation de Papa Doc après l’assassinat des 19 officiers. D’une voix nasillarde venue d’outre-tombe, on croirait entendre de loin la sempiternelle réponse : ABSENTS!

Ce qui me surprend dans le document, c’est l’ampleur de la division existentielle, très bien spécifiée par l’auteur : Le père M. Fouquet, ah! Maudit Français, un curé de l’époque, 1930-1942, distribuait à tour de bras les excommunications pour les catholiques qui osèrent fréquenter le collège protestant des Clérié. L’érection du Collège Saint-Louis, d’obédience catholique, sous l’apparence du progrès, devient l’instrument de la concurrence entre protestants et catholiques. Les premières places dans l’église Saint-Louis, du “Pè Fouquet”, furent vendues à prix d’or pour mieux séparer la classe (mulâtre) possédante de la masse et accentuer cette scission. Malheur aux alliances maritales entre mulâtre et noir sous peine d’éradication du clan. Des cousins mulâtres, divisés en deux clans, évoluaient en chien de faïence ….etc. Personnellement, je connais certains mulâtres pauvres qui avaient hérité du dénominateur commun ou du suffixe de “Ti-rouge” ou ” Ti-blanc” en signe de dérision de la bouche des noirs. Moi qui croyais avoir été témoin d’une double solitude : le noir et le mulâtre, l’auteur du Syndrome Jérémien m’a remis à ma place en mettant sous mes yeux, une troisième, celle de mulâtres entre mulâtres. En un mot, ces trois Solitudes étaient en générale prisonnières d’une dialectique de destruction entre la logique interne et celle de l’externe. Je comprends l’auteur quand il a démontré avec certitude que cet apparent génocide était écrit dans le ciel. En fait, les prémices de ce trop-plein avaient sonné le tocsin lors du soulèvement sauvage de la masse à la visite du candidat des mulâtres en ville, Louis Déjoie, en 1957. En principe, pour parodier Thomas Jefferson, « Quand l’injustice devient loi, l’insurrection devient une obligation ». Les mulâtres de la place s’étaient royalement trompés de siècle. Après cette lecture, j’ai compris pourquoi la face de Jérémie ne se « paie pas de mine» aujourd’hui. C’est une ville paria, ankylosée, sclérosée, repliée sur elle-même, comme figée dans le temps. Elle nous laisse le goût du bout du monde, un coin oublié que ses fils exilés, animés malgré tout d’un amour charnel, visitent à chaque été comme pour aller en safari, tant les infrastructures sont déficientes.

Entre autres, rien ne peut effacer de notre mémoire cette fatale hécatombe. L’écho des cris dans la nuit de septembre 1964 nous ramène encore aujourd’hui à suivre par la pensée la trajectoire de ses balles maudites qui fracassaient la poitrine de ces jeunes ados qui avaient le même âge que nous à l’époque : Pitioune (Pierre-Richard), Hubert Sansaricq….etc.

Sur ce, bariolons de peinture noire ce titre mal acquis de La Cité des poètes en signe de deuil. C’est le seul acte teinté d’humanisme que toute la région peut poser pour annihiler ce synonyme de l’hypocrisie des poètes, si nous sommes conséquents avec nous-mêmes. Ainsi, pourrons-nous circonscrire la récurrence de cette fratricide en rappelant à tous les Haïtiens, qu’au-delà de la matérialité des souvenirs de Gérald Clérié, au-delà de l’interprétation et l’évidence, de la chimère et la démence, la bêtise humaine est sans commune mesure.

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1 thought on “Jérémie – Ne m’appelez plus jamais La CITÉ DES POÈTES

  1. Tres , Tres interessant ..ce qui manque est le texte de Clerie… Priere de le publier aussi ou de nous indiquer ou le trouver car une ‘google search” ne revele rien… merci

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