Proposition du Sénat de la République en vue d’une solution négociée à la crise

Avec le report sine die du deuxième tour des élections présidentielles prévues pour le 24 janvier dernier, il est donné de constater que le 7 février 2016, date de la fin du mandat du président Michel Joseph Martelly, le pays n’aura pas un président élu pour assumer les fonctions de chef de l’Etat. En raison de ce constat, s’ouvre aussi la perspective d’une vacance au niveau de la Présidence à partir du 7 février 2016.
La Constitution de 1987 n’a aucune provision pour ce cas précis, en l’occurrence «  le mandant du président de la République arrive à terme sans qu’un autre président soit élu pour recevoir l’écharpe présidentielle le jour de sont départ ». Toutefois, la Constitution pourvoit au remplacement d’un président en exercice empêché temporairement ou de manière permanente.
L’article 148 de la Constitution stipule  « Si le président se trouve dans l’impossibilité temporaire d’exercer ses fonctions, le Conseil des ministres, sous la présidence du Premier ministre, exerce le Pouvoir exécutif tant que dure l’empêchement ».
L’article 149 quant à lui propose ceci :
«  En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des ministres, sous la présidence du Premier ministre, exerce le Pouvoir exécutif jusqu’à l’élection d’un autre président. Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jour) au moins et cent vint (120) jour au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale ».
Il poursuit pout spécifier que : « Dans le cas ou la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau président provisoire de la République pour le temps qui reste à concourir ».
Donc, la Constitution prévoit  une provision  pour un président empêché de manière temporaire (art. 148). Dans ce cas, c’est le Conseil des ministres sous la présidence du Premier ministre qui assure la gestion de l’Exécutif. Cela suppose qu’une fois l’empêchement relevé, le président revient à sa charge pour continuer à exercer ses fonctions jusqu’à la fin de son mandat.
La Constitution prévoit également une vacance permanente durant le quinquennat du président de la République (art. 149).  Ce cas de figure envisage une double réalité : si cette vacance permanente survient durant les trois (3) premières années du quinquennat, le Premier ministre, présidant le Conseil des ministres, assure la gestion de l’Exécutif. Il a la responsabilité d’organiser des élections pour pourvoir au remplacement du président empêché, c’est-à-dire combler la vacance. Ces élections sont organisées dans une fourchette allant de soixante (60) à cent vingt (120) jours.
Dans la mesure où cette vacance permanente survient à partir de la quatrième année du quinquennat du président empêché, c’est au Parlement qu’incombe la prérogative d’élire un président provisoire qui complètera le quinquennat.
A noter que toutes ces dispositions constitutionnelles autour de la manière de combler le vide laissé par un président empêché supposent un Premier ministre détenteur de la légitimité que lui confère le Parlement grâce à sa ratification et  à la ratification de sa Politique générale, en plus d’être nommé par le président de la République.
Dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, il est pratiquement impossible d’invoquer les dispositions constitutionnelles concernant la vacance présidentielle pour essayer de résoudre la crise qui s’ouvre le 7 février 2016 :
a) La vacance qui surviendra le 7 février 2016 n’est pas un empêchement temporaire ;  il n’y a pas un président élu qui reprendra sous peu ses fonctions.  La vacance constatée ne se présente pas au cours des trois (3) premières années d’un quinquennat ni dans la dernière année. Il s’agira d’un président qui aura complété la totalité de son mandat et qui n’aura pas de successeur légitime disponible à la date de son départ du pouvoir. Ce cas inédit, n’était pas prévu par le législateur !
Une approche légaliste recommanderait que l’on se demande ceci : « Faut-il considérer la formule de l’article 148 de la Constitution où c’est le Premier ministre qui assume toute la charge de l’Exécutif et s’assure de l’organisation des élections afin de pourvoir au remplacement du président ? » ou celle de l’article 149 qui octroie à l’Assemblée nationale la prérogative de nommer un président provisoire?
La formule correspondant à l’article 148 pose un problème car, l’actuel Premier ministre n’a pas la légitimité nécessaire pour assumer toute la charge du Pouvoir exécutif. S’il a régulièrement été nommé par le président de la République, il n’a jamais reçu l’aval du Parlement comme le veut la Constitution.  La formule relative à l’article 149 n’est pas plus envisageable car, nous ne sommes pas en train de traiter d’une situation de vacance présidentielle  à partir de la quatrième année du  mandat du président de la République.  Rappelons que nous sommes face à la réalité d’un mandat présidentiel qui arrive à terme. Ce président devrait être remplacé par un nouveau mandataire élu. Alors que ce nouveau mandataire n’a pas encore reçu l’aval du souverain (le peuple) pour commencer à gouverner ; la vacance présidentielle est temporaire.
b) Dans la mesure où il impératif de trouver une formule consensuelle nous permettant d’atténuer les dégâts de la tempête et de s’assurer la continuité de l’Etat, condition garantissant la stabilité, tous les acteurs doivent donner préséance à leur patriotique conscience  pour avouer que le pays fait face à deux problèmes à résoudre afin d’éviter une situation d’instabilité à partir du 7 février : le problème électoral et le problème de la gouvernance/ gouvernabilité d’après le 7 février. Il faut toutefois mentionner que problème électoral doit être considéré comme une conséquence du mal  gouvernance et gouvernabilité/légitimité.
c) Une première série de propositions faites jusqu’ici accordent la priorité à la question électorale qui, selon le vœu de ces proposants doit être complétée au plus vite. La question de la gouvernance/gouvernabilité est à peine touchée et ceci tout simplement pour garantir qu’il y ait une entité apte à compléter le processus électoral qui semble leur tient à cœur.

Une autre ligne de propositions s’intéresse plus à la gouvernance, mais la gouvernance immédiate de l’après 7 février 2016. Celles-là veulent que l’on se penche sur les revendications survenues à la suite de la publication des résultats des élections présidentielles  du 15 octobre 2015;  ces proposent pensent que cela constitue le  remède.

D’autres voix -plus faibles peut être- se sont élevées pour réclamer un accord global traitant du problème de la gouvernabilité de la République tout en s’assurant qu’à l’intérieur de cet accord global, il est inséré un accord minimal permettant de résoudre le problème électoral de 2015 et le problème de la gouvernabilité  et de la  gouvernance post 7 février 2016.

d) L’accord global pourrait être trouvé dans le cadre d’une Conférence nationale où se posera la question cruciale du destin d’Haïti, de sa souveraineté, de son indépendance,  de son émancipation et de sa libération…

Aussi, le Sénat de la République propose-t-il, à tous et à toutes, cet accord en guise de contribution, dans la recherche d’une solution consensuelle.

Au terme des négociations engagées entre le Parlement haïtien, co-dépositaire de la souveraineté nationale, le Pouvoir exécutif et d’autres secteurs vitaux de la Nation, les signataires s’engagent à mettre en application ce qui suit :

1) Les présidents des deux (2) Chambres du Parlement haïtien, représentant le Pouvoir législatif engagent une ronde de discussion avec le chef de l’Etat afin de mettre sur la table les points qui feront l’objet des négociations. (28 janvier)
2) Les négociations commencent entre le Pouvoir exécutif, le Pouvoir législatif et les secteurs vitaux de la Nation avec la participation des partis politiques ayant des membres élus au Parlement afin de s’entendre sur une période de transition commençant le 7 février 2016. (29 janvier- 1er février). Cette transition sera d’une durée suffisante pour permette de ramener le calme et la stabilité au pays et surtout pour permettre de compléter le processus électoral.
3) En vue de garantir la gouvernance/gouvernabilité immédiate de l’après 7 février 2016, les signataires du présent accord s’engagent à designer un Premier ministre, muni d’une feuille de route, qui pourra être ratifié par le Parlement et jouir d’une totale légitimité. Ce Premier ministre de consensus devra être installé avant le 7 février 2016.
4) En vue d’accélérer le processus de désignation du Premier ministre, le Sénat de la République suggère que la personnalité qui sera désignée soit :
a) Quelqu’un qui satisfait aux exigences de l’article 157 de la Constitution ;
b) Un personnage rassembleur, doté de compétences avérées et ayant une certaine ; expérience de l’Administration publique haïtienne ;
c) Un personnage connu du milieu politique haïtien ;
d) Quelqu’un qui n’était pas candidat aux dernières élections de 2015 ;
e) Quelqu’un qui n’est membre ni de l’actuel gouvernement ni de l’opposition active.

5) Le 7 février 2016, à la fin du mandat du président de Michel J. Martelly, ce Premier ministre assume la totalité des fonctions de l’Exécutif. Il lui revient de mettre en place une  Commission indépendante de vérification électorale, chargée de faire la lumière sur les élections de 2015. Une feuille de route précisera la mission exacte de cette commission. La création de cette commission n’exclut en rien la possibilité de la mise en place de la Commission sénatoriale d’enquête sur les élections prévue dans la résolution du 21 janvier 2016 du Sénat de la République.
6) Ce Premier ministre s’assure de la poursuite conforme du processus électoral suivant les recommandations de la commission de vérification ; il prend toutes mesures visant à ramener le calme et la stabilité dans le pays ; il rassemble autour d’une table, lors d’une conférence nationale, tous les protagonistes impliqués dans la crise et surtout les forces vives de la Nation en vue de poser le problème de la gouvernance globale, particulièrement celui de la réforme électorale, de la réforme judiciaire, de la réforme constitutionnelle, de la réforme de la gouvernance territoriale, etc.
7) Aussitôt le Premier ministre de consensus officiellement désigné, le président de l’Assemblée nationale convoque les sénateurs et les députés pour une séance en Assemblée nationale.

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