Production nationale Un coup de pouce aux riziculteurs de l’Artibonite

Le Nouvelliste | Publié le : 22 novembre 2013

Depuis environ deux mois, la commune de l’Estère est dotée d’une usine de transformation de riz. La Compagnie haïtienne de promotion agricole (CHPA), dirigée par l’homme d’affaires Fritz P. Brandt, entend participer à la relance de la production locale de riz. Histoire d’une belle initiative
Des sacs de riz prêts à être commercialisés
Jean Pharès Jérôme
Une vingtaine de camions attendent dans la cour de l’usine de transformation de riz le jeudi 14 novembre. Des dizaines d’agriculteurs, hommes et femmes, attendent chacun leur tour pour faire peser leur marchandise. « C’est cette ambiance qui règne ici presque tous les jours », explique l’ingénieur Rubens Sylvain, le directeur de l’usine. Celle-ci a lancé ses opérations en septembre 2013 avec pour objectif de commercialiser le riz domestique à l’échelle nationale. « La CHPA achète le riz paddy (riz brut) des planteurs de la zone à un prix compétitif, le transforme en produit fini et assure la mise en sac. La Carribex, à travers un contrat de vente, assure sa distribution et sa commercialisation sur le marché local, sous le label « Ti Malice », expliquent les responsables du projet. Avant de construire l’usine, la CHPA avait commandité une étude sur la production locale dans plusieurs départements du pays. « A partir de l’étude, nous avons appris comment aborder les planteurs, les coopératives et les organisations impliquées dans la production de riz dans le département de l’Artibonite », précise l’ingénieur Sylvain. L’intérêt des riziculteurs pour vendre leurs récoltes à l’usine n’est plus à démontrer. « Nous dépensons déjà entre 10 millions à 12 millions de gourdes par semaine dans l’achat de riz », indique Rubens Sylvain, précisant que la CHPA achète le riz à un prix compétitif même si le projet en est encore à la phase pilote. Grâce à une telle initiative, les planteurs, croit-il, économisent du temps, car ils n’ont plus à se soucier de procéder au « battage », ni à la vente du produit fini. « C’est une très belle initiative, se réjouit Emile Innocent, un planteur rencontré dans la cour de l’usine. « Maintenant, la vente de nos récoltes est assurée. En plus, on nous propose un bon prix ici. » Michelet Pierre, un planteur de Saint-Marc, estime toutefois que si « l’usine est un bon début, elle ne peut pas résoudre tous nos problèmes ». Innocent et Pierre ne sont pas les seuls à vanter les bienfaits de l’usine. « Aménager une usine pour le traitement et la commercialisation de riz est une très bonne chose, déclare Philicia David. Avant, nous n’avions aucune assurance que nous allions écouler nos produits. Maintenant, il n’est plus question de faire la navette dans les marchés publics pour écouler nos récoltes. » Renée Destine salue également la mise en place de l’usine. Elle estime par ailleurs qu’il faut d’autres usines semblables pour traiter – et acheter – des produits comme le maïs et les pois. « Ainsi, il ne sera plus question de risquer ma vie pour aller vendre mes produits à Port-au-Prince », dit-elle. Ayant une capacité de stockage de 4 000 tonnes, l’usine est très appréciée par les planteurs de l’Artibonite, région qui fournit annuellement près de 80% des 120 000 tonnes de riz produites en Haïti. Pourtant, le pays consomme quelque 420 000 tonnes de riz l’an. Retrouver le niveau de production d’antan Les responsables de la CHAP espèrent que l’usine va inciter les planteurs à produire davantage. C’est l’avis de l’homme d’affaires Fritz P. Brandt, le principal instigateur du projet. « L’étude réalisée sur la filière riz dans le cadre de la mise en place de l’usine a révélé qu’on peut, avec beaucoup de travail et l’appui de l’Etat haïtien, permettre au pays de redevenir auto-suffisant en riz comme ce fut le cas avant les années 80 », souligne l’homme d’affaires. Ajoutant : « C’est un défi qu’on peut relever d’ici 5 à 10 ans ». Fritz P. Brandt dit avoir décidé de mettre en place l’usine de l’Estère avec l’espoir que d’autres gens d’affaires haïtiens imiteront son exemple. « Il y a place pour la compétition, fait-il remarquer. Tout le monde va en sortir gagnant. » L’usine de transformation de riz de l’Estère ne peut pas, à elle seule, commercialiser tout le riz produit dans la vallée de l’Artibonite, voire dans tout le pays. Quelque 11 usines semblables, soit 5 pour le département de l’Artibonite, seraient nécessaires pour y arriver. Investir dans le riz national n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres, loin de là. En plus des bénéfices immédiats – pour le promoteur comme pour les producteurs locaux –, cela permettra la création d’emplois au profit de toute la population. « L’usine de L’Estère a déjà permis de créer entre 100 et 125 emplois directs et un nombre incalculable d’emplois indirects », indique M. Brandt. Celle-ci a été implantée grâce au soutien de techniciens brésiliens et dominicains à partir d’un financement de deux millions de dollars américains du groupe Brandt. Grâce à un processus de transformation en plusieurs étapes, le riz de l’Artibonite arrive maintenant chez les consommateurs bien emballé et sans déchets. Pour l’instant, seul le riz TCS est acheté à l’usine. « On espère qu’on acceptera bientôt les autres variétés de riz », lance Philicia David. « Pour ce faire, on doit toutefois augmenter la capacité de l’usine et cela nécessitera d’autres investissements », rétorque l’un des responsables de la CHPA. Mais si ces derniers sont satisfaits de l’accueil des planteurs, tel n’est pas le cas en ce qui a trait au marché. « La commercialisation du riz haïtien est très difficile, se désole Fritz Brandt. Les consommateurs ont le complexe du produit importé. Il y a aussi le lobby des importateurs qui disent que notre riz est mélangé avec celui importé. » Le riz commercialisé sous le label Ti Malice est pour l’instant disponible dans les marchés publics. « C’est plus difficile dans les marchés d’alimentation modernes, car les propriétaires préfèrent exposer les produits importés », regrette Fritz Brandt, critiquant certains financiers qui croient que son projet est sans avenir. Comme les riziculteurs de l’Artibonite, l’homme d’affaires sait bien que l’usine de l’Estère ne peut pas relancer, à elle seule, la production de riz dans l’Artibonite. Pour Fritz Brandt, la relance de la production nationale nécessite la mise en place d’une banque agricole, au profit des jeunes entrepreneurs qui voudraient suivre son exemple, qui accorderait du crédit aux agriculteurs. Il faut aussi créer des sociétés de location et de vente d’équipements agricoles, selon l’homme d’affaires, qui invite le gouvernement à subventionner les engrais pour une période d’au moins cinq ans. C’est justement l’une des revendications des planteurs de l’Artibonite, avec l’accès aux intrants et le curage des canaux qui permettront de relancer la production rizicole haïtienne. Et, partant, de créer enfin un peu de richesse dans une région – et un pays – qui en a bien besoin.

Jean Phares Jerome
pjerome@lenouvelliste.com

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