Port-au-Prince : nouvelles failles cartographiées, menace sismique amplifiée

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Les habitants de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, plus de 3 millions, vivent sur des « failles actives » qui rendent plus importante la menace sismique, a alerté une étude menée par des scientifiques français.

Des scientifiques français de l’équipe de tectonique de l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS, Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité), lors de travaux consistant à identifier et à caractériser les failles actives responsables du séisme destructeur du 12 janvier 2010 en Haïti, ont mis en évidence des failles actives dans la ville de Port-au-Prince et son agglomération. Cette étude publiée dans la revue GRL apporte des éléments nouveaux permettant à la fois de mieux comprendre les mécanismes de la rupture sismique et de mieux définir l’aléa sismique dans la ville de Port-au-Prince et son agglomération, a indiqué cette publication disponible sur la page du CNRS : «Article CNRS http://www.insu.cnrs.fr/node/5673 ».

« On s’en souvient, le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude Mw 7.0 dévastait la ville de Port-au-Prince en Haïti, tuant plus de 230000 personnes. Malgré sa magnitude, ce séisme n’a laissé aucune trace de rupture en surface rendant difficile son interprétation sismotectonique. Le consensus qui prévalait jusqu’alors, à propos de ce séisme, était qu’il n’avait pas rompu la grande faille décrochante d’Enriquillo-Plantain-Garden (EPGF), mais une ou plusieurs failles aveugles au nord de celle-ci », ont situé ces chercheurs.

Les structures actives de la zone de l’épicentre étant jusqu’alors mal connues, les auteurs ont cherché à les identifier et les caractériser grâce à l’utilisation d’images aériennes, de données topographiques à haute résolution, de cartes bathymétriques et d’observations géologiques, ont-ils souligné. « Un ensemble de chevauchements actifs, d’orientation Nord-Ouest-Sud-Est et à pendage vers le sud ont ainsi pu être cartographiés dans la baie de Port-au-Prince et dans la plaine du Cul-de-Sac où se situe la ville de Port-au-Prince. L’un d’entre eux, le chevauchement de Lamentin, traverse la ville densément peuplée de Carrefour puis se prolonge en mer vers l’Ouest, dans la baie, où il contrôle la morphologie du récif frangeant. À l’Est, le chevauchement du Lamentin se connecte à la grande faille décrochante (sénestre) d’Enriquillo-Plantain Garden », selon cette publication.

« Les nombreux séismes enregistrés après le choc principal du 12 janvier soulignent clairement ces deux structures et montrent qu’elles se connectent en profondeur. Les auteurs supposent donc que ces deux failles aient rompu le 12 janvier 2010. Ce nouveau scénario explique parfaitement les déformations de surface enregistrées par les données de géodésie (GPS et interférométrie radar) et les coraux de type microatolls. La modélisation des données de géodésie suggère que la rupture s’est  probablement initiée le long du chevauchement du Lamentin et s’est propagée ensuite le long de la faille d’Enriquillo-Plantain-Garden », explique l’article.

Selon ce scénario, le plus fort glissement le long du chevauchement du Lamentin aurait eu lieu en profondeur près de sa connexion avec la faille de Enriquillo-Plantain-Garden, avec pour effet une chute drastique, la contrainte compressive qui s’applique perpendiculairement à cette dernière, favorisant ainsi sa rupture. Le séisme de 2010 provoqué par rupture couplée de ces deux failles pourrait être un événement exceptionnel par rapport à des séismes plus « classiques », purement décrochant et qui ont laissé des traces dans le paysage le long de la faille de Enriquillo-Plantain-Garden en accumulant notamment des décalages de rivières de quelques mètres, a détaillé cette publication.

Ce nouveau modèle implique qu’une partie des contraintes accumulées au cours des dernières décennies le long de la faille d’Enriquillo-Plantain Garden ont bien été relâchées pendant le séisme mais qu’en contrepartie, elles ont été augmentées aux deux extrémités de la zone de rupture et notamment à Port au Prince.  L’existence de chevauchements actifs dans la ville de Port-au-Prince et son agglomération implique aussi un aléa sismique important à caractériser plus en détail pour pouvoir en tenir compte dans les futurs plans d’aménagement du territoire, a appelé la publication.

« C’est une nouvelle hypothèse sur le séisme du 12 janvier 2010, en concordance avec les études en géodésie spatiale qui montrent qu’il y a une compression entre le Nord et l’Artibonite et que le massif de La Selle a un chevauchement sur la plaine du Cul-de-Sac et ce chevauchement s’accommode sur certaines failles qui sont très dangereuses pour Port-au-Prince. Ce sont des failles qui bordent le sud de la plaine du Cul-de-Sac », a confié l’ingénieur Claude Prépetit, le scientifique haïtien qui criait attention dans le désert de l’inconscience, de l’incurie collective avant que ne frappe le séisme du 12 janvier 2010. « On parle de la grande faille de la presqu’île du Sud, mais il existe tout un réseau de failles secondaires qui traversent le Sud de la plaine du Cul-de-Sac qui sont plus proches de Port-au-Prince. Ces failles-là, si elles se mettent à accumuler de l’énergie, vont provoquer des séismes encore plus destructeurs que celui du 12 janvier », a-t-il prévenu, qualifiant « d’impératif la construction parasismique ». La situation est « préoccupante », a concédé Claude Prépetit qui croit venu le temps d’inciter « les universités à faire beaucoup plus de recherches » sur la question. « L’Etat, a-t-il estimé, devrait inviter les spécialistes à faire davantage de recherches « parce qu’on est encore très loin de la connaissance parfaite des structures tectoniques qui traversent Port-au-Prince ». Il y a, face à la menace, des responsabilités individuelles et collectives à assumer, a ajouté l’ingénieur Claude Prépetit.

Roberson Alphonse Source Le Nouvelliste
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