L’industriel Fritz Mevs au tribunal correctionnel

Le Nouvelliste:
Le jeudi 31 mai 2012, la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Port-au-Prince a fonctionné dans une salle archicomble jusqu’au-delà de 4h p.m. Pourquoi ce fait inhabituel ? Nul doute que l’importance du fait soumis au juge correctionnel et la qualité des débats ont déterminé ce public composé d’avocats, d’avocats stagiaires, de greffiers, d’huissiers et de curieux à assister à cette audience comme s’il s’agissait d’une assise criminelle. Cela rappelle le bon vieux temps, l’époque de la grande salle des pas perdus à la première chambre du tribunal civil du vieux palais de justice de Port-au-Prince, détruit par le séisme dévastateur du 12 janvier 2010.
Les faits Le 8 mai 2012, le sénateur Youri Latortue cita au correctionnel l’industriel Fritz Mevs pour propos injurieux, dénonciation calomnieuse et diffamation. Il s’agit de déclarations faites à l’ambassadeur américain James Folley selon lesquelles M. Mevs a fait passer l’ancien sénateur de l’Artibonite pour un trafiquant de drogue. Touché dans son honneur, l’ancien président de la commission Justice du Sénat réclame du tribunal des sanctions sévères contre l’homme d’affaires. Le dispositif de sa citation se lit comme suit: «Par ces causes et motifs et tous autres à suppléer de droit, d’office ou en plaidant, entendre le tribunal correctionnel de Port-au-Prince déclarer constants les faits de diffamation, de dénonciation calomnieuse, d’injures publiques et d’expressions outrageantes reprochés au nommé Fritz Mevs ; en conséquence, le condamner, sur la réquisition du Ministère public, à trois ans d’emprisonnement et à cinq cents gourdes d’amende au profit de l’Etat par application des articles 313, 316, 320 et 321 du code pénal ; le renvoyer, en vertu de l’article 9 du code pénal haïtien, pendant dix ans, sous la surveillance de la haute police de l’Etat ; l’interdire, conformément aux dispositions de l’article 28 du code pénal, d’exercer pour une durée de cinq (5) années entières et consécutives les droits politiques et de famille suivants: 1-de vote et d’élection; 2- d’éligibilité; 3-d’être appelé ou nommé à la fonction de juré ou autres fonctions publiques, ou aux emplois; 4-de port d’arme; 5-de vote dans les libérations de famille; 6-d’être tuteur, curateur, si ce n’est de ses enfants, et sur l’avis seulement du conseil de famille; 7-d’être expert ou employé comme témoin dans les actes; 8- de témoignage en justice, autrement, que pour y faire de simples déclarations.
Fixer la contrainte par corps, en cas de non paiement de l’amende et des frais, pour une période supplémentaire d’une année, conformément aux dispositions des articles 36 et 37 du code pénal ; dire que le jugement de condamnation sera lu, aux frais du cité vingt fois par jour dont au moins quatre fois dans les émissions de nouvelles sur une période de quinze jours consécutifs (dimanche et jours fériés exceptés) sur les ondes de radio Caraïbes F.M. ; dire également que le jugement de condamnation sera publié, aux frais du cité, dans le quotidien Le Nouvelliste; réserver les droits du requérant à exercer ultérieurement une action en dommages et intérêts contre le cité pour les graves préjudices subis; condamne enfin le cité aux frais et dépens de l’instance. Ce sera justice». Evoquée à l’audience du jeudi 24 mai 2012, le tribunal, par avant dire droit, a ordonné la comparution personnelle du prévenu à l’audience du 31 mai 2012 par application de l’article 161 du code d’instruction criminelle qui stipule: «Devant le tribunal correctionnel, le prévenu est admis à se faire représenter par un avocat. Néanmoins, le juge pourra ordonner la comparution personnelle, s’il l’estime nécessaire à l’instruction de la cause. Le jugement qui ordonne la comparution ne sera ni levé ni signifié. Si la partie n’obtempère pas à cette décision, le jugement sur le fond ne sera pas susceptible d’opposition». Les débats Evoquée à nouveau à l’audience du 31 mai 2012, l’affaire a été retenue par les deux parties. Le sénateur Youri Latortue, présent dans la salle d’audience, est défendu par Mes Jean Gary Rémy et Samuel Madistin. L’industriel Fritz Mevs, qui n’a pas obtempéré, s’est fait représenter par Mes Sybille Théard Mevs et l’avocat bien connu en fin de carrière et ancien ministre de la Justice, Me Calixte Delatour. Au moment où le tribunal s’apprêtait à exécuter, à la demande des avocats de la partie civile, la décision de comparution personnelle, le conseil de la défense sollicite la parole pour demander communication de l’exploit de notification de l’avant dire droit du tribunal ainsi que l’expédition de ladite décision tout en exhibant une copie dudit exploit fait selon les avocats de la défense en marge de la loi.
Les avocats de Youri Latortue se sont opposés à cette demande, arguant qu’il s’agit d’une décision qui ne doit être ni levée ni signifiée, qu’il n’y a pas lieu à communication pour faire le jeu d’une stratégie de défense axée sur le dilatoire. Ils ont donc appelé le tribunal à rejeter cette demande. Pour le ministère public, représenté par Me Rousse Célestin, consulté par le tribunal, dans une intervention magistrale qui rappelle le temps de Guérilus Fanfan, Joseph Jeudilien Fanfan et Sonel Jean François, a conclu au rejet de la demande formulée par le conseil de la défense. Le tribunal, présidé par le juge Brédy Fabien a adopté le réquisitoire du ministère public tout en ordonnant au greffier de siège de donner lecture de la dernière décision avant dire droit du tribunal. La partie prévenue a immédiatement interjeté appel de ladite décision et demandé de surseoir à l’audience de l’affaire. Prenant la parole, les avocats de la partie civile, se basant sur les dispositions des articles 364 et 365 du code de procédure civile traitant des avant dire droit préparatoires et interlocutoires et sur une abondante jurisprudence de la Cour de cassation, ont demandé au tribunal de passer outre la demande de sursis sollicitée, vu que l’appel interjeté est prématuré et inutile parce qu’il porte sur un avant dire droit préparatoire, non susceptible de recours. Le ministère public, de nouveau consulté, a une nouvelle fois abondé dans le sens de la partie civile, après une analyse juridique de belle facture. Le juge en siège a de nouveau adopté le réquisitoire de ministère public en mettant l’affaire en continuation à l’audience du jeudi 14 juin 2012 pour l’exécution de sa décision portant sur la comparution personnelle du prévenu Fritz Mevs.
Jean-Robert Fleury
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