Les clés de l’immobilier

Carl Braun,président du conseil d'administration de la UNIBANK, décoré comme le banquier des 30 dernières années par la BRH et le Groupe Croissance en avril 2011

Carl Braun est l’un des plus grands financiers haïtiens des trente dernières années. Sans concessions, il identifie les obstacles au développement de l’immobilier et propose une large gamme de solutions financières et fiscales en vue de donner un toit à l’Haïtien. Compte rendu de sa présentation faite mercredi 29 juin 2011 à Banque interaméricaine de développement.

Haïti: Lunettes sur le nez, physique imposant, Carl Braun, 56 ans, gourou de la finance en Haïti croit que « même sans changement dans les réserves obligatoires actuelles par la BRH, le système bancaire pourrait facilement et tout de suite financer à hauteur de 700 000 000 de dollars américains 15 000 unités de logements pour la classe moyenne à 70 000 dollars l’unité ». Une offre de financement qui serait comparable à une petite révolution dans le milieu car, selon M. Braun, au 31 mars 2011, les prêts au logement représentaient 68 millions de dollars, soit 8.3 % de l’ensemble des prêts accordés par le secteur bancaire qui dispose actuellement d’une surliquidité importante. « Cette surliquidité, supérieure à 1 milliard de dollars, pourrait-être utilisée pour dynamiser l’offre de financement de l’immobilier en Haïti », souligne Carl Braun qui affiche des ambitions plus grandes, plus structurantes pour le logement dont la demande annuelle est de 4 500 nouveaux logements pour la classe moyenne, d’après une étude de l’USAID rendue publique en 2010.

« Si le taux de réserves obligatoires était ramené par la BRH à un taux plus raisonnable et plus proche de la moyenne latino-américaine -autour de 15 %- et si les banques gardaient 15 % des dépôts comme liquidités y compris les bons BRH et comme encaisse, avec le ratio prêts/dépôts actuel de 26 %, les liquidités potentiellement disponibles dans le système pour le financement de l’économie en générale et du logement en particulier s’élèveraient à 1,39 milliards de dollars, soit 56 milliards de gourdes », analyse M. Braun devant un parterre de représentants d’institutions financières nationales et internationales à la BID, dans le cadre du « Mercredi de réflexions » animé par l’inusable Kesner Pharel, économiste, animateur du « Magazine économique » sur les ondes de Radio Métropole.

Cependant, M. Braun, pragmatique, prévient que la demande solvable pouvant justifier un emprunt sans subvention est très faible. Et cela représente « le plus gros problème conceptuel et le plus grand défi à l’augmentation du financement au logement », indique le financier sans dire s’il souhaite la création d’instruments financiers avec l’aide externe pour faire face à ce problème de logement rendu encore plus grave après le séisme du 12 janvier ayant détruit plus de 250 000 logements, selon certaines estimations.

Quelques contraintes au financement de logement

« L’instabilité macroéconomique de 1979 à 2006 est l’une des causes de la hausse des taux d’intérêt. La stabilité à moyen et à long terme du cadre macroéconomique est une condition sine qua non pour offrir des bas taux d’intérêts en gourdes aux emprunteurs », souligne M. Braun, président du Conseil d’Administration de la UNIBANK S.A. et du Groupe Financier National (GFN).Outre le problème posé par le taux d’intérêt, Carl Braun relève deux autres problèmes : les coûts de transaction élevés et la fiscalité surannée et non incitative.

Les notaires

Les droits, taxes et honoraires de notaire sont élevés pour les achats et ventes d’immeubles. Environ 4.24% pour l’État, et entre 1 et 2% pour les notaires. Le coût prohibitif pour l’enregistrement des contrats hypothécaires: 2.02% sur le montant du principal augmenté des intérêts du prêt hypothécaire, plus 0.2% droit de timbre. Le total peut représenter 3.5% à 5.5% sur la vie du prêt, plus les honoraires du notaire. Le coût prohibitif pour l’inscription et/ou le renouvellement des hypothèques est 1.01% sur le montant de l’hypothèque, plus honoraires de notaire, égrène Carl Braun, relevant la vétusté, l’ancienneté du tarif des notaires établi dans une loi datant de 1969.

Le fisc

« À part les coûts de transaction élevés, la principale contrainte fiscale à l’investissement par le secteur formel dans l’immobilier résidentiel est l’existence du barème non incitatif, suranné et pénalisant de l’impôt locatif dit « Contribution Foncière des Propriétés Bâties » datant de 1979 », selon M. Braun

« Le barème en vigueur depuis 1979, y compris la taxe additionnelle établie en 1974 de 6.6% jusqu’à HTG 2,400 (USD 60) de valeur locative annuelle, monte progressivement à 16.5% à partir d’un loyer annuel de HTG 21,600 (USD 540/an, ou $45/mois) », poursuit-il.

« Étant donné que la plupart des maisons en location dans la classe moyenne dépassent largement le barème locatif de 1979, le taux effectif actuel de taxation des loyers des maisons en 2011 est de 16.5%. À cela, il faut ajouter l’impôt sur le revenu de 30% sur le revenu net après déduction des charges supportées par le propriétaire », ajoute-t-il avant de souligner « qu’un investisseur qui veut respecter les lois fiscales est fortement pénalisé par ce régime fiscal abusif ».

Selon M. Braun, il est absolument urgent de moderniser l’appareil légal en vue de pallier le mauvais fonctionnement du système judiciaire de façon générale occasionnant des lenteurs du processus de récupération de créances (voie parée), et d’enregistrement.

Le ton grave, il indexe aussi la lenteur et les difficultés dans le processus d’enregistrement et la très grande fragilité des conditions d’archivage et de protection des actes et registres de la Conservation Foncière. « Nous sommes passés à deux doigts d’une grande catastrophe avec l’effondrement de la DGI lors du séisme. Heureusement que la section domaine où l’on conserve les titres de propriétés se trouvait dans le sous-sol. Si on avait perdu les titres de propriété, imaginez les batailles qu’il y aurait pour prouver l’authenticité d’un titre », explique M. Braun qui n’a pas oublié dans sa liste les problèmes liés au cadastre, la lenteur et les difficultés dans le processus d’arpentage.

« L’interdiction d’augmenter les loyers résidentiels, commerciaux et industriels depuis 64 ans établie par la loi du 14 septembre 1947, suivie d’une réduction de 25% des loyers gelés depuis 1947 par le décret du 29 janvier 1959 et par la loi du 19 juillet 1961 pose problème », explique Carl Braun.

« Les délais de déguerpissement très longs, 2 à 4 ans pour les résidences, 3 à 5 ans pour les immeubles commerciaux et industriels selon loi du 17 mai 1948), l’inapplication de la loi sur la copropriété du 13 août 1984, malgré un nouvel arrêté d’application de 2009, découragent aussi les investissements dans l’immobilier », ajoute le banquier qui propose une quinzaine de mesures.

Il faut maintenir une politique de stabilité macroéconomique, permettant ainsi d’offrir des taux d’intérêt variant entre 5 et 9% au logement, tout en gardant les termes actuels allant de 10 à 20 ans (les prêts subventionnés) pour les couches à faibles revenus qui bénéficieraient de conditions différentes, pouvant aller jusqu’à 30 ans de terme, selon M. Braun pour qui on doit également prioriser l’utilisation du surplus des dépôts bancaires existant aujourd’hui pour le financement du logement, et ne pas compliquer la situation de surliquidité en injectant des fonds venant de l’extérieur à moins que les fonds locaux deviennent insuffisants.

En ce qui concerne la réduction des coûts de transaction élevés, il propose d’appliquer à tout le secteur financier un nouveau barème de droits et taxes relatifs aux prêts au logement et aux opérations immobilières, en adoptant celui existant pour les BEL (banque de logement) depuis 1984, savoir: 0.50% pour le droit d’enregistrement des actes portant transmission de propriétés immobilières ;0.50% pour l’enregistrement des contrats hypothécaires
0.25% pour l’inscription et le renouvellement d’inscription d’hypothèques; 0.20% pour le droit de transcription des actes de vente ; 0.10% pour le droit de timbre proportionnel et des frais fixes de HTG 100 pour toute radiation d’hypothèque.

Pour réduire des coûts élevés de transaction, le financier croit qu’il faut appliquer un maximum absolu (un « cap ») de 40,000 Gdes (USD 1,000) à tous les droits et taxes relatifs aux prêts au logement et aux opérations immobilières mentionnées, supprimer la taxe additionnelle de 1% sur les droits d’enregistrement et déduire le droit proportionnel de transport de créances à 0.25% sur le solde principal, avec un plafond de 40,000 Gdes ou USD 1,000 (ceci augmentera la capacité des emprunteurs à négocier de meilleurs taux d’intérêt entre les banques)

Carl Braun conseille aussi de réviser de fond en comble le décret du 27 novembre 1969 sur le notariat, en réduisant le tarif proportionnel de 1% sur les opérations financières et immobilières, en ajustant à la hausse les tarifs planchers jamais augmentés depuis 42 ans, et en permettant, comme le fait la loi de 1984 sur les BEL, la négociation de gré- à- gré des tarifs à partir d’un certain seuil.

La modification du décret du 5 avril 1979 sur la Contribution Foncière sur les Propriétés Bâties est par ailleurs souhaitée. Il croit qu’il faut réduire le nombre de tranches d’imposition de 10 à 5, augmenter les seuils d’imposition pour tenir compte de l’inflation depuis 1979, faire passer le seuil maximum de 21,600 Gdes/an (USD 4,320/an en 1979) à 500,000 Gdes/an (soit environ USD 12,500 en 2011), sans oublier de réduire le taux d’imposition d’une fourchette allant de 6,6% à 16,5%, à une nouvelle fourchette de 5 à 9%, de sorte que l’impôt maximum se situe à environ 1 mois de loyer.

M. Braun est pour l’abrogation de l’article 7 du décret du 4 novembre 1974 instituant la taxe additionnelle de manière connexes des mesures d’accompagnement pour les budgets municipaux durant les premières années de cette réforme de l’impôt locatif.

Le financier souligne également la nécessité d’étudier un nouveau régime d’impôt sur la propriété foncière urbaine qui pourrait être basé sur la valeur marchande du bien (construit ou pas) et non sur sa valeur locative annuelle, non-pénalisant, incitatif à l’investissement pour remplacer le CFPB.

Le président du conseil d’administration de la UNIBANK pense qu’il faut étendre à tout le système financier les mesures de voie parée existantes dans la loi sur les BELs depuis 1984, en attendant de proposer d’autres modifications aux procédures contre les débiteurs défaillants.

En vue de conjurer une catastrophe effleurée le 12 janvier 2010, Carl Braun invite les acteurs à une étude à très court terme d’un nouveau système d’enregistrement et de conservation foncière, avec une nouvelle gouvernance administrative et un cadre physique approprié et sécuritaire.

Dans le chapitre des législations à moderniser, M.Braun propose l’abrogation immédiate des lois et décrets antiéconomiques et caducs des 14 septembre 1947, 29 janvier 1959 et 19 juillet 1961 sur les loyers, et la modification de la loi du 17 mai 1948 pour réduire à un niveau économiquement acceptable les délais de déguerpissement des locataires d’immeubles résidentiels, commerciaux et industriels. Et, dans la foulée,l’étude des mesures définitives à prendre pour rendre opérationnels la loi du 13 août 1984 et l’arrêté d’application de 2009 sur la copropriété.

Selon Carl Braun, il est urgent de préparer dans le court-terme un atelier de travail avec des avocats, notaires, juges et commissaires pour discuter de la réforme des procédures et lois liées aux créances et au système financier/bancaire afin de poser les problèmes,réfléchir sur les solutions en vue de faire face à la problématique du logement en Haïti où il y a des besoins, des opportunités, des défis et des actions à entreprendre.

Roberson Alphonse
ralphonse@lenouvelliste

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