Le gouvernement en désaccord avec Nigel Fischer

Le Nouvelliste | Publié le : 2013-02-19
Robenson Geffrard, rgeffrard@lenouvelliste.com Twitter: @robbygeff
« Un ami ne critique pas un ami, il lui donne des conseils », une réponse simple, mais diplomatiquement forte de la part de la ministre de l’Economie et des Finances à Nigel Fischer, le chef de la Minustah. Les autorités haïtiennes ne digèrent pas cette déclaration du représentant spécial en Haïti du secrétaire général de l’ONU disant qu’« Haïti n’est pas encore open for business ».
La ministre de l'Economie et des Finances
La ministre de l’Economie et des Finances
La réponse à Nigel Fischer, aussi rapide que ses déclarations. La ministre de l’Economie et des Finances, directe et franche, pose un ensemble de questions au chef de la Minustah afin de bien cerner les critiques de ce dernier sur l’administration Martelly-Lamothe. « Quels investisseurs ? Dans quels secteurs ils étaient intéressés à investir en Haïti ? Quelles sont les difficultés qu’ils ont rencontrées ? Je ne pense pas que les raisons évoquées par M. Fischer seront évoquées par un investisseur traditionnel », a déclaré sur Radio Magik 9 mardi matin, Marie Carmelle Jean-Marie. Selon elle, l’objectif premier d’un investisseur, c’est le profit. «…il viendra même s’il y a des problèmes de passation de marchés et des problèmes dans le système judiciaire… », a-t-elle dit. Marie Carmelle Jean-Marie a pris en exemple la compagnie de téléphonie mobile Digicel qui s’est installée en Haïti sans avoir évoqué les remarques du patron de la Minustah. Elle a du coup demandé au diplomate canadien d’être plus précis dans ses propos sur le pays. « Lorsque vous dites que vous êtes l’ami de quelqu’un, vous ne le critiquez pas, vous lui donnez des conseils », a-t-elle déclaré, soulignant que Nigel Fischer aurait pu leur conseiller dans le secteur minier s’il savait qu’il y avait des investisseurs intéressés. Cependant, les propos de Nigel Fisher n’ont pas choqué le grand argentier de la République comme ce fut le cas pour plus d’un. Madame Jean-Marie veut simplement dire au diplomate canadien qu’un ami ne critique pas un ami, il lui donne des conseils. La déclaration qui fâche. « Lorsque les amis d’Haïti et les investisseurs potentiels se demandent si « Haïti est ouverte aux affaires », si Haïti est « open for business », certains répondent oui mais la majorité, après un temps de réflexion, disent : « Pas encore ». Nigel Fischer d’ajouter : « Pourquoi cela ? Eh bien d’abord à cause des processus d’appel d’offres, de contrats et d’attributions des marchés. Peu d’acteurs les considèrent suffisamment justes et transparents pour garantir une compétition saine », ce sont là les déclarations qui divisent le chef de la Minustah avec le gouvernement haïtien. S’agissant de la question de passation de marchés, pour mieux se faire comprendre, la ministre de l’Economie et des Finances a pris en exemple la reconstruction de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) qui, plus de deux ans après l’approbation de ce projet, traîne encore. Elle a aussi évoqué la passation de marché pour la construction de la route Cayes-Jérémie remportée par la firme OAS. Les bailleurs, a-t-elle souligné, avaient voulu que la compagnie qui demande le moins d’argent remporte l’appel d’offre. « L’OAS est venue, elle a commencé la route. Voyant que ce qu’elle avait demandé était insuffisant, elle a plié bagage nous laissant avec une route inachevée et une population en colère… », a dénoncé Marie Carmelle Jean-Marie. « Pour respecter le diktat de ceux qui nous aident, nous avons été obligés de faire un appel d’offres », a-t-elle fulminé. Interrogée sur l’appel d’offres pour la construction du quai au port de Port-au-Prince qui aurait soulevé le mécontentement des personnalités de la communauté internationale, la ministre de l’Economie a souligné que c’est son ministère qui était chargé de ce processus. « Aucune autorité n’a voulu imposer sa firme privée, a rassuré Marie Carmelle Jean-Marie. L’appel d’offres a été lancé en avril ou mai 2012. Une vingtaine de firmes avait postulé. Six ont été soumissionnées. Trois d’entre elles ont été écartées pour dossiers incomplets. Le prix de la firme qui a eu la meilleure note technique, 70 sur 100, était le plus élevé, soit le double des deux autres firmes. C’est pourquoi le Premier ministre m’a demandé de surseoir sur le processus afin de négocier… rien que cela…, a-t-elle expliqué. » Elle a donné la garantie que les choses se feront dans le respect des normes, sans népotisme ni clientélismes. Contrairement aux rumeurs, la ministre a indiqué le chef du gouvernement n’a jamais fait pression pour imposer une firme. Le ministre des Affaires étrangères Pierre-Richard Casimir a estimé, pour sa part, que les propos de M. Fischer ne correspondent pas à la réalité du pays. Le chancelier a souligné que le gouvernement haïtien a fait beaucoup d’efforts pour améliorer le climat des affaires afin d’attirer le plus grand nombre d’investisseurs potentiels. « Il y a eu de nombreux progrès et le gouvernement continue de prendre des mesures pour améliorer l’Etat de droit et la sécurité juridique dans le pays », a-t-il dit, tout en reconnaissant qu’il reste encore beaucoup à faire. Ce n’est récemment que Nigel Fischer, ancien responsable des affaires humanitaires de l’Onu en Haïti, est arrivé à la tête de la Minustah en remplacement de Marino Fernandez. Et déjà, le diplomate canadien est en désaccord avec les autorités haïtiennes. Il n’y a pas deux mois, le ministre canadien de la Coopération internationale, Julian Fantino, avait déclaré parlant des Haïtiens : « Allons-nous nous occuper de leurs problèmes pour toujours? Eux aussi doivent se prendre en main. » Il avait aussi annoncé que les fonds destinés aux nouveaux projets en Haïti seront gelés.
Robenson Geffrard, rgeffrard@lenouvelliste.com Twitter: @robbygeff
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