L’aéroport international des Cayes, porte du Grand Sud

Le Nouvelliste | Publié le : 2013-02-15

Daniel ALTINÉ 15 février 2013

Après l’investissement majeur dans la construction de l’aéroport international Henri Christophe du Cap-Haïtien, le Premier ministre haïtien Laurent Lamothe a procédé, le 1er février 2013, à la pose de la première pierre du nouvel aéroport international Antoine Simon des Cayes. Chantre du développement économique des régions depuis mon retour en Haïti en 1991, l’annonce de cet investissement constitue de la musique à mes oreilles et me réjouit au plus haut point. J’en parle avec enthousiasme à mes collègues, amis et étudiants, et me surprends à rêver à la perspective que nous, Haïtiens, commençons, peut-être, à coller pièce par pièce les morceaux du puzzle. Je dis « pièce par pièce », car il faut commencer quelque part et franchir “ces premiers pas qui coûtent”. Mais ce besoin de commencer, d’atterrir, pour utiliser un terme à la mode ces temps-ci dans notre pays, ne doit pas nous faire oublier d’inscrire nos initiatives dans un plan d’ensemble, dans un cadre global de planification. Le Premier ministre, dans ses propos de circonstance à l’occasion de cette pose de première pierre, a essayé de camper les raisons justifiant un aéroport international dans le Grand Sud, en ce début du XXIe siècle. Au début des propos du PM, tout naturellement, j’ai mis mes oreilles “en trompettes” pour tenter de capter l’essentiel de la vision gouvernementale autour de ce projet d’infrastructure. Je me suis dis qu’il s’agit peut-être d’un projet dans un Projet plus grand de développement régional du Grand Sud. Le discours du PM m’a laissé sur ma faim au sens où je n’ai pas retrouvé ce Projet du GRAND SUD qui justifierait un aéroport international. Je me suis demandé à la fin du discours du PM: “Where is the beef?”; et la réponse m’est venue rapidement : “There is no beef”. Ce discours a été une litanie d’intentions et une suite de lieux communs du genre: 1. “Les Haïtiens de la diaspora originaires du Sud n’auront pas besoin de passer par Port-au-Prince pour venir dans le Sud. Ils pourront le faire directement”; 2. “Après l’aéroport international des Cayes, nous allons construire un aéroport international à l’Île-à-Vache”. On peut questionner à bon droit si le fait pour les Haïtiens de la diaspora originaires du Sud d’avoir la possibilité de prendre l’avion de l’étranger pour rentrer dans leur patelin constitue une condition suffisante qui justifie la construction d’un aéroport international? Et que penser d’avoir un autre aéroport international à l’Île-à-Vache, à quelques kilomètres des Cayes? Et voilà tout d’un coup la région des Cayes devenir comme New York avec deux aéroports dans un rayon de moins de 50 kilomètres. Vous avez dit incohérence? Vous n’êtes pas loin. Mes propos ici sont que l’aéroport international des Cayes n’est pas une fin en soi et ne saurait exister de lui-même. En l’absence d’un véritable projet de développement régional du Grand Sud, le risque est grand que l’on se retrouve avec un éléphant blanc, à l’instar de l’aéroport international de Mirabel dans la région de Montréal, construit à un coût dépassant le milliard de dollars (énorme pour l’époque) sur la base de raisons plus politiques qu’économiques au milieu des années 70, devenu un cauchemar pour le Premier ministre canadien, le Grand Pierre Eliott Trudeau, aéroport qui n’a jamais décollé jusqu’à sa mise au rancart pratiquement à la fin des années 90. C’est le projet de développement régional du Grand Sud qui justifiera in fine le projet d’aéroport international Antoine Simon des Cayes. L’inverse, c’est-à-dire aéroport sans projet de développement régional, nous emmènera, au pire, vers une aventure coûteuse qui gaspillera les ressources déjà rares du pays, au mieux, vers quelque chose de bancal qui ne dira son nom qu’après coup, mais apparenté certainement au mal développement auquel nous sommes habitués en Haïti. Le projet d’aéroport international des Cayes vu dans un projet plus grand de développement régional du Grand Sud. Ce projet plus grand de développement régional doit être défini, puisqu’il n’existe pas. Il ne sera pas défini de façon “top down”, c’est-à-dire imposé par le centre Port-au-Prince, mais de façon “bottom up”, c’est-à-dire défini par les grands acteurs sociaux, économiques et politiques du GRAND SUD (Nippes + Sud + Grand’Anse), pour s’imposer au gouvernement central. Ces acteurs, regroupés au sein d’une structure de développement régional, telle une agence de développement économique régional du Grand Sud: i) seront ainsi au coeur de la planification de l’aménagement du territoire et de la transformation du Grand Sud en territoire actif ; ii) orienteront, de ce fait, les investissements dans les infrastructures d’appui au développement de réseaux d’équipements nécessaires à la région ; iii) animeront le dialogue social, la concertation et la participation de la population sur les enjeux, défis, initiatives et questions liés au développement régional du Grand Sud, à l’investissement et à la croissance ; iv) seront impliqués dans la promotion active des potentialités de la région, la promotion de mesures incitatives spécifiques dans le Code des investissements pour le Grand Sud, la facilitation des investissements, l’accueil des investisseurs, et la promotion des exportations ; v) animeront des cercles d’interaction, d’échanges d’information autour du développement de secteurs économiques spécifiques ; vi) bref, mobiliseront les partenaires socio-économiques, l’État central, les pouvoirs locaux, le secteur privé des affaires, le secteur de l’économie sociale et solidaire, dans une véritable stratégie (un véritable complot) pour le développement régional, l’investissement et la croissance du Grand Sud, en vue de créer les conditions nécessaires à l’investissement pouvant générer des dizaines de milliers d’emplois nécessaires pour absorber les jeunes arrivant sur le marché du travail régional. Le Projet d’aéroport international des Cayes peut être vu comme devant permettre la mise en oeuvre d’un projet intégré fédérateur dans la région, intitulé « La Porte du Grand Sud », susceptible de drainer des investissements majeurs dans les infrastructures, le tourisme, l’agriculture, l’agro-industrie. La construction de l’aéroport international des Cayes serait comme la locomotive. Cet aéroport serait associé : • à l’autoroute Cayes -Jérémie en construction ; • au programme d’assainissement des villes Cayes, Jérémie et Miragoâne ; • au développement de la route Cayes – Port-Salut – Côteaux – Port-à-Piment – les Anglais, et son prolongement pour contourner Tiburon, traverser Dame Marie, et rejoindre Jérémie par l’ouest ; • au prolongement de la route des Nippes à partir de Miragoâne pour faire la percée de la presqu’île des Baradères pour rejoindre Jérémie par l’est ; • au développement d’autres routes secondaires qui traversera la presqu’île du Sud pour relier le département du Sud au département des Nippes à partir d’Aquin ; • à la réhabilitation du wharf de Miragoâne, avec des dizaines de milliers de mètres carrés d’espace d’entreposage et d’équipements pour la manipulation de « containers », ce qui confirmerait le rôle de la métropole des Nippes comme centre import – export ; • à la concrétisation du Projet « Port du Sud » à Saint-Louis du Sud ; • à l’érection du wharf de Jérémie qui deviendrait une tête de pont régionale du cabotage et un centre majeur de collecte de produits agricoles de la région pour distribution vers divers marchés du pays ; • à l’attribution de concession de zones touristiques ; • à la dissémination de marinas dans toute la presqu’île du sud, de Corail, en passant par Pestel, les îles Cayemites, Port-Salut, île-à-Vache, St-Louis du Sud, etc., qui sera associée au développement immobilier de luxe (condos, habitations de luxe) par des étrangers et des Haïtiens de la diaspora (notamment les professionnels retraités) ; • au développement de la navigation maritime de plaisance ; • au développement de la pêche par le renforcement des organisations de pêcheurs, leur capitalisation (équipements, bateaux, chambres froides), renforcement des circuits de commercialisation ; • à la mise en oeuvre d’un vigoureux programme de renforcement et de développement de l’offre agricole et agro-industrielle exportable du GRAND SUD, couvrant les départements du Sud, de la Grand’Anse et des Nippes. En conclusion, nous reconnaissons que cet aéroport international peut impulser le développement du Grand Sud, par la mise en valeur des potentialités touristiques (les sites naturels parmi les plus beaux d’Haïti, grottes et nombreuses plages du Sud et de la Grand’Anse et des Nippes), éco-touristiques, agricoles et agro-industrielles. Il déclenchera des mouvements de fond porteurs de grands changements pour le Grand Sud, pour peu qu’il soit pensé et intégré dans un projet qui fédère les forces vives de cette région, qu’on instaure un véritable partenariat au développement régional du Grand Sud, fondé sur la mobilisation des capacités privées pour la valorisation des potentialités naturelles et stratégiques de cette grande région du pays, que l’État améliore et systématise l’environnement économique, institutionnel et administratif dans lequel opèrent les entreprises, et qu’on évite le piège irrésistible de décider de tout à partir de Port-au-Prince.

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