LA DÉMOCRATIE ET LES INTÉRÊTS SUPÉRIEURS DU PEUPLE HAÏTIEN SONT BAFOUÉS

Pourtant, ce scrutin, quelle que soit son issue finale, est porteur d’instabilité politique en Haïti. En effet, pour la première fois dans l’histoire de ce pays (Un miracle est toujours possible !), l’on risque d’expérimenter une cohabitation politique, avec Mirlande Manigat comme éventuelle présidente et Jude Célestin comme probable premier ministre. Tout indique que la prochaine législature sera dominée par le Parti Unité de Jude Célestin lequel dispose d’un candidat dans chaque circonscription électorale pour les législatives. La cohabitation politique envisagée ci-dessus constituerait en soi une marmite explosive, en raison de l’incivisme avéré, du déficit de convivialité politique et de la myopie de l’élite politique et créole haïtienne. Ajoutez-y l’illégitimité et l’inconstitutionnalité des arbitrages du conseil électoral provisoire, et vous avez la recette pour le retour au brigandage politique et, par ricochet, pour un enlisement de la Minustah en Haïti. En essayant de faire avaler au peuple haïtien, une pilule “démoligarchique” dissimulée dans une fausse capsule démocratique, l’OEA et la Minustah auront réarmé la grenade politique haïtienne. En découlera-t-il l’ivoirisation d’Haïti ? L’on ne peut écarter une telle hypothèse.

En cautionnant un processus “démoligarchique” pour éviter de perdre la face en Haïti et laisser planer l’illusion d’un quelconque progrès dans ce pays depuis 2005, la Minustah ne se dirige-t-elle pas vers son Waterloo dans le bourbier haïtien ? N’aurait-elle pas mieux investi ses énergies en rééditant l’expérience des grands travaux d’infrastructures et de modernisation vécue sous l’occupation américaine mais sans la brutalité et la rudesse d’une telle occupation ? Au lieu de cela, la Minustah a préféré s’arrimer sur l’oligarchie créole haïtienne ; au risque de se faire suspecter d’être à l’origine du choléra en Haïti et, in fine, de cautionner tambour battant, la mise en œuvre de la démoligarchie prévalienne. Et ceci, sans se réaliser qu’après le séisme du 12 janvier, une nouvelle Haïti a émergé, plus complexe, avec une nouvelle géographie sociale plus compliquée et plus fracturée. En effet, une géographie quadridimensionnelle s’est substituée à l’espace social bi puis tridimensionnel qui fut celui d’Haïti. À la bipolarité traditionnelle “ville”, “campagne”, il y a eu depuis 1986, les bidonvilles d’Aristide et en deçà des bidonvilles, il y a désormais les camps de sinistrés avec leurs angoisses, humiliations, agressions et désespoirs. Fas à Fas de Wyclef Jean incarnait l’espoir pour les jeunes des bidonvilles et les sinistrés des camps de la capitale et Fami Lavalas de Jean-Bertrand Aristide, leur salut social. Pourtant, les deux ont été sacrifiés sur l’autel “démoligarchique” que demeure le scrutin du 28 novembre. La démocratie et les intérêts supérieurs du peuple haïtien sont encore terriblement bafoués et ce, avec la complicité de ceux mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU pour les protéger. Sur ce plan, la Minustah semble désormais faire plus partie du problème haïtien que de sa solution.

C’est au nom d’une éthique de la solidarité et de la dignité humaine que la Minustah aurait du prioriser le retour au seuil de l’humain pour plus d’un million d’individus abandonnés dans des camps de fortune et insalubres ainsi que pour les deux millions de pauvres tapissés dans les nouveaux bantoustans que sont les bidonvilles de Port-au-Prince. Que d’excès onusiens pour si peu de résultats concrets depuis 2005 pour ces millions de déshérités. Le bilan du Canada n’est guère mieux en Haïti. Pourtant, nous continuons, à l’instar de l’ONU, à y rééditer les mêmes erreurs. Erreur de lecture, erreur d’appréciation, erreur de diagnostic, erreur de prescriptions, y compris en matière de soins palliatifs. Les élections du 28 novembre ne sont qu’un éloquent exemple de ces erreurs historiques.

Wilson Saintelmy, expert en gouvernance et doctorant en droit à l’UQAM

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