La démocratie capturée !

par Daly Valet

Le Matin

12-10-2010

Il semble que les élites politiques haïtiennes et leurs parrains internationaux ne se contentent pas de faire, des élections en Haïti, des attrape-nigauds. Des pièges à cons, quoi ! Depuis la mauvaise farce électorale du dimanche 28 novembre, ils ne se gênent pas d’inscrire ouvertement leur jeu dans les registres classiques du théâtre de l’absurde. Sauf le génie du vrai comédien leur manque. Ils sont en ordre de marche, qui en suppôts du statu quo inique, qui en crypto-autocrates nihilistes, qui en marchands d’illusions démocratiques, qui en populistes embusqués, qui en fauteurs de rébellion et d’anarchie populacières, s’imaginant tous pouvoir se transformer en grands électeurs, décideurs ultimes du leadership politique du pays. La souveraineté populaire, le suffrage universel direct, le verdict des urnes? Des fictions oratoires sur du papier chiffonné. La vérité des urnes ne compte pas. La force et la ruse sont la condition de tout. De l’international aux nationaux, chacun manœuvre pour imposer sa propre vérité politique en fonction d’agendas catégoriels non citoyens. Ils complotent. Ils parlementent. Ils mentent. Ils font chanter et déchanter. Ils embobinent. Ils manipulent. Ils magouillent. Ils corrompent. Ils menacent. Ils déstabilisent. Les plus terre-à-terre d’entre-nous vont jusqu’à tuer. Froidement. Pour des plats de lentille. En pleine rue. Sur les places publiques. Au Champs-de-Mars, jeudi 9 décembre: opérations punitives. C’était l’horreur d’exécutions sommaires d’innocentes personnes. En plein jour. Leur crime? Le simple fait d’avoir été là. Là, sur la route d’assassins sur commande. Là, dans l’aire révoltée de ceux qui ont osé dire non. Cruauté impitoyable autorisée? Drôle de pays.

La rue des rouleaux compresseurs survoltés s’en est effectivement mêlée. Au nom de son vote volé, détourné, empêché et piraté. La perception bicentenaire de la spoliation et de la dépossession continues fait sombrer dans l’irrationnel. Avec une violence indicible. La même furie coutumière. La même envie tantôt dormante, tantôt active et impatiente d’en découdre avec nos oligarchies. Sur le mode de la table rase. Aux Cayes, les symboles matériels du pouvoir d’état spoliateur ont tous été réduits à l’état de cendres. La politique de la terre brûlée dans ses beaux jours. L’apparente stabilité politique dont se prévalaient les forces de tutelle a vécu. Si elle a volé en éclats l’espace d’un scrutin, c’est qu’elle reposait sur des bases très incertaines, dopées par des injections et des ingérences politiques extérieures non compatibles avec le principe d’une démocratisation endogène assumée et voulue par les acteurs locaux. La greffe électorale imposée à marches forcées sur l’écorce sociopolitique disloquée d’Haïti n’a pu prendre ni corps ni racine.

De tels implants démocratiques artificiels auront toujours du mal à résister aux tours de passe-passe des prestidigitateurs coriaces et assoiffés de pouvoir de la gent politicienne d’ici. De celles qui manipulent les leviers du pouvoir d’État aux trublions qui occupent les avant-postes de l’agitation et de la contestation permanentes, nos élites ne sont manifestement pas à la hauteur des nombreux défis qu’Haïti devra nécessairement relever. Les tactiques sous forme de retournements de casaques de certains des candidats témoignent du peu d’attachements de nos politiques aux normes de la modernité démocratique. Ils semblent nous dire dans leur inconsistance imparable: « pourvu que je sorte personnellement gagnant de la mascarade électorale, tout est mal mais qui finit bien pour moi». Un reflexe carnassier de chen manje chen qui rend hypothétique toute stratégie unitaire et collective de sortie de crise.

Le pays vit à l’heure des grandes commotions politiques et sociales. Le chambardement de la « Pax Onusia » est dû, en partie, aux travers de la classe politique, mais surtout à cette communauté internationale, certes généreuse, mais inepte et maladroite dans sa gestion des affaires haïtiennes. Il est notamment dû à la caution coupable, sous forme de laisser-faire, que la jet-set internationale ayant pignon sur rue en Haïti a donnée à l’aveuglement intimidant d’un pouvoir aux ambitions dynastiques, et aux orientations autoritaires du CEP tout au long du processus électoral. Ils croyaient définies et assurées la zombification des masses nécessiteuses haïtiennes, leur désubstantialisation dans la déshumanisation. Dans leur griserie, ils n’ont pas vu venir cette poussée contestaire d’un électorat populaire aux aguets ni ce nouvel avatar du populisme traditionnel haïtien. Ils sont même aujourd’hui devenus très divisés sur les moyens de sortir du guêpier dans lequel ils se sont fourrés. Certaines des options envisagées vont jusqu’à mettre face-à-face les alliés d’hier, complices du coup du 28 novembre.

Le président Préval et sa plateforme Inite tiennent à leur Jude Célestin dans quelle que soit la solution de sortie de crise retenue. L’Onu privilégierait le retrait de Jude Célestin de la course. Washington opterait pour un recomptage intégral par bureaux de vote sous supervision internationale. L’OEA, les Latino-Américains, le Brésil en tête, pencheraient pour un deuxième tour à trois avec Mirande Manigat, Jude Célestin et Michel Martelly. Le Canada opterait à la fois officiellement pour le recomptage et officieusement pour de nouvelles élections sous le leadership d’un gouvernement intérimaire. Le Vatican, la Conférence épiscopale haïtienne et d’autres secteurs de la société civile haïtienne favoriseraient la solution d’un nouveau tour unique avec les 19 candidats agréés, mais sans Gaillot Dorsainvil ni Pierre-Louis Opont au CEP.

Un véritable imbroglio sans issue apparente. Pour se donner une apparence de cohésion, l’international parait s’aligner en bloc pour le moment sur l’option américaine du recomptage, de la vérification des listes électorales et de la contestation légale des résultats préliminaires auprès des instances électorales compétentes, si l’on en juge par la note officielle conjointe en date du dimanche 12 décembre des ambassadeurs accrédités en Haïti. Mais peuvent-ils encore sauver leur bébé d’élection, cette élection décriée de toutes parts qu’ils avaient voulue et obtenue avec M. Préval par la force et sans ménagement pour les nationaux précautionneux? En demandant contre toute attente aux « acteurs concernés » de participer à l’établissement de la « Commission Spéciale de Vérification » proposée par l’actuel CEP, ces acteurs étrangers influents viennent davantage brouiller le jeu et compliquer les initiatives proprement haïtiennes. D’autant que deux des vrais concernés, Mirlande Manigat et Michel Martelly, avaient déjà vertement combattu la veille, l’un l‘opportunité du recomptage, et l’autre l’idée même de vérification sous le leadership d’un CEP discrédité, prêt à avaliser, à ses yeux, « des procès-verbaux trafiqués au profit du candidat du pouvoir ». La question est de savoir si, dans la perspective d’une solution consensuelle, ces deux candidats sauront faire front commun avec d’autres face au bloc constitué par l’international. Vont-ils à nouveau faire volte-face et se dédire sous la pression croisée et tenace des ambassades et d’acteurs haïtiens incontournables?

La vraie solution, à tout bien considérer, parait de plus en plus dépendre de figures politiques haïtiennes hors du commun et de partenaires internationaux intelligents. Le tragique, c’est qu’il nous manque tout ce qu’il nous faudrait de leadership local et d’accompagnement international dans la présente conjoncture. Entre-temps, la marmite des contestations électorales radicales, couplées aux revendications et attentes sociales des masses demeurées particulièrement ignorées sous l’actuelle administration politique, continue de bouillir pour créer une atmosphère explosive dans le pays. Et, avec elle, un climat de fin de règne chaotique pour la génération politique Aristide-Préval. Reste à réapprendre aux Haïtiens que la démocratie leur est encore accessible. Et que leur vote peut encore compter et s’imposer aux pouvoirs présents et à venir.

D.V.

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1 thought on “La démocratie capturée !

  1. Merci, Daly Valet.
    Mwen pa p janm bliye w.Merci pou bel kout plim sa a. Merci beaucoup, youn nan Ayisyen konsekan yo.
    Mon che se avek konstenasyon ke lemond antye ap apresye nan vale reyel li, degre kriminalite, malveyans,awogans,santiman rasis moun yo pou pep Ayisyen an. Anverite, figi yo sanble kretyen vivan, men anreyalite,se Lisife moun yo ye.

    Mon che, sete konsa, nan Syel la, akoz, Lisife te kwe ke l te pi bel pase tout kreyati Bondye yo, rive yon le, li te menm vle pran plas Bondye.Ebyen, se egzakteman sa k ap pase ann Ayiti la a. Kidonk, jodi a nou dekouvri pou kisa, moun yo ba nou retou 1994 la.Se pa t pou retou alod demokratik, sete pou yomenm te vinn prann renn pouvwa peyi dAyiti, pou vin enplante pwop biznis pa yo.

    Sepandan, se regretan pou nou we koman. Ayisyen tret yo ap navige nan lajan sal sou do ti pep la ki pa t konprann anyen. Nou di Bondye mesi tou, paske, omwen nou we e nou santi ke inyorans la komanse ap disipe, epi kek moun komanse pran pozisyon pou kwaze bye yo devan kriminel yo pou di yo, setase!Nou bouke!Nou konprann!

    Se egzakteman sa k rive nan reyinyon malatyong kamouflaj la nan peyi Sendomeng sou do pep Ayisyen an. Mouche Patterson pete kalbas koken yo, Komisyon Ayisyen an komanse ranmase karakte li, epi lobey la pete tout bon vre. Tout, nou dwe di Bondye mesi deske Sarah Palin te vizite Ayiti wikenn pase a. Nou met rete tann plis bagay toujou, paske, Washungton komanse vire tet anba nan dosye Ayiti a. Moun yo pran nan pelin Sarah Palin an. Yo mele.Demokrat yo nan ka.Eleksyon 2012 la nan pasaj.

    Pep Ayisyen, si nou fe yon ti peze tout swit sou pedal la, tren Liberasyon an pral demare epi epi epi Viktwa final la pral chita nan menm nou. Pap okipe okenn diplomat ki pa maton k ap charabya.Nou pral monte devan tribinal entenasyonl avek yo pou nou konnen kiyes ki anpache pou lapolis pa arete tout vwayou ki enplike nan krim elektoral 28 Novanm 2010 yo ann Ayiti.

    Kenbe la , pa lage. Ansanm nou fo!

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