Haïti est la preuve de l’échec de l’aide internationale

Decembre 20, 2010
Arnaud Roberts
Le Temps

Les ambassadeurs américains et français en fin de mission en Haïti nous avaient habitués au coup de pied de l’âne en guise d’au revoir. Dans un grand discours lors de leur réception d’adieu, ils trouvaient toujours une façon de nous dire en face les quatre vérités gardées par devers eux le temps qu’ils étaient en mission diplomatique dans le pays.
Cette fois encore, c’est un diplomate qui s’en va, Ricardo Seitenfus, représentant depuis deux ans de l’OEA en Haïti. Il fait, dans un entretien accordé à Arnaud Robert du journal suisse Le Temps, le procès en règle de l’aide internationale à Haïti. De l’ONU et de tout le reste.
A lire Ricardo Seitenfus, nous ne sommes pas les coupables, mais les victimes.
D’un rôle à l’autre, coupables ou victimes, cela ne nous va pas mieux, même s’il est bon de lire cette accusation venue de ceux qui nous aident contre ceux qui nous aident.
Seitenfus, Le Nouvelliste l’avait rencontré. Il était venu nous voir en nos bureaux. Il nous avait rassurés sur le processus d’émission des fameuses cartes d’identification nationale, éléments indispensables du processus électoral qui ont tant fait défaut le 28 novembre et ont constitué le premier impair des élections ce jour-là. L’Organisation des Etats américains (OEA) avait la responsabilité conjointement avec l’Office national d’Identification (ONI), de faire de leur disponibilité ne réussite.
L’entretien de Seintefus est instructif, mais qui va le lire ? Nous, pour nous donner bonne conscience ou ceux qui, ici et ailleurs, instrumentent notre avenir et font le lit de nos échecs ?
L’intégralité de l’interview ci-après.

Haïti: Le Temps : Dix mille Casques bleus en Haïti. A votre sens, une présence contre-productive…

Ricardo Seitenfus: Le système de prévention des litiges dans le cadre du système onusien n’est pas adapté au contexte haïtien. Haïti n’est pas une menace internationale. Nous ne sommes pas en situation de guerre civile. Haïti n’est ni l’Irak ni l’Afghanistan. Et pourtant le Conseil de sécurité, puisqu’il manque d’alternative, a imposé des Casques bleus depuis 2004, après le départ du président Aristide. Depuis 1990, nous en sommes ici à notre huitième mission onusienne. Haïti vit depuis 1986 et le départ de Jean-Claude Duvalier ce que j’appelle un conflit de basse intensité. Nous sommes confrontés à des luttes pour le pouvoir entre des acteurs politiques qui ne respectent pas le jeu démocratique. Mais il me semble qu’Haïti, sur la scène internationale, paie essentiellement sa grande proximité avec les Etats-Unis. Haïti a été l’objet d’une attention négative de la part du système international. Il s’agissait pour l’ONU de geler le pouvoir et de transformer les Haïtiens en prisonniers de leur propre île. L’angoisse des boat people explique pour beaucoup les décisions de l’international vis-à-vis d’Haïti. On veut à tout prix qu’ils restent chez eux.

– Qu’est-ce qui empêche la normalisation du cas haïtien?

– Pendant deux cents ans, la présence de troupes étrangères a alterné avec celle de dictateurs. C’est la force qui définit les relations internationales avec Haïti et jamais le dialogue. Le péché originel d’Haïti, sur la scène mondiale, c’est sa libération. Les Haïtiens commettent l’inacceptable en 1804: un crime de lèse-majesté pour un monde inquiet. L’Occident est alors un monde colonialiste, esclavagiste et raciste qui base sa richesse sur l’exploitation des terres conquises. Donc, le modèle révolutionnaire haïtien fait peur aux grandes puissances. Les Etats-Unis ne reconnaissent l’indépendance d’Haïti qu’en 1865. Et la France exige le paiement d’une rançon pour accepter cette libération. Dès le départ, l’indépendance est compromise et le développement du pays entravé. Le monde n’a jamais su comment traiter Haïti, alors il a fini par l’ignorer. Ont commencé deux cents ans de solitude sur la scène internationale. Aujourd’hui, l’ONU applique aveuglément le chapitre 7 de sa charte, elle déploie ses troupes pour imposer son opération de paix. On ne résout rien, on empire. On veut faire d’Haïti un pays capitaliste, une plate-forme d’exportation pour le marché américain, c’est absurde. Haïti doit revenir à ce qu’il est, c’est-à-dire un pays essentiellement agricole encore fondamentalement imprégné de droit coutumier. Le pays est sans cesse décrit sous l’angle de sa violence. Mais, sans Etat, le niveau de violence n’atteint pourtant qu’une fraction de celle des pays d’Amérique latine. Il existe des éléments dans cette société qui ont pu empêcher que la violence se répande sans mesure.

– N’est-ce pas une démission de voir en Haïti une nation inassimilable, dont le seul horizon est le retour à des valeurs traditionnelles?

– Il existe une partie d’Haïti qui est moderne, urbaine et tournée vers l’étranger. On estime à 4 millions le nombre de Haïtiens qui vivent en dehors de leurs frontières. C’est un pays ouvert au monde. Je ne rêve pas d’un retour au XVIe siècle, à une société agraire. Mais Haïti vit sous l’influence de l’international, des ONG, de la charité universelle. Plus de 90% du système éducatif et de la santé sont en mains privées. Le pays ne dispose pas de ressources publiques pour pouvoir faire fonctionner d’une manière minimale un système étatique. L’ONU échoue à tenir compte des traits culturels. Résumer Haïti à une opération de paix, c’est faire l’économie des véritables défis qui se présentent au pays. Le problème est socio-économique. Quand le taux de chômage atteint 80%, il est insupportable de déployer une mission de stabilisation. Il n’y a rien à stabiliser et tout à bâtir.

– Haïti est un des pays les plus aidés du monde et pourtant la situation n’a fait que se détériorer depuis vingt-cinq ans. Pourquoi? Continuer >

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– L’aide d’urgence est efficace. Mais lorsqu’elle devient structurelle, lorsqu’elle se substitue à l’Etat dans toutes ses missions, on aboutit à une déresponsabilisation collective. S’il existe une preuve de l’échec de l’aide internationale, c’est Haïti. Le pays en est devenu la Mecque. Le séisme du 12 janvier, puis l’épidémie de choléra ne font qu’accentuer ce phénomène. La communauté internationale a le sentiment de devoir refaire chaque jour ce qu’elle a terminé la veille. La fatigue d’Haïti commence à poindre. Cette petite nation doit surprendre la conscience universelle avec des catastrophes de plus en plus énormes. J’avais l’espoir que, dans la détresse du 12 janvier, le monde allait comprendre qu’il avait fait fausse route avec Haïti. Malheureusement, on a renforcé la même politique. Au lieu de faire un bilan, on a envoyé davantage de soldats. Il faut construire des routes, élever des barrages, participer à l’organisation de l’Etat, au système judiciaire. L’ONU dit qu’elle n’a pas de mandat pour cela. Son mandat en Haïti, c’est de maintenir la paix du cimetière.

– Quel rôle jouent les ONG dans cette faillite?

– A partir du séisme, Haïti est devenu un carrefour incontournable. Pour les ONG transnationales, Haïti s’est transformé en un lieu de passage forcé. Je dirais même pire que cela: de formation professionnelle. L’âge des coopérants qui sont arrivés après le séisme est très bas; ils débarquent en Haïti sans aucune expérience. Et Haïti, je peux vous le dire, ne convient pas aux amateurs. Après le 12 janvier, à cause du recrutement massif, la qualité professionnelle a beaucoup baissé. Il existe une relation maléfique ou perverse entre la force des ONG et la faiblesse de l’Etat haïtien. Certaines ONG n’existent qu’à cause du malheur haïtien.

– Quelles erreurs ont été commises après le séisme?

– Face à l’importation massive de biens de consommation pour nourrir les sans-abri, la situation de l’agriculture haïtienne s’est encore péjorée. Le pays offre un champ libre à toutes les expériences humanitaires. Il est inacceptable du point de vue moral de considérer Haïti comme un laboratoire. La reconstruction d’Haïti et la promesse que nous faisons miroiter de 11 milliards de dollars attisent les convoitises. Il semble qu’une foule de gens viennent en Haïti, non pas pour Haïti, mais pour faire des affaires. Pour moi qui suis Américain, c’est une honte, une offense à notre conscience. Un exemple: celui des médecins haïtiens que Cuba forme. Plus de 500 ont été instruits à La Havane. Près de la moitié d’entre eux, alors qu’ils devraient être en Haïti, travaillent aujourd’hui aux Etats-Unis, au Canada ou en France. La révolution cubaine est en train de financer la formation de ressources humaines pour ses voisins capitalistes…

– On décrit sans cesse Haïti comme la marge du monde, vous ressentez plutôt le pays comme un concentré de notre monde contemporain…

– C’est le concentré de nos drames et des échecs de la solidarité internationale. Nous ne sommes pas à la hauteur du défi. La presse mondiale vient en Haïti et décrit le chaos. La réaction de l’opinion publique ne se fait pas attendre. Pour elle, Haïti est un des pires pays du monde. Il faut aller vers la culture haïtienne, il faut aller vers le terroir. Je crois qu’il y a trop de médecins au chevet du malade et la majorité de ces médecins sont des économistes. Or, en Haïti, il faut des anthropologues, des sociologues, des historiens, des politologues et même des théologiens. Haïti est trop complexe pour des gens qui sont pressés; les coopérants sont pressés. Personne ne prend le temps ni n’a le goût de tenter de comprendre ce que je pourrais appeler l’âme haïtienne. Les Haïtiens l’ont bien saisi, qui nous considèrent, nous la communauté internationale, comme une vache à traire. Ils veulent tirer profit de cette présence et ils le font avec une maestria extraordinaire. Si les Haïtiens nous considèrent seulement par l’argent que nous apportons, c’est parce que nous nous sommes présentés comme cela.

– Au-delà du constat d’échec, quelles solutions proposez-vous?

– Dans deux mois, j’aurai terminé une mission de deux ans en Haïti. Pour rester ici, et ne pas être terrassé par ce que je vois, j’ai dû me créer un certain nombre de défenses psychologiques. Je voulais rester une voix indépendante malgré le poids de l’organisation que je représente. J’ai tenu parce que je voulais exprimer mes doutes profonds et dire au monde que cela suffit. Cela suffit de jouer avec Haïti. Le 12 janvier m’a appris qu’il existe un potentiel de solidarité extraordinaire dans le monde. Même s’il ne faut pas oublier que, dans les premiers jours, ce sont les Haïtiens tout seuls, les mains nues, qui ont tenté de sauver leurs proches. La compassion a été très importante dans l’urgence. Mais la charité ne peut pas être le moteur des relations internationales. Ce sont l’autonomie, la souveraineté, le commerce équitable, le respect d’autrui qui devraient l’être. Nous devons penser simultanément à offrir des opportunités d’exportation pour Haïti

Diplômé de l’Institut de hautes études internationales de Genève, le Brésilien Ricardo Seitenfus a 62 ans. Depuis 2008, il représente l’Organisation des Etats américains en Haïti.

Arnaud Robert
Le Temps
lundi20 décembre 2010

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1 thought on “Haïti est la preuve de l’échec de l’aide internationale

  1. Ce que M. Ricardo Seitenfus a analysé de par son observation la macabre réalité durant son affectation, en Haîti, comme représentant de l’OEA.Cela ne saurait une nouvelle pour le peuple haitien qui est bien imbu des sourses de ses souffrances.
    La surprise vient du côté des représentants du capitalisme. En voilà un qui déroge en se laissant ouvrir son coeur sur les problèmes récurents depuis quatre vingt quinze ans surtout avec l’arrivée des yankees en 1915.
    J’ai toujours cru que la démocatie ne devrait pas l’oeuvre des pays étrangers. Pour y parvenir, li faudrait foncément implanter un programme éducatif rigoureux et un projet de formation professionnelle diversifié pouvant mener à de meilleurs horizons.
    A quel prix cette démocracie imposée! Les parasites sont là en vu de nous exploiter jusqu’à l’extrême limite. Haîti est un échec total sur tous les plans pour le monde occidental en particulier les États Unis d’Amérique.
    Aujourd’hui, le peuple haitien est à un carrefour oû il doit se resaisir pour reconquerir son pays à travers une réelle révolution au bénéfice de tous. La récréation a trop durée, car ces petits fils de colons n’ont qu’un objectif: la destabilisation du reste du monde en vue d’imposer leur puissance et leur suprématie.
    Alors, suivant le principe du corps, M. Seitenfus ne comprend
    pas les règles du jeu ces pays néo-coloniaux et qui établissent des institutions(ONU, BANQUE MONDIALE, BID, OTAN), garantissant leurs intérêts sans tenir compte du dévoloppement du tiers monde.
    Le peuple haitien n’a pas doit à l’erreur cette fois-ci afin que “L’ÉPOPÉE DE 1804” ne soit pas vaine.

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