CRISE AU SEIN DE L’ÉTAT : LA PRÉSIDENCE PROVISOIRE EST MAL PARTIE

Depuis l’investiture du président provisoire, Jocelerme Privert, le 14 février, une situation de tension règne au sommet du pouvoir exécutif. Le discours de Jocelerme Privert le 7 février, lors président de l’Assemblée nationale, avait une allure on ne peut plus cavalière et annonçait les couleurs de la confrontation. Dans la cour du Palais national, le jour de l’investiture, le Premier Ministre Evans Paul, ainsi que les membres de son gouvernement, ne reçurent pas l’accueil protocolaire dû à leur rang.

Ramenons-nous à la date du 2 mars 2016 où le président provisoire a tenu des propos qui, par la suite, ont été contredits tant par des déclarations que par des actes. Ce 2 mars, Monsieur Privert avait admis que le gouvernement sortant, y compris le Premier Ministre, doit rester en place pour la gestion des affaires courantes jusqu’à l’installation d’un nouveau gouvernement. Il a été jusqu’à reconnaitre qu’aux termes de la Constitution haïtienne, il existe bien une différence entre un gouvernement investi et un gouvernement installé. Tandis que l’investiture peut précéder la ratification, par le Parlement, de la politique générale du Premier Ministre, en aucun cas il ne peut se faire qu’un gouvernement soit installé sans recevoir l’onction parlementaire. Il est bien entendu que l’investiture se fait au Palais National par le Président de la République, alors que l’installation s’effectue au poste de travail de l’intéressé, en l’occurrence la Primature, et inaugure son entrée en fonction. En tout état de cause, seul un gouvernement installé peut entrer en fonction. Donc, le Premier Ministre nommé et investi n’est pas encore en fonction.

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L’investiture de Monsieur Fritz Alphonse Jean n’en fait pas un Premier Ministre actif. Et comme le pays ne peut pas souffrir de vacuité institutionnelle, il va de soi que Monsieur Evans Paul et son gouvernement doivent rester en poste. La question de vacuité institutionnelle n’est pas une simple coquetterie. Car elle implique que l’administration de l’État doit continuer à fonctionner sans interruption. Tout décaissement de fonds nécessite la signature du titulaire d’un ministère en tant qu’ordonnateur des dépenses. Et celles-ci se font sur une base quotidienne et au gré des besoins. De la sorte, ni le Premier Ministre, ni aucun ministre du gouvernement sortant ne peut se payer le luxe de tourner le dos aux responsabilités que lui imposent ses fonctions – même finissantes.

Lorsqu’il a affirmé ne pas reconnaitre monsieur Evans Paul comme Premier Ministre, le président Privert n’a pas fait que se contredire, mais a malheureusement décrété le blocage de l’administration publique in extenso. Car, cette non-reconnaissance ne concerne pas que Monsieur Paul mais tout le gouvernement dont il est le chef ; et ce, au nom du principe de solidarité gouvernementale.

Même dans l’hypothèse d’une démission formelle de Monsieur Paul, l’article 165 de la Constitution de 1987 amendé prévoit que le gouvernement, sous sa houlette, doit continuer à expédier les affaires courantes. Dans l’éventualité d’une «incapacité permanente dûment constatée du Premier Ministre ou de son retrait du poste pour raisons personnelles, le président choisit un Premier ministre intérimaire parmi les membres du cabinet ministériel».

A la lumière de ce qui précède, même si le gouvernement devait fonctionner sans Monsieur Paul, il ne saurait toutefois pas se retrouver sous le leadership d’un Premier Ministre simplement investi. A la démission du Premier Ministre Laurent Lamothe en décembre 2014, la ministre de la Santé publique, Madame Florence Duperval Guillaume, a dû le remplacer ad interim, conformément à l’article 165 suscité.

L’on comprend donc mal que le président Privert, faisant face au blocage de l’appareil étatique du fait de l’abstention du gouvernement, ait instruit les ministres de regagner leur poste à l’exclusion du Premier d’entre eux. Ceci n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la Charte fondamentale de la Nation.

Les écarts du président provisoire ne se limitent pas hélas ! aux contradictions ci-dessus rapportées, mais s’étendent à des prises de décisions du moins irrégulières, sinon illégales. Est-il dans les attributions d’un Secrétaire Général de la Présidence d’ordonner à un ministre de l’Économie et des Finances le décaissement de fonds, fût-il pour répondre à une situation d’urgence ? Est-il compréhensible que la Présidence ait directement recours à l’administration de la Banque Centrale, qui relève du ministère des Finances, pour atteindre ses objectifs de décaissements, suite aux fins de non-recevoir que ledit ministère a opposé à la requête présidentielle? Est-il normal que le président de la République ait décidé d’opérer des changements à la tête de l’institution policière sans consulter au préalable le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) ?

Dans le premier cas, le ministre des Finances a bien fait de mettre à nu l’illégalité d’une telle requête. Dans le second cas, l’initiative pourrait être perçue comme un acte d’instrumentalisation de la Police. Objectivement, cela ne peut que fragiliser cette institution qui au contraire demande à être renforcée.

Pour comble d’affaiblissement institutionnel, la Présidence s’est rabaissée à éconduire la fonction de Premier Ministre en la personne de Evans Paul. On en veut pour preuve que ce dernier a été sommé, en pleine réunion de travail avec ses ministres, de restituer toutes affaires cessantes ses véhicules de fonction. Dire que la Loi octroie à tout ancien Premier Ministre un traitement au diapason de la dignité de la fonction qu’il occupait. En outre, l’incident survenu au portail d’accès de la Résidence Officielle des Premiers Ministres est peu digne de la Présidence.

Pour rappel, une unité du Corps d’intervention et de maintien de l’ordre (CIMO) était postée devant la Résidence pour en interdire l’accès au Premier Ministre Paul. Pourquoi dépêcher le CIMO, alors qu’il n’y avait aucune nécessité à cet effet ? La Résidence officielle des Premiers Ministres sise à Musseau est normalement sécurisée par des policiers ordinaires en uniforme postés en point fixe dans les parages. Tant pour les véhicules que pour l’accès à la Résidence, la Présidence aurait pu jouer la carte du fair-play en accordant un préavis à monsieur Paul pour tout restituer.

Dans un climat politique de méfiance généralisée et de polarisation politique et idéologique, la présidence provisoire, en optant pour la confrontation, met à mal la recherche du consensus et du vivre-ensemble. Tous les faux pas faits, depuis le 7 février, par le Palais National ne sont pas de nature à rasséréner les citoyens qui veulent l’apaisement, le dialogue, les pourparlers autour de la table de négociations.

La Présidence semble délibérément avoir choisi de ne pas moucheter son fleuret dans ce combat pourtant amical. Est-ce une forme larvée de diversion visant à occulter des desseins inavouables et inavoués ? Quelle est l’économie de tout ça ? On ne le voit pas. S’il y a quelque chose pour lequel Evans Paul est connu, c’est sa propension au dialogue, sa modération, son discours apaisant, son entregent facile. On aurait pu capitaliser sur ces « vertus » pour une transition harmonieuse. Privert a choisi de ne pas le faire. On ne sait trop pourquoi. C’aurait été la voie la plus facile, la voie du consensus et de l’entente cordiale. L’affrontement est annonciateur du chaos, de l’anarchie.

Les immenses défis auxquels est confronté le pays auraient dû porter les élites politiques à faire l’économie de cette bataille inutile et insensée pour le contrôle du pouvoir. Elles auraient dû penser à entamer le dialogue sur les différentes visions et approches pouvant aider à sortir la République des ornières de la misère et du sous developpement.

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