Conille démissionne son gouvernement, reste en poste pour gérer les affaires courantes

La Nouvelliste:En vertu de l’article 155 de la Constitution: “Le Gouvernement se compose du Premier ministre, des ministres et des secrétaires d’Etat. Le Premier ministre est le Chef de gouvernement” et selon l’article 165: “En cas de démission du Premier ministre, le Gouvernement reste en place jusqu’à la nomination de son successeur pour expédier les affaires courantes”, le gouvernement Conille a vécu. Les ministres entrent dans la période de la gestion des affaires courantes. Conille va rester en poste pour assurer la transition. Retour sur un mois de février agité.

Haïti: “Je reçois, depuis ce matin, des visites comme si je vivais un deuil. Ce n’est pas le cas”, lâche dans un rire Garry Conille, joint vendredi soir au téléphone par Le Nouvelliste.
“Je vais respecter la Constitution et gérer les affaires courantes en espérant que le président de la République et le Parlement se mettent vite d’accord sur le choix de mon successeur”, reprend-il très vite sur le ton sérieux qui a marqué son court passage aux affaires publiques.
“Je prépare déjà une feuille de route pour mon remplaçant”, assure celui qui a donné sa démission quelques heures plutôt. Le technocrate a perdu ce vendredi la bataille politique, mais pas son sens des responsabilités.

Un tweet et c’est fini

Tout a commencé par un tweet du compte personnel du président Michel Martelly @presidentmicky:#FF @GarryConille. Le message est énigmatique mais comme tout le monde s’attend à une évolution dans la crise ouverte entre le chef de l’exécutif et son Premier ministre, on essaie de le déchiffrer. Quelques minutes plus tard, un court article du Miami Herald confirme la nouvelle: Conille a rendu son tablier.
Dans une très brève déclaration faite dans la soirée depuis le palais national en absence de la presse, le président Martelly a confirmé la démission de son PM.

“Ce matin, le Premier ministre Garry Conille m’a présenté sa lettre de démission, je l’ai acceptée. Je profite pour le remercier de son engagement. Certes, je regrette que cette démission survienne dans un contexte où le pays démarre.”

Le président Martelly, qui a eu toutes les peines du monde pour faire voter le choix de Garry Conille après deux échecs, annonce avoir “déjà pris contact avec les présidents des deux Chambres”. “Nous avons pris l’engagement d’harmoniser nos efforts pour une sortie rapide de cette situation et pour que je propose un nouveau Premier ministre.”

Se voulant rassurant, le présidant appelle les “partenaires tant nationaux qu’étrangers qui veulent investir dans le pays et créer du travail (…) à garder leur sérénité. Toutes les dispositions ont été prises pour que l’Etat remplisse ses engagements vis-à-vis de la population.”

Conille, clap de sortie

Dans une courte lettre, Garry Conille avait ouvert la journée de ce vendredi 24 février 2012 avec sa sortie.
« Je me vois dans l’obligation de vous présenter ma démission comme Premier ministre du gouvernement de la République d’Haïti. Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’assurance de mes sentiments patriotiques. »
C’est en ces termes, sans plus ni moins, que Garry Conille a présenté sa démission au président Michel Martelly, ce vendredi 24 février, au palais national.
La lettre, dont copie conforme a été adressée aux présidents des deux Chambres, porte la date de ce 24 février ajoutée à la plume après la signature de la missive laissant croire que cette démission plusieurs fois annoncée attendait simplement son heure.
Le Bureau de communication de la présidence dans une note laconique, a informé que “le président de la République, Michel Joseph Martelly, a reçu ce matin la démission du Premier ministre, Docteur Garry Conille. ”
Garry Conille s’était retrouvé depuis quelques semaines en délicatesse avec le président Michel Martelly sur deux plans : celui des contrats de l’administration Bellerive qu’il voulait auditer et sur l’affaire dite de la nationalité du président Martelly et des ministres.
Sur ce dossier, Conille, qui a joué pieds et mains pour faire échec à une tentative d’interpellation du parlement, a été mis en minorité par ses propres ministres.
En effet, dans un premier temps, l’ensemble des ministres ont refusé de se soumettre à une demande d’une commission d’enquête du Sénat pour présenter leurs documents de voyage, puis ont signé une résolution allant à l’encontre du souhait du Premier ministre.
Dans un deuxième acte, les ministres, après que Conille eut présenté seul ses pièces au Sénat, ont décidé de remettre leurs passeports. Mais la coupe était déjà pleine.

Vendredi dernier, le président Martelly, assisté de tous les ministres, avait reçu les membres du Conseil de sécurité en visite d’inspection en Haïti. Le Premier ministre Conille les avait rencontrés seul en sa résidence. Pendant tout le week-end du carnaval, l’absence du Premier ministre aux Cayes était très remarquée.
Le troisième acte s’est joué ce jeudi. Les ministres se sont présentés au Parlement pour déposer leurs pièces, mais n’ont pas répondu à l’invitation du Premier ministre pour participer à un Conseil de gouvernement qui se devait se tenir à la primature, située à quelques pas du Parlement.
« Les ministres ont obéi au président Martelly pour ne pas se présenter devant le Parlement, puis ont obéi au président pour y aller. Conille était dans l’éther. Il était devenu un extraterrestre. Un gros cheveu sur la soupe. Il a préféré partir », assure un de ses derniers proches.
« On dira ce que l’on voudra, mais c’est cette affaire de contrats qui éclabousse tout le monde qui a eu raison de lui », pense ce collaborateur immédiat du Premier ministre démissionnaire.
Le mois de février a été néfaste pour le médecin, ancien haut fonctionnaire des Nations unies et nouveau venu sur la scène politique. Conille commence par se faire accusé de comploter contre le président qui débarque lors d’une réunion que le Premier ministre tient en son domicile avec des parlementaires. Les gros mots échangés ce 1er février ouvrent la porte à toutes les spéculations. Quand le respect n’est plus, la gouvernance chancelle.
Quelques jours plus tard, Conille part pour Washington et ses problèmes s’aggravent. Il faut savoir que ni le président de la République ni aucun des ministres n’a, avant Conille, connu les honneurs de la capitale américaine qui déroule le tapis rouge pour le Premier ministre. C’est de sa chambre du Ritz Carlton que Conille apprend que la présidence s’allie à des parlementaires pour l’éjecter. il résiste, mais il est déjà trop tard. Son sort est scellé.

L’international prend acte et s’inquiète

Dans un communiqué publié quelques heures après l’officialisation de la démission de Garry Conille, l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique a pris acte de son départ et tracé les lignes de l’avenir.
« Les Etats-Unis saluent les efforts, la perspicacité et l’énergie démontrés par le Premier ministre Garry Conille durant les quatre derniers mois ; il s’est consacré à l’amélioration des conditions de vie du peuple haïtien. Nous regrettons qu’Haïti ne puisse plus bénéficier de son service en tant que Premier ministre.
Nous exhortons l’exécutif et le Parlement à travailler ensemble pour identifier et confirmer un nouveau Premier ministre rapidement. Nous continuons de croire que la stabilité politique en Haïti est essentielle à sa capacité d’attirer les investissements nationaux et étrangers nécessaires pour accroître le développement économique et créer des emplois en Haïti.
L’exécutif, le Parlement et les autres branches gouvernementales ont besoin d’assurer la continuité de la gouvernance ainsi que l’engagement aux valeurs démocratiques en confirmant au plus vite un nouveau Premier ministre, en organisant la tenue d’élections parlementaires et locales ce printemps, en poursuivant la lutte contre la corruption, et en s’assurant que les droits de tous les Haïtiens soient respectés dans le cadre de l’Etat de droit. »
La démission du Premier ministre haïtien Garry Conille «accroît l’instabilité» dans le pays le plus pauvre des Amériques qui peine à se remettre du séisme de 2010, a déploré, vendredi, le chef de la diplomatie canadienne, John Baird.
«Le Canada déplore profondément la démission du Premier ministre Garry Conille. Le Premier ministre Conille est un leader compétent, un ami du Canada et un homme qui incarne l’espoir», a déclaré M. Baird dans un communiqué, repris par une agence de presse depuis Ottawa.
«L’absence d’un Premier ministre accroît l’instabilité à un moment où les Haïtiens éprouvent de graves difficultés à reconstruire leur existence et leur pays», a ajouté M. Baird, qui a exhorté le président Michel Martelly à nommer «sans tarder» un successeur à M. Conille.
Pour le moment, cette déclaration rejoint les conseils qui sont prodigués depuis des semaines à la présidence par les acteurs de la communauté internationale qui s’attendaient à la sortie de scène de Garry Conille et ont placé Martelly sous observation.

Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
Twitter:dalfaz

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