Ce n’est plus une affaire de fusil

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La mort et sa  pestilence déambulent dans nos rues et recouvrent peu à peu nos vies. Le seuil de l’insupportable est atteint. Longtemps déjà. Chaque mois, il y a en moyenne cinquante morts par balles dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Dommage qu’on ne fasse pas assez attention à ces statistiques que JILAP publie, parfois au grand dam  des autorités policières et judiciaires. Les chefs ne veulent pas « effrayer » les gens ni « nuire à l’image d’Haïti ».

La Minustah, en revanche, publie ces chiffres qui indiquent que des quartiers populeux en périphérie de Port-au-Prince comme Cité-Soleil, Martissant…sont des mouroirs.  Que souvent, les cadavres, trophées de guerre entre gangs, sont brûlés. Pour ne pas laisser de trace. Pour monter d’un cran dans l’échelle de la cruauté, de l’inhumanité.

Le reste du pays a regardé ailleurs. Par peur. Par impuissance. Peut-être parce qu’on a cru, benoîtement, que les monstres fabriqués par la misère dans les ghettos resteraient confinés dans leur géhenne et continuent à s’entre-tuer. On a peut-être voulu oublier qu’ils chassent, qu’ils volent, braquent, kidnappent, tuent, instaurent un système de racket, de rançonnage dans les marchés publics comme Croix-des-Bossales.

Ces jours-ci, la piqûre de rappel fait mal. Très mal. Le trou noir dont l’énergie destructrice est souvent ignorée connait un regain d’activité sur fond d’aggravation des conditions socio-économiques du pays ces quatre dernières années. Pour l’instant, le grand vide grignote quelques vies. Pour l’instant seulement. Le pire n’est hélas pas derrière nous. C’est une vérité de La Palice.

L’actualité de nos vies s’écrit avec des lettres de sang. Les fusillades se multiplient. La liste des pertes dans les rangs de la police s’allonge. Il est de 25 ce soir en comptant l’inspecteur Daniel Pierre. Il y a des pères qui n’entrent pas, une jeune femme pleine de vie qui ne posera plus sa bouche sur celle de son amant parce qu’abattue en sortant d’une banque ? Qu’a-t-on dit à la famille de cet ingénieur de 33 ans qui avait décidé de rester au pays alors que la majorité ses camarades sont au Canada, aux USA ? Même pas un merci d’être resté, d’être assassiné ici, à Delmas 31.

Que peut-on dire à un enfant de six ans qui se demandera ce soir pourquoi son amie de quatre ans a été blessée par balle. Que dira-t-on à cette paysanne qui s’en sort de justesse de cette fusillade dans un bus qui se rendait à Jacmel ? Le pays glisse. A quoi bon le dire, le répéter, nous le dire, nous le répéter ? A quoi sert-il de rappeler qu’il y a un relent d’après 2004 dans l’air, qu’au jeu de la mort, les cyniques ont convié les humbles ? Il faut rompre le silence, briser l’indifférence. Il faut agir.

La réponse à nos problèmes de sécurité n’est pas dans le nombre de fusils, de policiers à déployer dans les rues. Nos détresses sont nombreuses. L’Etat s’est effondré, les ressorts de notre société sont cassés. C’est une autre vérité de La Palice mais l’on tarde à effectuer les réformes qu’il faut, à inventer l’autre pays. Nous ne pouvons plus laisser du temps au temps. Le trou noir est là…Il n’arrêtera pas de broyer des vies si l’on ne comprend pas l’urgence d’agir… Roberson Alphonse Source Le Nouvelliste

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