40 millions pour Jacmel

Si l’initiative du gouvernement visant à investir 40 millions de dollars à Jacmel pour faire de cette ville l’une des destinations touristiques phares du pays est louable pour certains, pour d’autres elle laisse planer des doutes quant à sa rentabilité financière, économique et sociale. Le professeur Labossière, quant à lui, pense que les bénéfices seraient plus importants si le gouvernement investissait cette somme dans d’autres secteurs de la vie nationale.
08/06/2012
Sthephanie B. Villedrouin

Si l’initiative du gouvernement visant à investir 40 millions de dollars à Jacmel pour faire de cette ville l’une des destinations touristiques phares du pays est louable pour certains, pour d’autres elle laisse planer des doutes quant à sa rentabilité financière, économique et sociale. Le professeur Labossière, quant à lui, pense que les bénéfices seraient plus importants si le gouvernement investissait cette somme dans d’autres secteurs de la vie nationale. Lors du Conseil des ministres du 27 mai 2012, la ministre du Tourisme, Stéphanie Villedrouin, a fait savoir que le gouvernement compte positionner la ville de Jacmel comme l’une des destinations touristiques phares du pays. À cet effet, les autorités haïtiennes espèrent décaisser pas moins de 40 millions dollars américains pour réaliser des travaux d’infrastructures, notamment au niveau du réaménagement du centre historique de Jacmel, de l’aéroport de la ville, la plage Congo, dans le cadre de ce projet.

L’économiste Eddy Labossière juge louable une telle initiative. Il a cependant fait part de quelques doutes quant aux bénéfices macroéconomiques du projet. Selon M. Labossière, du point de vue microéconomique, un tel investissement aura certainement un impact direct positif sur la création d’emplois dans la zone ciblée et améliorera les conditions de vie de certains bénéficiaires. « N’oublions pas qu’Haïti est un pays pauvre et que, dans un tel contexte, dénicher 40 millions de dollars américains pour les investir dans quelque domaine que ce soit c’est déjà une bonne chose. Surtout quant on sait que cet investissement aura un impact direct sur l’emploi dans la communauté où il est consenti. »

Si le choix de la ville de Jacmel ne le surprend guère, cependant la façon dont elle a été sélectionnée laisse M. Labossière dubitatif. « Du point de vue politique, explique-t-il, ce choix ne me surprend pas, vu que les différents gouvernements qui se sont succédé en Haïti prennent toujours des décisions pour bâtir leur capital politique, mais en termes macroéconomique c’est une grande surprise. Il serait beaucoup plus intéressant de voir selon quels critères le gouvernement a retenu Jacmel et non pas le Grand Nord qui présente une potentialité touristique beaucoup plus importante que Jacmel. »

« De plus, continue-t-il, je me demande si au préalable il y avait une analyse en termes d’opportunités qui a été réalisée pour voir si un tel investissement serait rentable économiquement, financièrement et socialement pour le pays. Car à l’heure actuelle il est inconcevable de prendre 40 millions de dollars américains et de les injecter ainsi dans une économie sans une étude préalable qui aurait comme objectif de mettre en exergue les coûts d’opportunité du projet. »

C’est vrai que le tourisme, tout comme l’agriculture, est un vecteur de croissance dans les Caraïbes et le monde entier. À titre d’exemple, la République dominicaine reçoit plus de quatre millions de touristes par an, qui génèrent plus de quatre milliards de dollars américains. Cependant, de l’avis de l’économiste, ce montant envisagé, canalisé dans le secteur agricole, aurait un impact beaucoup plus significatif pour l’économie globalement. « Il serait préférable de créer un fonds souverain ou une banque d’investissement afin que l’État puisse prendre part aux activités de certaines entreprises, notamment par l’achat d’actions et d’obligations, et prendre l’argent généré par ces activités pour résoudre la problématique du crédit », propose l’économiste.

De nos jours, il n’échappe à personne que les banques commerciales haïtiennes ont failli à l’une de leurs missions qui est de faciliter l’accès au crédit aux acteurs économiques. Ces instituions financières prêtent à des taux usuraires aux PME. Une situation qui, loin de les arranger, les confinent plutôt dans une spirale de dette d’où elles ne sortiront jamais. Avec ce fonds, à en croire le professeur Labossière, l’État pourrait créer une banque d’investissement qui aurait comme mission première de résoudre l’accès au crédit afin de financer plusieurs secteurs de l’économie, dont le tourisme. Car quels effets un tel investissement pourrait-il avoir pour l’économie quand le pays n’est pas en mesure de nourrir ces milliers de touristes potentiels et que la majorité des aliments consommés par la population sont importées ? Ce flux de revenus ne sera profitable qu’aux pays exportateurs », a conclu le professeur Eddy Labossière.

Pierre Ricardo Placide ppricardo1983@yahoo.fr
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