150 ans : Barbancourt vieillit et se bonifie

La Nouvelliste:
Grand protecteur de la culture, mécène, patrimoine immatériel mais que chacun peut acheter par bouteille ou par caisse, le Rhum Barbancourt célèbre dimanche son 150e anniversaire. Chaque Haïtien est fier, sans distinction de classe ou de religion, des nectars produits par la plus ancienne entreprise haïtienne en activité. On l’achète sans le boire et on le boit sans l’aimer, c’est dire comment ce produit s’est installé dans les moeurs. Pas une demeure qui ne recèle une bouteille de Barbancourt. Le rhum des connaisseurs porte bien son âge et sa réputation.

Haïti: « Un jour, il manqua de vin de messe. Le sacristain, pris dans un dilemme, se refusant à me laisser bénir la sainte communion avec un verre d’eau, mit du rhum Barbancourt dans la carafe. Tout se passa très bien, le vin se transforma en trois étoiles ou vice versa ». Le prêtre qui raconte l’anecdote en rit encore. Convaincu que se débrouiller n’est pas un péché, il ne tient qu’à garder l’anonymat.
Bien avant cette messe, le Rhum Barbancourt est un produit sacré en Haïti depuis son lancement. On s’en sert aussi bien dans les cérémonies vaudou que comme médicament. Les protestants l’offrent en cadeau et n’estiment pas, qu’il s’agit d’une boisson alcoolisée. C’est du rhum, notre rhum, le Barbancourt.
On verse des gouttes au sol pour saluer la mémoire des morts; on l’intègre à des recettes de cuisine; le Rhum Barbancourt se boit en infusion avec du thé ou en digestif luxueux. Il y a des cercles de buveurs diplômés et des serviteurs occasionnels qui succombent à son charme…
Pour bien comprendre la portée de ce produit, il faut remonter à la nuit des temps. 1862. Plus de cent cinquante ans que les Haïtiens font confiance, dégustent ou entendent parler de ce breuvage. Cela marque les esprits, de génération en génération. Les publicités de l’entreprise, bien qu’aucune loi en Haïti ne l’y oblige, n’incitent pas à la consommation. L’évocation de la qualité du produit suffit à faire le nécessaire rappel devant l’envahissement du marché par des produits de provenances diverses.
Les boîtes jaunes estampillées du logo de la compagnie et de HAITI en grosses lettres noires permettent d’identifier un Haïtien dans tous les aéroports du monde. Une bouteille offerte scelle des amitiés et rappelle toute la générosité d’une terre riche en histoire avec la canne à sucre.
Car le Rhum Barbancourt, c’est du jus de canne distillé. La canne, c’est l’évocation de la richesse passée du pays, une histoire de colonisation et aussi de fierté. Et la fierté n’a qu’un synonyme commercial en Haïti : Barbancourt.
Selon le site de l’entreprise, tout commence en 1862. Dupré Barbancourt, originaire de Charente (France), apporte la touche finale à un rhum qui porte aujourd’hui encore son nom. En utilisant la méthode de double distillation ordinairement réservée aux grands cognacs, Dupré Barbancourt découvrit un rhum au caractère incomparable qui reçoit depuis sa création les plus hautes distinctions internationales.

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, le Rhum Barbancourt décroche des médailles et des distinctions dans tous les concours et expositions internationaux. Cela aussi rend les Haïtiens fiers d’une époque où les produits fabriqués dans le pays participaient à des tests comparatifs et revenaient gagnants.
Dupré Barbancourt ne laissant aucun héritier à sa mort, sa femme, Nathalie Gardère, géra la société avec son neveu, Paul Gardère, qui lui succéda à la tête de la société jusqu’en 1946. A cette date, la distillerie des rhums Barbancourt, implantée sur le Chemin des Dalles à Port-au-Prince, ne produisait qu’une quantité limitée de rhums, les rhums vieux étant exclusivement réservés à la famille et à ses proches.
Paul décéda en 1946. Suivant la tradition familiale, son fils Jean Gardère reprit le flambeau, jusqu’en 1990. Entrepreneur et visionnaire, ce dernier fut l’instigateur de la modernisation de la Société du Rhum Barbancourt. En 1949, il transféra la distillerie au milieu des champs de canne du Domaine Barbancourt.
Dès 1952, l’usine commença à produire des rhums issus de canne à sucre cultivée sur sa propre plantation : le Domaine Barbancourt. La société devient alors un producteur internationalement reconnu pour l’authenticité et la qualité de ses rhums. Au milieu des années 1960, la Réserve du Domaine de 15 ans d’âge, traditionnellement réservée à la famille, fut progressivement ouverte à la distribution.
Au décès de Jean, son fils, Thierry Gardère, prit la succession : il est aujourd’hui la quatrième génération de la famille Gardère à diriger la société et poursuit l’engagement d’excellence et de tradition. La Société du Rhum Barbancourt exporte ses produits dans plus de 20 pays et emploie 250 personnes. La Société du Rhum Barbancourt est l’une des plus anciennes entreprises haïtiennes et génère indirectement plus de 20 000 emplois à travers le pays.
La gamme raffinée et variée des rhums Barbancourt se décline en 5 variétés : Rhum Blanc; Pango; Rhum Barbancourt Trois Étoiles, vieilli 4 ans ; Rhum Barbancourt Cinq Étoiles, 8 ans d’âge ; et enfin la Réserve du Domaine Barbancourt, vieilli 15 ans. Les rhums plus jeunes sont traditionnellement utilisés dans des cocktails, tandis que les rhums vieux sont à déguster avec un cigare, tel un grand Cognac.
Aujourd’hui, le Rhum Barbancourt se relève du tremblement de terre du 12 janvier 2010 comme le reste de la population. Les quatre millions de dollars de dégâts et les séquelles du séisme se guérissent lentement. L’usine a repris sa production, tous les produits sont en vente sans restriction. La belle histoire de Barbancourt se poursuit.

Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
Twitter: dalfaz
avec des infos du site de Barbancourt

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